Madame Terre sur un lieu de « Manon Lescaut » et chez l’abbé Prévost

Il me suffit de vivre de tout mon corps et de témoigner de tout mon cœur.
Albert Camus, Noces
*

mme terre à la force

prise de terre à la force mise de terre à la force

trous des chaînes à la force

mme terre à l'église salpêtrière

Cette septième action poélitique de Madame Terre a été réalisée en deux temps, par moi puis par O. Je suis d’abord allée à la Pitié-Salpêtrière, à l’Hôpital où dans le roman Manon Lescaut est enfermée un temps, à l’époque où on y enfermait les pauvres, les fous et les délinquants. J’ai photographié Madame Terre devant la cour du bâtiment de La Force, où étaient internées les femmes, soumises à un régime souvent atroce – on a enlevé des murs aujourd’hui les anneaux de fer où étaient accrochées les enchaînées. Lieu sinistre s’il en est. Ensuite je l’ai posée au centre de cette église si particulière, panoptique, construite de façon à pouvoir surveiller depuis le centre les chapelles où étaient répartis par catégories les prisonnières et prisonniers de l’hôpital, pour les messes obligatoires.

en approchant de chez prévost

foret chantilly en approchant chez prevost

près de chez prévost

où est mort l'abbe prevost

mme terre où est mort prevost

prieuré abbé prévost

prieuré prévost

puits prévost
maison prévost

maison abbe prevost

mme terre devant le portail prevost

prise de terre chez l'abbe prevost

mise de terre abbe prevost

mme terre sur le mur maison prevost

mme terre sur le mur maison abbe prevost

lavoir prevost

chez prevost
Puis O s’est rendu, faisant près de 100 km à vélo en ce dimanche d’arrivée du Tour de France à Paris, passant par champs et par forêts, parfois en dehors des sentiers, sur trois lieux successifs : celui où est mort (à Courteuil),  puis où est enterré (au prieuré de Saint-Nicolas d’Acy), et enfin où a vécu (montant sur le mur de la maison, à Vineuil-Saint-Firmin ! ) l’abbé Prévost, auteur du roman dont voici un passage, situé au moment où le chevalier des Grieux s’apprête à faire évader Manon :

« Nous retournâmes le matin à l’Hôpital. J’avais avec moi, pour Manon, du linge, des bas, etc., et par-dessus mon juste-au-corps, un surtout qui ne laissait voir rien de trop enflé dans mes poches. Nous ne fûmes qu’un moment dans sa chambre. M. de T… lui laissa une de ses deux vestes ; je lui donnai mon juste-au-corps, le surtout me suffisant pour sortir. Il ne se trouva rien de manque à son ajustement, excepté la culotte que j’avais malheureusement oubliée. L’oubli de cette pièce nécessaire nous eût, sans doute, apprêtés à rire si l’embarras où il nous mettait eût été moins sérieux. J’étais au désespoir qu’une bagatelle de cette nature fût capable de nous arrêter. Cependant, je pris mon parti, qui fut de sortir moi-même sans culotte. Je laissai la mienne à Manon. Mon surtout était long, et je me mis, à l’aide de quelques épingles, en état de passer décemment la porte. »

Approche de « Barbare », de Nouveau-Rimbaud

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« Voici la Femme dont le corps
Fait sur les gestes et les signes
Courir la musique des lignes
En de magnifiques accords.

Je m’élance comme un barbare »

écrit Germain Nouveau dans son poème « La statue » du recueil Valentines, en une sorte de résumé fulgurant du poème « Barbare » des Illuminations. Continuant (ici et ) à nous demander qui est l’auteur réel de ce recueil composé par des éditeurs et attribué à Rimbaud à partir de textes copiés de la main de Rimbaud et de Nouveau mais non signés ni revendiqués par l’un ou l’autre poète, relisons aujourd’hui ce texte réputé parmi les plus énigmatiques. Mais avant de savoir de qui il vient, essayons de dégager un peu de quoi il parle.

