Nouveau front populaire : face au précipice

Heureusement, je cours. Comment ne pas tomber malade, sinon, à ne rien pouvoir faire que lire la presse, scroller sur X, à la recherche de parole sur ce qui se passe, sur la catastrophe en cours, sur l’espoir en cours aussi ? Comment ne pas désespérer quand ce contre quoi on a alerté de son mieux depuis un quart de siècle finit pourtant par arriver ? La victoire de l’extrême-droite, si elle n’est pas encore acquise à l’assemblée, si elle peut y être encore repoussée, a quand même eu lieu dans les urnes le 9 juin, et dans les esprits, depuis, n’a fait que gagner encore, gagner quasiment toute la droite, dont une grande partie de ce qui reste de la macronie. Macron avait déjà marché dans les pas du RN avec ses lois scélérates ; le 9 juin au soir, en leur ouvrant un boulevard, il a sauté des deux pieds dans leur trace nauséabonde, sans aucune chance que cela puisse lui porter bonheur. Ces sept dernières années cauchemardesques nous auront donc menés, sans surprise mais avec une immense tristesse quand même, là, tout au bord du précipice.

La haine que Macron s’est acquise dans le peuple à force de le mépriser et de piétiner la démocratie a poussé massivement le peuple au suicide politique. Son omniprésence condescendante, verbeuse et pleine de fausseté, on l’a vécue comme un harcèlement. Et les gens harcelés finissent souvent par se suicider. En réponse à sa politique et à sa personnalité insupportables, une partie du peuple s’est livrée à la haine, aux pulsions morbides. En dissolvant brutalement l’assemblée, sans laisser le temps aux forces politiques de se préparer à de nouvelles élections, Macron exécute une vengeance collective sur le peuple de France, parce qu’il a poussé une partie de ce peuple à se venger de ses mépris, de ses violences, en votant contre cette démocratie qui les bafoue. Cercle vicieux.

Heureusement, pendant que je cours, j’évacue un peu l’énorme peine qui nous est tombée dessus. L’énorme peine pour notre pays et pour nos enfants. Et je suppose que tous ceux qui, à gauche, ont eu le réflexe de se réunir et finalement de s’unir, en courant eux aussi d’une certaine façon, en courant au secours de notre démocratie et de nous tous, dans l’urgence, ont trouvé eux aussi le geste salvateur pour ne pas sombrer dans le désespoir ou, comme on l’a vu à droite, dans la folle farce. Qu’ils et elles en soient remerciées encore ! Et que nous sachions accompagner ce mouvement, ce sursaut, avec semblable dignité ! Il en va de la survie de notre société, de notre paix, de notre citoyenneté.

Rien ne va être facile. Quelle que soit l’issue, le 7 juillet prochain, il faudra s’atteler à réparer ce qui aura été détruit, peut-être aussi ce qui continuera à être détruit. Combattre inlassablement, par la vie, les forces de destruction. Je ne sais plus qui, parmi tous ceux que j’ai pu lire ou entendre ici ou là, a dit qu’il fallait penser à ce que nous pourrions dire à nos enfants ou à nos petits-enfants, plus tard. Comment nous avons réagi, personnellement. Oui. On dit souvent « l’histoire jugera ». Mais qu’est-ce que l’histoire, sinon ce qui passe de nous à travers notre descendance ? Chez Homère, comme le dit Athéna à ses personnages « au cœur magnanime » : agis bien, noblement, et loin dans le futur, ta descendance sera fière de toi.

texte écrit le 14 juin 2024 et proposé à Libération, qui n’a pas donné suite

Journal du jour

Je pense à mon frère Gogol, il me semble que cela pourrait aider Ukrainiens et Russes à faire la paix et à s’entendre, comme l’Histoire le leur demande. Que cessent toutes les oppressions, que les âmes vivantes l’emportent sur les âmes mortes.

