Odyssée, Chant III v. 301-330 (ma traduction)

"Nicht Schlafen", collage

« Nicht Schlafen », collage

En ce moment je regarde des séries finlandaises. Elles sont très bien faites et les personnages de femmes y sont fortes et libres, mentalement et physiquement. Cela ne date pas d’hier sans doute, on sait que dans ces terres du nord de l’Europe ont été retrouvées des tombes de guerrières et de cheffes, et je me souviens aussi des puissantes femmes du Kalevala. C’est d’un grand soutien dans ce pays, la France, encore si latin, si peu égalitaire, si raide et empoté dans les relations et les conventions sociales. Ces pays, ces peuples devraient être davantage un exemple pour nous.

Nous en sommes à la troisième et dernière partie de ce discours de Nestor à Télémaque, la voici :
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Tandis que Ménélas, amassant beaucoup de vivres et d’or,
S’élançait avec ses nefs parmi des humains d’autres langues,
Égisthe resté chez lui machinait ses perfidies.
Sept ans durant il régna sur Mycènes riche en or,
Ayant tué l’Atride et soumis le peuple à son joug.
Mais la huitième année, pour son malheur, le divin Oreste,
Revenant d’Athènes, tua l’assassin de son père,
Le fourbe Égisthe, meurtrier de son illustre père.
L’ayant tué, il donna aux Argiens le repas funèbre
Pour son odieuse mère et pour le lâche Égisthe.
Le même jour, revint Ménélas au vaillant cri de guerre,
Chargé d’autant de richesses qu’en pouvaient porter ses nefs.
Et toi, mon ami, n’erre pas plus longtemps loin de chez toi,
Que ces arrogants n’y dévorent pas tous tes biens
En festoyant, rendant ainsi ton voyage inutile.
Pour ma part je te conseille vivement d’aller
Chez Ménélas. Il vient de revenir de l’étranger,
De contrées dont nul parmi les hommes n’espère en son cœur
Revenir, une fois égaré par les tempêtes
Sur une mer si vaste que pas même les oiseaux
Ne la passent dans l’année, tant elle est grande et terrible.
Mais pars donc maintenant avec ta nef et tes compagnons.
Si tu veux y aller à pied, voici un char, des chevaux,
Voici aussi mes fils, qui te serviront de guides
Jusqu’en la divine Sparte où est le blond Ménélas.
Prie-le alors de te parler avec sincérité ;
Il ne te mentira pas, car c’est un homme sensé. »

Ainsi dit-il. Et le soleil plonge, l’obscurité vient.
Parmi eux, Athéna aux yeux de chouette prend la parole :

*
le texte grec est ici
dans ma traduction le premier chant entier , le deuxième
à suivre !

Message

J’ai un message à vous transmettre.
Il est arrivé ce matin pour vous dans ma tête :
« Dis-leur que je suis parti voir ailleurs si j’y suis.
Qu’ils se démerdent.
Signé : Dieu »
– Mon Dieu, ai-je dit, je ne peux pas leur dire ça !
– Et pourquoi pas ?
– Ça pourrait tomber dans l’oreille de personnes bonnes, justes, gentilles, qui ont besoin de savoir que tu es avec elles !
– Qui ça, tu ?
– Mais toi, Dieu !
– Ne m’appelle pas Dieu. Alors elles sauront que je suis avec elles.
– Quand même, je ne peux pas dire ça.
– Et pourquoi ?
– Ils ne veulent pas me reconnaître.
– Qu’importe ? Ne te connais-tu pas toi-même ?
– Qu’importe ? Je veux qu’ils se connaissent.
– Alors dis-leur que je suis parti voir ailleurs.
– Je leur tendais le miroir, qu’ils se voient en train d’être incapables de me reconnaître. Qu’ils se connaissent, ainsi.
– Pour quoi faire ?
– Pour qu’ils puissent s’en sortir, sortir de leur prison.
– Mais ne t’emprisonnais-tu pas pour eux, dans ce miroir ?
– Ça importe ?
– Hahahahaha !