Le premier vers est clair :

« Bien après les jours et les saisons, et les êtres et les pays, »

situant le texte au-delà du temps humain, évoque un jour du jugement dernier, logiquement suivi de scènes apocalyptiques dont les deux poètes, par leur éducation catholique, étaient imprégnés. Les « fanfares d’héroïsme » rappelant les trompettes de l’Apocalypse, « loin des anciens assassins » la séparation qui s’y opère entre les justes et les iniques, les « brasiers pleuvant », les « rafales de givre », le « vent de diamants », le « choc des glaçons aux astres » les précipitations d’astres, d’éclairs et de grêles sur la terre dans le texte biblique dont l’auteur se tient sur les grèves de la mer, donc du même point de vue que celui de « Barbare ». Quant à « la voix féminine arrivée au fond des volcans et des grottes arctiques », ne rappelle-t-elle pas celle de la Femme de l’Apocalypse qui crie dans les douleurs et le travail de l’enfantement ? Cette vision biblique n’est-elle pas transposée aussi dans « le pavillon en viande saignante » du poème ? Mais qu’est-ce qu’un pavillon ? D’abord, une tente militaire (dictionnaire Petit Robert) – et l’apocalypse est un temps de grands combats, d’où aussi peut-être la « viande saignante ». Puis l’étoffe qui recouvre le ciboire, le tabernacle, c’est-à-dire l’endroit où se tient le corps du Christ sous la forme de l’hostie – la « viande saignante » pourrait alors désigner, par l’évocation du corps saignant, l’ordonnateur de la révélation autant que la femme en train de le mettre au monde, le poème mêlant les grands bouleversements du jour du jugement et l’ « arrivée » dans les « douceurs » répétées de la cité céleste, l’Épouse.

Un grand texte est toujours polysémique. « Le pavillon » qui est, après un vers d’introduction-prologue, le premier puis le dernier mot de « Barbare » résonne finement et fortement comme étant celui qui se dit dans l’Apocalypse l’Alpha et l’Oméga, le Premier et le Dernier – le « verbe de dieu » dont, dit le texte biblique, « le manteau qui l’enveloppe est trempé de sang » (Ap. 19-13). Le « cœur terrestre éternellement carbonisé pour nous » ne serait-il pas évidemment un rappel de celui du Christ ? Mais ce sens premier et dernier n’empêche pas le déploiement d’images plus quotidiennes, comme les pavillons montés dans les jardins, et notamment au jardin des merveilles Mabille qui a pu inspirer d’autres poèmes du recueil ainsi que l’a souligné Eddie Breuil (certains vendant des viandes), ou encore les drapeaux qui pavoisent les navires ou autres mâts – et il n’est pas impossible que l’un ou l’autre des poètes, et spécialement Nouveau grand amateur d’art et de « reines » et « dames », ait vu et gardé en mémoire les tapisseries (cf « la soie » du poème) de la Dame à la licorne, au musée de Cluny assez récemment ouvert dans le Quartier latin qu’ils fréquentaient, avec leurs pavillons aux couleurs sanglantes, leurs pluies de fleurs blanches et de petites flammes, leur dame arrivée en apothéose à son « seul désir ».

Germain Nouveau consacra beaucoup de poèmes aux femmes, souvent déifiées, et fut un grand mystique. Nous pouvons voir d’autres indices qu’il ait pour le moins participé à l’écriture de « Barbare » dans certaines reprises du vocabulaire du texte dans d’autres de ses poèmes. Outre les vers cités au début, notons les termes « cendres », « diamant et feu », « s’écume », dans son poème « Ciels ». Ou encore, dans son poème « Le Mistral » la rime « fanfare/barbare », la « bannière » (proche du pavillon), et aussi, rappelant le « vent » et le « virement des gouffres » dans « Barbare », les « feuilles qui s’en vont en ronde » et ce vent de l’esprit qui œuvre à ce « que ce soit à n’y rien comprendre ». Sauf si on est assez attentif, pas trop dur du pavillon, et doté d’un peu, comme Nouveau le disait de lui-même (dans une lettre à Richepin du 12 février 1877), de « l’instinct de cette langue qui n’est ni d’hommes ni de femmes mais d’Esprits, de sorciers et de fées. » N’oublions pas qu’à la fin de sa vie, Nouveau signait ses textes « La Guerrière ».