J’ai couru aujourd’hui, j’en avais grand besoin. Un épisode de réaction à la pollution et au pollen m’a écartée de la course en extérieur pendant quelques jours ; une séance sur tapis de course m’a laissée malcontente. Alors malgré la pollution du jour encore, je suis retournée courir dehors, au jardin, sur les quais, doucement et pas trop longtemps pour ne pas irriter de nouveau ma gorge, près de cinq kilomètres environ en quarante minutes, avec des escaliers et une petite séance de côte. J’y retournerai peut-être demain si la pollution baisse, cela fait tant de bien.

Gilets jaunes, puis pandémie, puis guerre. Certes tout n’est pas de la faute de Macron, mais penser qu’il peut rester en place encore cinq ans, au vu de sa façon d’être et de sa baraka, il y a de quoi être inquiet.

Je suis retournée prendre l’Iliade en bibliothèque. Je me sens prête à m’y remettre. Je suis une bien pauvre athlète physiquement, mais spirituellement, une athlète accomplie. Accomplie ne signifie pas finie, et ma traduction d’Homère, l’Iliade maintenant après l’Odyssée, est une continuation de mon accomplissement. Je me donne beaucoup dans ce que je fais, et comme dans le sport, des temps de repos, de récupération, sont nécessaires pour progresser. Je me sens comme l’inverse des spectateurs de la Caverne de Platon. Je vois tellement, et à travers un air si pur.

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« Body positive »

À la salle de sport, je vois toutes sortes de corps. Quelques jeunes hommes et femmes athlétiques, mais surtout des corps « ordinaires », c’est-à-dire variés, de différentes corpulences et différents âges. Je trouve très bien que personne n’ait honte de son corps, cela me rappelle ma lointaine jeunesse sur les plages nudistes, dans le Sud-Ouest où notamment beaucoup d’Allemands et autres Nordiques de tous âges et toutes formes passaient tranquillement de bonnes heures nus sur le sable et dans l’eau. Aujourd’hui cela rejoint le mouvement du « body positive », qui vient contrebalancer les diktats de la mode, par exemple en faisant défiler aussi des mannequins obèses, handicapés, âgés, etc., bref, représentatifs de la diversité humaine.

Ce qui est mieux à la salle de sport, ou partout où l’on fait de l’exercice, c’est que toutes ces personnes, dont je suis, ne se contentent pas d’accepter d’avoir des corps différents des canons de beauté en vogue, mais veulent aussi, comme les jeunes athlètes, entretenir et développer leur forme et leur beauté particulière. Et cela pas seulement à coup de fringues et autres maquillages, mais dans leur « corps et âme », dans leur corps vivant, en l’exerçant, en le faisant réellement vivre.

Je songe à cela après avoir vu dans Le Parisien un article, que je ne peux lire car réservé aux abonnés, sur une mannequin de 61 ans qui pose notamment pour une marque de lingerie. Elle a un beau visage, mais son corps est nettement marqué par le temps. C’est très bien qu’elle, comme d’autres, expose la différence et la vérité de son corps. Mais je trouve qu’il serait bon que dans ce mouvement de body positive, on montre aussi des corps exercés, joliment sculptés malgré les handicaps ou l’âge. J’ai 66 ans, je n’ai jamais laissé mon corps s’écrouler, pas plus que mon esprit, mais j’ai dû tout de même réagir à la pente naturelle qui l’amollissait en me mettant plus sérieusement au sport. Je ne prétends pas que tout le monde doive en faire autant, je dis seulement que celles et ceux qui choisissent cette voie doivent aussi être représentés, afin d’encourager éventuellement d’autres personnes à s’engager dans ce chemin de réparation et de bien-être profond.

Il ne s’agit pas que de l’esthétique du corps, encore qu’il soit agréable de se voir des formes harmonieuses, il s’agit surtout de la façon dont on se sent dans un corps tonique, fort, souple, agile, et de garder au mieux, en avançant en âge, toutes ces qualités naturelles de la jeunesse. Cela dans une époque où les corps sont très dégradés, et de plus en plus tôt, par la sédentarité et la malbouffe. Il s’agit de ne pas se laisser aller au déclin physique, ni au déclin cognitif, mais de rendre hommage à la fantastique machine corps-cerveau qui nous a été donnée, tout au long de notre vie.