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"Moving", acrylique sur toile 61x46 cm

« Moving », acrylique sur toile 61×46 cm

Odyssée, Chant III, v. 153-200 (ma traduction)

"Tetris Egg", acrylique, technique mixte sur bois 56 x 48 cm

« Tetris Egg », acrylique, technique mixte sur bois 56 x 48 cm

Tout en continuant à traduire, je continue à lire aussi les autres traductions en français. En fait celles que je préfère sont celles qui n’essaient pas de rivaliser en poésie avec Homère mais rendent dans une prose ordinaire le sens du texte aussi fidèlement que possible. Pour les traductions à prétention poétique, j’ai déjà dit ce que je pensais de celle de Bérard, toujours aussi désastreuse à mesure que j’avance dans le texte. J’aimais bien celle de Jacottet au début, mais il s’avère d’une part qu’elle manque trop de fidélité au texte source, d’autre part que son style, quoique réellement poétique, est trop différent du style archaïque d’Homère ; celui de Jacottet coule clair et limpide comme une calme rivière dans la verdure, celui d’Homère fait son chemin dans la rocaille, le vent et les vagues. Leconte de Lisle a le mieux rendu ce caractère archaïque de l’épopée homérique. Pour moi, j’essaie de le rendre aussi mais de façon moins spectaculaire, tout en l’écrivant au XXIe siècle, avec la langue d’aujourd’hui. Et j’essaie d’être fidèle au texte grec, autant que possible. Par exemple, dans le passage d’aujourd’hui, nous avons une épithète pour la mer qui signifie « qui a le caractère d’énormes cétacés, de monstres marins ». La plupart traduisent « l’immense mer », ou « le gouffre marin ». Moi je trouve une formule pour dire le mot baleines, car tout de suite c’est un puissant imaginaire universel qui s’éveille, et c’est celui qu’a voulu Homère. Il y a aussi une épithète pour les femmes qui signifie « qui porte une ceinture sur les hanches causant de larges plis au vêtement ». Les uns ou les autres traduisent « les femmes aux larges ceintures » ou bien « à la taille fine » ou encore « aux ceintures dénouées » – autant de sens faux (Jacottet justifie sa « taille fine » en disant en note « voyez les statuettes crétoises », mais ça n’a rien à voir justement, il ne s’agit pas du tout du même habillement ni de la même silhouette). Une autre épithète, pour le vent, signifie « qui produit un son aigu ». Les traductions qui donnent quelque chose comme « tempétueux » ne sont pas assez justes. Il faut se mettre dans la situation décrite par le texte pour comprendre ce dont il s’agit et le rendre, de même que pour la nef que certains disent « ballottée par les flots » ou « en forme de croissant » alors qu’en suivant le sens au plus près on comprend que les rameurs travaillent des deux côtés à faire tourner et repartir le bateau.
Voici la seconde partie du récit de Nestor à Télémaque, parti sur les traces d’Ulysse.
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« Au point du jour nous tirons nos nefs sur la vaste mer,
Y chargeant nos biens et les femmes aux hanches ceinturées.
Cependant la moitié des soldats se tient à distance,
Restant auprès de l’Atride Agamemnon, leur berger.
Nous qui avons embarqué, nous partons ; à toute vitesse
On file : un dieu aplanit la mer aux énormes baleines.
Arrivés à Ténédos, nous offrons des sacrifices
Aux dieux, espérant le retour. Mais Zeus n’en veut pas encore.
Funeste, il suscite à nouveau une mauvaise querelle.
Certains remontent à bord, retournent leur nef en ramant
Des deux côtés. Le sage Ulysse aux ressources variées
Les conduit vers l’Atride Agamemnon, pour l’assister.
Quant à moi, ayant rassemblé les nefs qui me suivent,
Je m’enfuis, pressentant les maux que nous réservent les dieux.
Le martial fils de Tydée fait se lever ses compagnons
Et fuit aussi. Plus tard, le blond Ménélas nous rejoint
À Lesbos où nous délibérons sur notre long voyage :
Passerons-nous au-dessus de la rocailleuse Chios,
La laissant à notre gauche vers l’île de Psyrie,
Ou bien au-dessous de Chios, près de Mimas battue des vents ?
Nous demandons au dieu un signe ; il nous l’envoie,
Nous révélant qu’il nous faut fendre par le milieu la mer
Vers Eubée, afin d’échapper au plus vite au malheur.
Un vent sifflant se lève, soufflant favorablement.
À toute allure on file à travers les routes poissonneuses ;
Dans la nuit on arrive à Géreste. Ayant traversé
La grande mer, on brûle maintes cuisses de taureaux
Pour Poséidon. Le quatrième jour, les compagnons
De Diomède, dompteur de chevaux et fils de Tydée,
Arrêtent en Argos leurs nefs bien proportionnées.
Moi je poursuis vers Pylos, et le vent que le dieu envoya
Ne tombe pas. Ainsi suis-je arrivé, cher fils, sans savoir
Lesquels des Achéens se sont sauvés, et lesquels sont morts.
Mais tout ce que j’ai entendu dire en me reposant
Dans mon palais, il est juste que je t’en fasse part ;
Je n’y manquerai pas. Les Myrmides à la lance furieuse
Sont bien rentrés, dit-on, sous la conduite du glorieux fils
Du magnanime Achille. Bien rentré aussi
Philoctète, le fier fils de Péas. Et Idoménée
A ramené en Crète tous ses compagnons réchappés
De la guerre et de la mer. Pour l’Atride, vous avez su,
Même en habitant loin, son retour, et la triste fin
Qu’Égisthe lui trama – et qu’il paya misérablement.
Comme il est bon qu’un homme laisse un fils après sa mort !
Car celui-ci s’est vengé du meurtrier de son père,
Du fourbe Égisthe qui avait assassiné son glorieux père !
Et toi, ami, beau et grand comme je te vois,
Sois vaillant, que les hommes du futur parlent bien de toi ! »