*

Bien après les jours et les saisons, et les êtres et les pays,
     Le pavillon en viande saignante sur la soie des mers et des fleurs arctiques ; (elles n’existent pas.)
     Remis des vieilles fanfares d’héroïsme — qui nous attaquent encore le cœur et la tête— loin des anciens assassins —
     Oh ! Le pavillon en viande saignante sur la soie des mers et des fleurs arctiques ; (elles n’existent pas)
     Douceurs !
     Les brasiers pleuvant aux rafales de givre, — Douceurs ! — les feux à la pluie du vent de diamants jetée par le cœur terrestre éternellement carbonisé pour nous. — Ô monde ! —
     (Loin des vieilles retraites et des vieilles flammes, qu’on entend, qu’on sent,)
     Les brasiers et les écumes. La musique, virement des gouffres et choc des glaçons aux astres.
     Ô Douceurs, ô monde, ô musique ! Et là, les formes, les sueurs, les chevelures et les yeux, flottant. Et les larmes blanches, bouillantes, — ô douceurs ! — et la voix féminine arrivée au fond des volcans et des grottes arctiques.
     Le pavillon…

Nouveau/Rimbaud

« Philippe Soupault et le surréalisme », témoignage filmé par Bertrand Tavernier


Passionnant et magnifique, on ne voit pas le temps passer. Une leçon d’humanité, d’histoire, de poésie. Avec Alain Aurenche en interlocuteur. Et avec la musique d’Érik Satie. Soupault évoque un grand nombre d’artistes et de poètes qu’il a connus, de Charlie Chaplin à André Breton bien sûr, en passant notamment par Cendrars, ou Jarry, chez lesquels nous sommes allés, comme chez Satie, il y a quelques jours.

« Parade », d’Arthur Rimbaud et/ou de Germain Nouveau : un tableau du clergé pédophile

La lecture très stimulante du livre extraordinaire de l’universitaire Eddie Breuil, Du Nouveau chez Rimbaud a la vertu essentielle de pousser à la relecture totale des textes que des éditeurs successifs ont assemblés sous le nom d’Illuminations – textes jusqu’ici attribués à Rimbaud mais qu’aucun auteur n’a revendiqués et dont on sait seulement qu’ils ont été composés et copiés par Nouveau et Rimbaud alors qu’ils vivaient à Londres. Avant même d’avoir terminé le livre d’Eddie Breuil, que je vais bien sûr terminer, je me suis jetée de nouveau sur ce recueil pour le relire autrement. Et que d’enseignements ! Aujourd’hui je parlerai du poème en prose Parade, que je viens à l’instant de relire et dont le sens vient de jaillir de son opacité sous mes yeux (sens qui incline à l’attribuer plutôt à Rimbaud, en regard de son histoire, de sa « saison en enfer » avec Verlaine – alors que d’autres textes du recueil paraissent avec une grande évidence plutôt attribuables à Nouveau).