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Laon en 25 images

La « Montagne couronnée », surnom de Laon, se gravit à pied par un très long escalier, suivi d’une longue rampe, permettant d’atteindre sa centaine de mètres de hauteur. Classée ville d’art et d’histoire, la cité constitue un musée à ciel ouvert, très fréquenté par les touristes, notamment du Nord environnant, à la belle saison, mais encore mal connue des Parisiens, entre autres. Elle vaut la peine d’être connue, en voici un aperçu.
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à Laon, les 24 et 25 février 2022, photos Alina Reyes

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Les mille et une pièces du palais intérieur

un sac du Vieux Campeur découpé en lanières et crocheté aujourd’hui

Aujourd’hui j’ai dépassé, pour la première fois depuis que j’ai une montre cardio, donc depuis Noël, les 170 battements de cœur par minute, pendant ma séance de fractionné. Sans du tout sentir que j’étais à fond. Je ne vais pas à fond tant que je n’ai pas fait le test d’effort chez le cardiologue, je ne veux pas prendre de risque alors que je me mets à courir tard dans ma vie. J’ai mieux réalisé ma séance que la dernière fois, mais je dois la réajuster, trois minutes de pause entre les deux séries, c’est trop. Non que je ne sois pas fatiguée après la première série, mais cela me coupe trop dans mon effort, et ensuite je cours moins bien la deuxième série, par fatigue mais aussi par un peu de démotivation après une interruption trop longue. Ou bien c’est que mes muscles étaient un peu pesants, après la séance de musculation d’hier. Et puis c’est ma quatrième semaine, je dois réduire légèrement l’entraînement avant et afin de mieux le reprendre. C’est à force de m’informer sur la course à pied et aussi d’écouter mon corps que je peux établir au mieux, par moi-même, mon entraînement. C’est extrêmement intéressant.

Ce qui me plairait beaucoup, ce serait de faire du trail. J’en ferai un de ces jours, inch’Allah. D’abord, continuer à apprendre à courir. Chaque fois qu’on se lance dans quelque chose d’autre, c’est comme si on agrandissait sa maison. Notre maison intérieure pousse et se ramifie comme un fantastique être vivant, on peut finir par habiter un extraordinaire palais, dont on n’est jamais obligé d’arrêter la croissance. Certains se consacrent à une seule chose et construisent et agrandissent ainsi leur maison, d’autres, dont je suis, empruntent de multiples voies. Des voies qui peuvent être aussi petites que par exemple se mettre à découper des sacs plastique en lanières pour les crocheter, comme je l’ai fait aujourd’hui, entre autres – sans bien savoir ce que j’en ferai, mais justement c’est intéressant d’avoir à le trouver, et je le trouverai.

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Des écrivains, et de la littérature contemporaine

Haruki Murakami dans son livre autobiographique sur la course dit que personne sans doute ne pourrait tomber amoureux de lui, d’un écrivain. Je pourrais penser la même chose de moi et cela m’est égal, d’autant que je vis avec l’homme de ma vie, l’amour de ma vie ; s’il venait à partir, je pleurerais son départ, mais je ne chercherais nul autre homme. Ma vie est pleine en elle-même. Je note d’ailleurs que je ne suis jamais tombée amoureuse d’un écrivain, quoique j’en aie rencontré quelques-uns. Je n’ai même jamais eu envie d’avoir un ami ou une amie écrivain·e, quand les occasions se sont présentées j’ai esquivé, je n’ai jamais aimé leur présence, je revenais toujours presque malade des salons du livre et autres raouts pleins d’auteurs, tant ils me rebutaient. Même en imagination, je ne suis jamais tombée amoureuse d’un écrivain : dans mon roman dystopique Forêt profonde, le personnage de Sad Tod, inspiré de quelqu’un qui dans la vie réelle est éditeur-écrivain, est un ministre de l’Intérieur tortionnaire d’une dictature, et l’histoire prétendument d’amour s’avère n’être qu’une histoire de folie et de mort.

