L’île du lac d’Innisfree, par William Butler Yeats (ma traduction)

Debout ! Je vais y aller, aller à Innisfree !
M’y faire une cabane en argile et branchages.
Neuf rangs de haricots, une ruche et voici !
Seul avec les abeilles en bruissant voisinage.

 

Et j’y serai en paix : lente goutte la paix
Des voiles d’aurore où chantent les sauterelles.
Minuit y est lueur, midi feu empourpré,
Et le soir y est plein des ailes d’hirondelles.

 

Debout ! Je vais y aller, car nuit et jour, toujours,
J’entends l’eau doucement clapoter sur la rive ;
Que je sois sur la route ou les pavés d’un bourg,
Tout au cœur de mon cœur je l’entends qui arrive.

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WB_Yeats

 

Voici le poème, que j’ai traduit aujourd’hui (toujours confinée en attendant que le coronavirus, toujours très peu virulent pour moi, cesse de me rendre potentiellement contagieuse), dans le texte de W.B. Yeats :

I will arise and go now, and go to Innisfree,
And a small cabin build there, of clay and wattles made;
Nine bean-rows will I have there, a hive for the honey-bee,
And live alone in the bee-loud glade.

And I shall have some peace there, for peace comes dropping slow,
Dropping from the veils of the morning to where the cricket sings;
There midnight’s all a glimmer, and noon a purple glow,
And evening full of the linnet’s wings.

I will arise and go now, for always night and day
I hear lake water lapping with low sounds by the shore;
While I stand on the roadway, or on the pavements grey,
I hear it in the deep heart’s core.

William Butler Yeats, « The Lake Isle of Innisfree »

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Première vision de l’Homère de Chapman, par John Keats (ma traduction)

J’ai beaucoup voyagé par les royaumes d’or,
J’ai vu maints bons pays et belles capitales,
Je suis passé par maintes îles occidentales
Où règnent d’Apollon bien des corrégidors.

 
Souvent me fut conté l’espace qui rayonne,
Domaine gouverné par Homère au front plein,
Mais je n’ai respiré son air pur et serein
Avant que par Chapman haut et fort il résonne.

 
Alors je me sentis comme un veilleur des cieux
Quand il voit s’y glisser un nouveau corps céleste
Ou le vaillant Cortes de ses yeux d’aigle bleu

 
Fixant le Pacifique – l’effroi que manifestent
Par leurs regards croisés ses hommes ! silencieux,
Lui, debout sur un pic du Darien, sans un geste.

 

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john keatsVoici le texte original de ce sonnet, hommage à la traduction que j’ai traduit aujourd’hui (toujours confinée en attendant que le coronavirus cesse de me rendre contagieuse), après avoir commencé à écouter ce cours de littérature comparée au Collège de France (je n’ai pas encore écouté la fin, ni le précédent, mais j’ai apprécié le début).

 

Much have I travell’d in the realms of gold,
And many goodly states and kingdoms seen;
Round many western islands have I been
Which bards in fealty to Apollo hold.
Oft of one wide expanse had I been told
That deep-brow’d Homer ruled as his demesne;
Yet did I never breathe its pure serene
Till I heard Chapman speak out loud and bold:
Then felt I like some watcher of the skies
When a new planet swims into his ken;
Or like stout Cortez when with eagle eyes
He star’d at the Pacific—and all his men
Look’d at each other with a wild surmise—
Silent, upon a peak in Darien.

John Keats, « On First Looking into Chapman’s Homer »

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Lézarder

 collage-minCoronavirus quand tu nous fais rester à la maison… c’est bon de s’amuser pour lézarder sans ennui. Là j’ai fait un petit collage-coloriage

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Lézards sur les pierres, l’un traînait sa queue fourchue, du fait d’une mue non décrochée. Je les imaginais grands comme des dinosaures : je ne pouvais plus exister. Retour à leur taille réelle : je respirais. (extrait de mon roman Forêt profonde)

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Coronavirus at home

 

Le coronavirus s’est invité chez nous, à plusieurs titres. D’après la médecin contactée par téléphone (pour ne pas la contaminer), O en a présenté ces derniers jours tous les symptômes, forte fièvre, forte toux, diarrhée… après avoir été en contact avec de nombreuses personnes qui ont voyagé récemment. J’ai lu que les hommes quinquagénaires, comme lui, sont les plus touchés par l’épidémie. Il va mieux maintenant. Comme on ne peut pas être testé, on n’est sûr de rien mais on se confine et on se soigne comme on peut, en alternant paracétamol et ibuprofène [ajout du 14-3 : je lis aujourd’hui que le ministre de la Santé recommande de ne pas prendre d’ibuprofène, seulement du paracétamol ; il ne pouvait pas le dire plus tôt ?]. La pharmacienne m’a dit qu’elle et ses confrères n’arrêtaient pas d’en vendre – les gens en achètent-ils par prévention ou parce qu’ils sont malades, on ne sait pas. Pour ma part, j’ai sans doute été contaminée aussi mais je n’ai pratiquement pas de symptômes, pas de fièvre, pas de toux, seulement une grosse fatigue, un peu de mal au ventre, des maux de tête et un très léger essoufflement qui ne m’empêche pas de continuer à faire mon yoga. Je sors seulement pour faire de rapides courses au supermarché, en faisant attention à ne pas trop m’approcher des gens – comme je ne tousse pas, ça va, mais le mieux serait de porter un masque et on ne peut pas acheter de masque. J’ai plus de soixante ans et j’ai eu un cancer récemment, si ça ne s’aggrave pas j’aurai eu de la chance, et je me dis que c’est peut-être aussi grâce au yoga quotidien.