Qui sont donc les « drôles très solides » dont « plusieurs ont exploité vos mondes », qui sont « sans besoins » mais avec « expérience de vos consciences » ? Tout le reste du texte le proclame : des prêtres, et en particulier des prêtres pédophiles, dont les deux poètes ont pu avoir l’un et l’autre la mauvaise expérience dans leur enfance. « Comment regarderaient-ils Chérubin ? », ce jeune adolescent charmant ? « pourvus de voix effrayantes et de quelques ressources dangereuses ». Et pour arriver à leurs fins, « vieilles démences, démons sinistres, ils mêlent des tours populaires, maternels » (ne prennent-ils pas les enfants sur leurs genoux ?) « avec les poses et les tendresses bestiales ». « Maîtres jongleurs, ils transforment le lieu et les personnes, et usent de la comédie magnétique » : la sacristie devient lupanar, l’enfant devient objet sexuel, l’autorité spirituelle instrumentalisée en autorité sexuelle. « Les yeux flambent, le sang chante, les os s’élargissent » disent l’excitation de ces abuseurs, « les larmes et des filets rouges ruissellent », plaies des enfants abusés. « Leur raillerie ou leur terreur dure une minute, ou des mois entiers » : durée du viol et de sa répétition dans le temps. « J’ai seul la clef de cette parade sauvage », conclut le poète qui ne s’en enorgueillit pas, contrairement à ce qu’on croit, mais souffre de ce secret indicible.

*

Des drôles très solides. Plusieurs ont exploité vos mondes. Sans besoins, et peu pressés de mettre en oeuvre leurs brillantes facultés et leur expérience de vos consciences. Quels hommes mûrs ! Des yeux hébétés à la façon de la nuit d’été, rouges et noirs, tricolores, d’acier piqué d’étoiles d’or ; des faciès déformés, plombés, blêmis, incendiés ; des enrouements folâtres ! La démarche cruelle des oripeaux ! – Il y a quelques jeunes, – comment regarderaient-ils Chérubin ? – pourvus de voix effrayantes et de quelques ressources dangereuses. On les envoie prendre du dos en ville, affublés d’un luxe dégoûtant.

O le plus violent Paradis de la grimace enragée ! Pas de comparaison avec vos Fakirs et les autres bouffonneries scéniques. Dans des costumes improvisés avec le goût du mauvais rêve ils jouent des complaintes, des tragédies de malandrins et de demi-dieux spirituels comme l’histoire ou les religions ne l’ont jamais été. Chinois, Hottentots, bohémiens, niais, hyènes, Molochs, vieilles démences, démons sinistres, ils mêlent les tours populaires, maternels, avec les poses et les tendresses bestiales. Ils interpréteraient des pièces nouvelles et des chansons « bonnes filles ». Maîtres jongleurs, ils transforment le lieu et les personnes, et usent de la comédie magnétique. Les yeux flambent, le sang chante, les os s’élargissent, les larmes et des filets rouges ruissellent. Leur raillerie ou leur terreur dure une minute, ou des mois entiers.

J’ai seul la clef de cette parade sauvage.

Arthur Rimbaud/Germain Nouveau

Illuminations », une œuvre de Nouveau… Rimbaud ?

image-20160725-31190-bxodem En 2005, les élèves de deux classes de première d’un lycée de Brest ont “enluminé les Illuminations”. Lycee-iroise.over-blog.com

« Illuminations », une œuvre de Nouveau… Rimbaud ?

Je republie cet article paru dans The Conversation en l’antidatant afin de laisser place aux articles que j’ai publiés entretemps ici. En fait ma première relecture des Illuminations date du 22 juillet 2016.

Alina Reyes, Université Paris-Sorbonne – Sorbonne Universités

« Après le déluge », le poème en prose qui ouvre Illuminations, recueil factice comme le dit Eddie Breuil dans son livre Du Nouveau chez Rimbaud (dans la continuité duquel et grâce auquel nous pouvons procéder à une relecture totale de ces textes), a comme une grande partie du recueil, composé par des éditeurs d’après des manuscrits de la main des deux auteurs qui avaient pu se servir de copistes l’un à l’autre, toutes les chances d’avoir été écrit par Germain Nouveau plutôt que par Arthur Rimbaud.

Attribué à Rimbaud sans preuve, ce poème fait partie de ceux qui détonent grandement du style et du genre du recueil précédent, celui-là publié par Rimbaud lui-même, Une saison en enfer.

Germain Nouveau, « fils de vrais soleils »

Germain Nouveau (1851–1920).