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le texte grec est ici
ma traduction du premier chant entier , du deuxième chant
à suivre !

Silhouette : mon journal en images

journal en images 1-min
Samedi, en rentrant de courir où, à mon tout petit niveau de débutante, je progresse bien et avec joie.
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journal en images 2-min

Dimanche, j’ai réalisé ces deux collages : « Woman Bridge » et « Trumpet of Time ». J’ai aussi téléchargé une appli pour voir mes progrès à la course. L’appli compte aussi les autres sports, et indique les calories dépensées : 700 entre le yoga et la marche (promenade) ce dimanche.

journal en images 3-min
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journal en images 4-min

Aujourd’hui lundi nous sommes allés à vélo, O et moi, à l’île aux Cygnes, vingt kilomètres aller-retour par les bords de Seine. Profitons du temps quand il est beau et tant qu’on n’est pas confiné. Entre le yoga, la marche et le vélo aujourd’hui, 900 calories dépensées et surtout, un corps et un esprit bien aérés.

journal en images 5-min

à Paris ces jours-ci, photos Alina Reyes

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Odyssée, Chant II, v. 208-257 (ma traduction)

"Phuo", technique mixte sur papier A4

« Phuo », technique mixte sur papier A4

J’ai écouté ce que j’ai trouvé sur Youtube à propos d’Homère et de son œuvre. L’excellent Philippe Brunet, grand helléniste et traducteur de l’Iliade, dont on peut entendre les commentaires très fins et aussi ses chants des textes homériques, accompagnés à la lyre comme l’aède antique, en grec et en français (voir vidéos en fin de note). Il est de ceux qui disent que ces deux épopées, l’Iliade et l’Odyssée, présentent une telle cohérence poétique interne et de telles correspondances entre elles qu’elles ont bien dû être écrites par une seule personne. J’ai écouté aussi, par curiosité et au moins en partie, des conférences de Luc Ferry et de Sylvain Tesson, auteurs de livres sur Homère ; les deux enchaînent les fautes et les erreurs grossières, à tel point que du moins pour Tesson (qui par exemple se trompe de deux ou trois siècles sur la date de composition des poèmes), on se demande s’il a vraiment lu les textes dont il parle, voire s’il a écrit lui-même son livre – à moins que son livre ne soit aussi plein des erreurs de quelqu’un qui manifestement ne connaît presque rien à son sujet et n’en est pas moins invité partout à en parler, y compris aux frais du contribuable (Maison de la Poésie, France Inter et autres institutions publiques).