En fait, je me suis dégagée de la littérature par dégoût des littéraires et des intellectuels – qui me l’ont bien rendu, en m’excluant de l’édition ; tant mieux, je suis bien plus heureuse à courir, peindre ou faire du crochet. Je ne sais plus quel vieil auteur m’avait dit, quand j’étais jeune auteure, que ce métier ne rendait pas heureux. J’en avais été un peu choquée, aimant tellement la littérature. Avec le temps, j’ai compris. Les auteurs respirent le malheur, quand vous les approchez vous sentez leur mauvaise santé, physique souvent mais surtout mentale. Y compris ceux qui se réclament de Nietzsche, comme je le disais dans Forêt profonde. Leur univers m’est aussi insupportable qu’il l’était à Rimbaud. J’en suis sauvée parce que j’ai toujours été physique. Je sais que Murakami l’est aussi, et c’est pourquoi j’avais donné son prénom à un jeune personnage salvateur dans Forêt profonde. Le seul fait qu’il voie et qu’il comprenne qu’un écrivain n’est pas quelqu’un qu’on peut aimer prouve qu’il n’est pas vraiment cette sorte d’écrivain. Il a tenu un bar, il est sportif, sa littérature très poétique et pleine de nourritures appétissantes est très aimée par les gens, mais peu reconnue par les autres écrivains, ceux et celles qui vivent dans la mollesse morale et physique.

Dans le fait que Bolloré songe à racheter la plupart de l’édition française, je vois un signe qu’elle est achetable, avec ses auteurs, quelque protestation qu’ils produisent. Tous ces plein·e·s de prix littéraires, ces légionné·e·s d’honneur, ces académicienné·e·s, ces subventionné·e·s, ces ligué·e·s, ces saintgermaindesprétisé·e·s, ces bourgeois·e·s né·e·s, ces employé·e·s de l’industrie éditoriale, ces faiseurs et faiseuses plus souvent qu’à leur tour plagiaires, ces trafiquant·e·s de littérature faussaire, pataugent dans une mare qui n’a même pas la vertu d’être propice à l’éclosion de la vie. Sans doute le milieu littéraire n’est pas le seul à être pourri, mais sa morbidité est d’autant plus néfaste qu’elle se répand insidieusement sur les étals des librairies. Une bonne nouvelle dans tout cela est que les jeunes générations lisent de moins en moins la production actuelle, du moins celle qui est mise en avant par le milieu lui-même. Les bonnes séries, les beaux jeux vidéos remplacent avantageusement sa médiocrité, et ceux et celles qui aiment la littérature savent trouver, hors de la médiatisation commerciale, les livres de tous les temps et toutes les origines qui peuvent compter pour elles et eux. J’aime ces lecteurs et lectrices qui envisagent la littérature non comme elle se vend, mais pour ce qu’elle est. Ma place est comme la leur : ailleurs.

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Mes dernières créations au crochet. Et Ingrato

Voici, recto et verso, le gilet que j’ai inventé, créé tout en le réalisant. Ses mailles ajourées, à l’effet élastique, enserrent le corps de près, notamment aux bras et sur le devant ; je le trouve très seyant. J’ai acheté les jolis petits boutons chez Toto.

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Avec de petits bouts de fil de coton restants, j’ai fait encore une lavette, tellement plus agréable à utiliser que les éponges du commerce.

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Et avant cela, j’avais réalisé ce deuxième tapis de bain, avec des lanières découpées dans de vieux t-shirts (c’est la partie la plus longue du travail) et crochetées – un vrai plaisir pour les pieds nus !

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Mes précédentes réalisations au crochet sont ici

Et j’ai découvert dans l’émission Tracks sur Arte un jeune artiste chilien, Ingrato, qui fait des masques, des cagoules et d’autres vêtements au crochet très colorés, qui m’ont beaucoup plu et encouragée à continuer à inventer dans cette technique, si ludique, plaisante et riche en possibilités :

oeuvres d’Ingrato, photo Beatriz Arce