Avant d’essayer de le démontrer, il faut le sentir, par tous les sens : c’est une question de lumière, de parfums, de sons, de goût, de toucher. Une grande partie des Illuminations, dont « Après le déluge », appartient à l’univers nouvellien, sent Germain Nouveau, poète de Provence, « fils de vrais soleils », comme il se définit dans une lettre du 27 juillet 1875 à Jean Richepin.

Un homme sensuel jusque dans sa mystique, amoureux réel des femmes, du théâtre et de la peinture, expérimentant tout, touchant – littéralement – à tout, goûtant les paysages lumineux, le Sud, les architectures étagées et colorées telles qu’en peinture ou en nature dans son pays natal où Cézanne n’en finit pas d’essayer de saisir la montagne Sainte-Victoire, la flore odorante – tout cet univers provençal portant sa contrepartie, la mort, comme le développa plus tard, entre autres, un Lawrence Durrell, et comme la propre mémoire du poète, marqué par plusieurs deuils dès son enfance où il perdit sa mère, sa sœur, son frère.

Avant les poèmes en prose des Illuminations, il y en eut d’autres de Germain Nouveau : les Notes parisiennes, qui en sont une préfiguration frappante. On y voit déjà ces constructions descriptives bien différentes des « Je est un autre » auxquels pourrait se résumer l’œuvre de Rimbaud depuis Une saison en enfer et même avant, dans Les déserts de l’amour, poèmes en prose autobiographiques de 1872.

Point de « je » dans « Après le déluge ». De purs tableaux, comme en composait Nouveau, amateur de peinture et peintre lui-même. Tableaux sensuels et fantasques, comme Nouveau et son écriture, visions de ville et de nature « comme sur les gravures », « les merveilleuses images ».

Où dans la maison paternelle la mort frappe comme « chez Barbe-Bleue » « les enfants en deuil » perdant le lait nourricier en même temps que leur mère (« le sang et le lait coulèrent »).

Où « l’idée du Déluge » (la tentation de la mort, du suicide ?) est partout rachetée par la vie même, le spectacle de la vie mouvante, faune et flore (lièvre, castors, chacals, sainfoins, fleurs, thym…), humanité, culture et nature réunies (barques et gravures, castors et mazagrans, piano dans les Alpes, hôtel dans les glaces, fleurs douées de regard, pierres qui se cachent…) en « premières communions » sauvages et démultipliées dans l’unité de l’être retrouvée, reconstruite quoique toujours fragile. Car après dissipation des déluges, des désirs de mort, reste la vie et ses vieux tours (« c’est un ennui ! »), avec son éternelle et vaine quête de « la Reine » (pour Nouveau, il l’a écrit notamment dans Valentines, « toutes les femmes sont des reines », même sorcières et allumant leurs braises dans « le pot de terre » de l’homme, du poète homme et condamné à ignorer ce que sait la femme.

Influences et collaboration de deux poètes

Comment ont travaillé les deux poètes ? Faut-il attribuer tel texte à l’un, tel autre à l’autre ? Ou y a-t-il eu, en plus de l’influence réciproque, collaboration lors de séances orales ou de recopies des textes – le caractère présurréaliste des Illuminations laissant entrevoir un possible travail en commun, comme ce fut le cas pour Breton et Soupault dans l’écriture des Champs magnétiques ? À lire certains textes des Illuminations, à les entendre, on a l’impression que le travail a même pu parfois prendre une forme proche de celle du cadavre exquis, chacun ajoutant sa vision, sa phrase, à celle de l’autre, et conduisant le poème à son terme dans cette alternance.