Retour à l’Odyssée, donc. L’espèce de représentation théâtrale dans l’agora se poursuit et prend fin aujourd’hui. Après des échanges féroces, il me semble qu’Homère glisse un peu d’humour dans la parole de ses personnages. Voici Télémaque qui appelle ses ennemis mortels « aimables prétendants » (j’aurais pu traduire aussi doux prétendants, mais je préférais avoir deux pieds de plus dans le vers). Et puis Léocrite disant de Pénélope, à propos d’un éventuel retour d’Ulysse, qu’elle « ne se réjouirait pas, quoiqu’elle en ait Très envie » ne verse-t-il pas, avec la grossièreté que nous connaissons maintenant aux prétendants, dans l’allusion sexuelle ? Après la bataille de mots, chacun a envie de se détendre ou de se recueillir, c’est ce que nous verrons la prochaine fois en nous dirigeant doucement vers le départ en mer avec Télémaque.
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« Eurymaque, et vous tous, aimables prétendants,
Je ne vous supplierai ni ne vous en parlerai plus :
Les dieux et tous les Achéens savent ce qu’il en est.
Donnez-moi juste un vaisseau rapide et vingt compagnons
Pour mener à bien un voyage çà et là :
Je veux aller à Sparte et dans la sablonneuse Pylos
M’informer sur le retour de mon père parti
En écoutant quelque mortel ou plus encore
La renommée que Zeus porte parmi les hommes.
Si j’entends dire que mon père est vivant et revient,
Alors, malgré ma peine, j’attendrai encore un an.
Mais si j’entends dire qu’il est mort, qu’il n’existe plus,
Alors je retournerai dans ma chère terre natale
Lui élever un tombeau, lui rendre les honneurs funèbres
Avec faste, comme il convient, puis marier ma mère. »

Ayant ainsi parlé, il s’assoit. Alors se lève
Mentor, compagnon de l’irréprochable Ulysse,
Lequel en partant lui avait confié toute sa maison,
Pour qu’on obéisse au vieillard et qu’il fasse constamment
Bonne garde. Plein de sagesse il prend la parole et dit :

« Écoutez maintenant, gens d’Ithaque, ce que je vais dire.
Qu’aucun roi porteur de sceptre ne soit désormais bon,
Aimable et bienveillant, que son cœur n’incline à la mesure,
Qu’il soit plutôt pénible, qu’il agisse en criminel,
Puisque nul ne se rappelle le divin Ulysse
Dans ce peuple sur lequel il régna doux comme un père !
Je ne reproche pas aux arrogants prétendants
De commettre leurs violences, dans leur esprit mauvais ;
Car ils risquent leur tête en dévorant par la violence
La maison d’Ulysse, qui ne reviendra pas, croient-ils.
Mais c’est contre le peuple que je m’indigne maintenant,
Vous tous qui restez assis sans rien dire, sans vous lever
Pour arrêter quelques prétendants, vous qui êtes en nombre. »

Ainsi lui réplique Léocrite, fils d’Evenor :

« Malfaisant Mentor, esprit insensé, qu’as-tu dit ?
Tu les pousses à nous arrêter? Il serait difficile
De combattre des hommes si nombreux autour du festin !
Et Ulysse l’Ithacien reviendrait-il en personne
Dans l’intention de chasser de son palais les brillants
Prétendants en train de festoyer dans la salle à manger,
Sa femme ne se réjouirait pas, quoiqu’elle en ait
Très envie, de son retour, car c’est une mort indigne
Qu’il subirait, en s’attaquant à un si grand nombre.
Tu as donc parlé à tort. Mais allons ! Dispersons-nous,
Chacun à ses affaires ! Mentor et Alithersès,
Des proches de son père, aideront Télémaque à partir.
Mais je crois qu’en fait il va rester à Ithaque attendre
Des nouvelles, sans jamais accomplir son voyage. »

Ainsi parle-t-il, et l’agora se rompt aussitôt.

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le texte grec est ici
ma traduction du premier chant entier
à suivre !

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