O travaille avec des Américains, il se retrouve donc sans travail, et sans revenus car il n’est pas salarié. Bon, on va s’adapter. Tout le monde se retrouve dans une situation difficile avec ce virus, et je dois dire que la décision de Trump de fermer ses frontières ne paraît pas déraisonnable, même si elle doit affecter l’économie. Alors que l’épidémie battait son plein en Chine, à Roissy trois vols par jour continuaient à arriver de là-bas. Rien n’a été fait non plus pour contenir l’épidémie depuis l’Italie. On dit aux gens de se confiner s’ils sont malades, et en même temps on laisse le pays ouvert au virus. Pour ce coronavirus comme pour le reste, la politique montre son incohérence et son manque de vision, qui deviennent criants quand survient un problème grave et plus visible que les autres. Or il y en a et il y en aura d’autres.

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Siddhasana (Hatha-Yoga-Pradîpikâ)

Siddhasana,«  Siddhasana, l’asana parfait ou asana des Siddha

35. Ayant appliqué la plante de l’un des pieds  contre la région périnéale, on doit placer fermement l’autre pied au-dessus de l’organe sexuel. Pressant solidement le menton contre la poitrine, on doit se tenir droit, restreindre ses sens, et regarder fixement l’espace entre les sourcils. Ceci est proclamé le siddhasana qui ouvre de force les vantaux de la libération.

 

(…)

38. De même qu’une alimentation mesurée est pour les Siddha le premier des yama, et la non-violence le premier des niyama, de même les Siddha considèrent le siddhasana comme le principal d’entre tous les asana.

42. Si seulement le siddhasana est maîtrisé et fermement établi, sans effort, de lui-même, apparaît le stade de suspension des fonctions de l’esprit (unmani kala), et les trois ligatures (banddha) s’effectuent sans difficulté, spontanément.

43. Il n’y a pas d’asana qui égale siddhasana. »

Hatha-Yoga-Pradîpikâ, trad. Tara Michaël

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Tous les matins, en terminant ma séance de yoga, la joie de siddhasana.

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Sur l’épidémie. Et haïkus de l’aurore

 

L’épidémie nous rend à notre précarité, d’autant plus que notre santé n’est pas le souci du gouvernement. Depuis la nuit des temps les humains se battent pour vivre, pour s’entourer donc d’une meilleure sécurité. Il y a deux précarités, l’une profitable et l’autre nuisible. Ce n’est pas aux gouvernements de plonger les gens dans la précarité nuisible, celle qui tue. La seule précarité profitable est celle que les individus ou groupes d’individus préservent eux-mêmes dans leur existence, leur façon de ne pas se laisser domestiquer, de conserver un caractère aventureux et inventif à leur vie, de vivre leur liberté. Pour cela, la société doit travailler à protéger au mieux la sécurité physique et psychique de tous. En France aujourd’hui, si nous sommes grippés, il nous est demandé de ne pas aller voir notre médecin et de rester chez nous. À nous soigner comme nous pouvons, donc, sans possibilité de savoir si nous sommes ou non porteurs du coronavirus (le test étant réservé à ceux qui peuvent attester avoir fréquenté une personne ou un lieu reconnus contaminés) et en espérant que les choses n’empirent pas, qu’on n’en vienne pas à devoir appeler un Samu débordé pour être transporté dans un hôpital débordé. Les chiffres officiels de personnes contaminées (1412…), rapportés docilement par les médias, ne correspondent évidemment à aucune réalité, ou seulement à la réalité des contaminés détectés. Le mépris en marche de ceux qui ne sont rien.

 

une aube vue du train, photo Alina Reyes

une aube vue du train, photo Alina Reyes

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Aurore de mars.
Nocturne encore, le merle
l’appelle longtemps.

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Les pas au plafond
annoncent avec l’oiseau
le jour à venir

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Sommeil de l’aimé.
Je suis sa respiration
calme comme l’aube.

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Manif des femmes et haïkus des goélands

8 mars 1-min

8 mars 2-min

8 mars 3-min

8 mars 4-min*

Dans toutes les révolutions, des statues, des têtes tombent. Ceux qui pleurnichent sur les cibles de la révolution féministe devraient se réjouir que ses guillotines ne soient que symboliques. Mettre à bas les abuseurs, d’une façon ou d’une autre, est nécessaire pour renverser la loi de leur caste.

 

goelands-min

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Que de goélands,

volant, criant sous la pluie !

La Seine est en crue.

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Sur le pont cet homme,

seul, avec des bouts de viande

qu’il jette aux oiseaux

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Rafales de vent.

Les humains s’envolent presque.

Bientôt le printemps.

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goeland-minCe 8 mars à Paris, photos Alina Reyes

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