Quoi qu’il en soit, ce que cherchera toujours Nouveau, qui me paraît plus que possiblement l’auteur ou le coauteur de bien d’autres fameux textes des Illuminations, comme les « Villes » (comparer par exemple dans les Notes parisiennes des images telles que : « Le plafond s’effondre en fleurs idéales » à, dans « Villes [II] » : « L’écroulement des apothéoses ») mais aussi Being Beauteous, Bottom (et autres textes qui parlent de femmes avec une familiarité qui ne peut être de Rimbaud) ou Aube, c’est, comme il le dit aussi dans Valentines :

« Tandis que l’Astre de Beauté
C’est la Vérité qui ne voile
Pas plus la femme que l’étoile,
La véritable Vérité. »

À l’évidence, Nouveau est présent dans ce recueil, au moins autant que Rimbaud. Nouveau est un poète inégal mais certains de ses textes, comme l’avaient reconnu aussi Breton ou Aragon, sont de pur génie. Pourquoi n’eût-il pas été capable, dans un moment propice, cet exil de quelques mois à Londres avec Rimbaud, d’écrire ceux des Illuminations ?

inscriptions d’Arthur Rimbaud et Germain Nouveau au British Museum à Londres.
http://abardel.free.fr/biographie/quatrieme_sejour.htm

« Rimbaud-Nouveau, Nouveau-Rimbaud : on n’aura rien dit, on n’aura rien franchi poétiquement tant qu’on n’aura pas élucidé ce rapport », écrit Breton dans Flagrant délit : Rimbaud devant la conjuration de l’imposture et du truquage. Rimbaud qui voulait « la liberté libre » et Nouveau « la véritable Vérité » ne sont pas partis écrire ensemble par hasard. L’« autre » de Rimbaud n’est pas Verlaine, le bourgeois contrarié, avec qui ça ne pouvait finir qu’en enfer, mais Nouveau, autre homme aux semelles de vent et mendiant céleste. Il faudrait signer désormais Illuminations des deux noms de ces auteurs, ou bien de celui-ci, qui dit la sortie de la mort – à la fois de la Saison en enfer et de « l’idée du Déluge » : Nouveau Rimbaud.

The Conversation

Alina Reyes, Doctorante, littérature comparée, Maison de la Recherche, Université Paris-Sorbonne – Sorbonne Universités

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

Madame Terre chez Blaise Cendrars au Tremblay-sur-Mauldre

Pour Gaston Paris, la clef de la légende du Petit Poucet – comme de tant de légendes ! – est dans le ciel : c’est le Poucet qui conduit la constellation du Grand Chariot. En effet, Gaston Paris a noté que dans de nombreux pays, on désigne une petite étoile qui se trouve au-dessus du chariot, du nom de Poucet. »
Paul Valéry, L’homme et la coquille

mme terre au tremblay

mme terre sente blaise cendrars

mme terre devant la maison de cendrars

prise de terre à tremblay

mise de terre à tremblay

mme terre dans l'or de cendrars

mme terre et la main coupée de cendrars

mme terre debout sur la tombe de cendrars

Le nom de Cendrars porte la mémoire du feu, et c’est par cette après-midi de feu (38°) que O a parcouru à vélo 90 km aller-retour, pour aller accomplir la cinquième action poélitique de Madame Terre, au Tremblay-sur-Mauldre. Où le poète passa beaucoup de temps entre les deux guerres, avec sa machine à écrire, dans la « petite maison rose à côté du menuisier du pays », comme il disait, qui appartenait à sa femme Raymone Duchâteau (maison privée aujourd’hui située au bout de la sente Blaise Cendrars). Il repose aussi au cimetière du village, où son corps a été rapatrié en 1994.

O voyant les champs de blé a songé à L’Or, puis passant au cimetière a penché Madame Terre contre la Main coupée du poète.

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Je dois à Blaise Cendrars deux des titres de mes romans, extraits de ses poèmes : Quand tu aimes, il faut partir, et Il n’y a plus que la Patagonie – ce dernier vers se trouvant dans la fantastique Prose du Transsibérien, que j’eus le bonheur de dire un jour à la Maison de la Poésie à Paris. Dis, Blaise, sommes-nous bien loin de Montmartre ? À écouter, magistralement dite par Vicky Messica :
https://youtu.be/OvUjqy3EOqU

cendrars delaunay prose-du-transsiberien

La Prose du Transsibérien illustrée par Sonia Delaunay

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Et la sacrée vie du poète :

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