Je suis profonde

Qu’elle vienne de Mars, de comètes ou d’astéroïdes, de toutes façons elle vient du ciel, notre vie. Et de bien plus profond encore dans le ciel.

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Je suis le saint, en prière sur la terrasse, – comme les bêtes pacifiques paissent jusqu’à la mer de Palestine.

Je suis le savant au fauteuil sombre. Les branches et la pluie se jettent à la croisée de la bibliothèque.

Je suis le piéton de la grand’route par les bois nains ; la rumeur des écluses couvre mes pas. Je vois longtemps la mélancolique lessive d’or du couchant.

Je serais bien l’enfant abandonné sur la jetée partie à la haute mer, le petit valet, suivant l’allée dont le front touche le ciel.

Les sentiers sont âpres. Les monticules se couvrent de genêts. L’air est immobile. Que les oiseaux et les sources sont loin ! Ce ne peut être que la fin du monde, en avançant.

Enfance IV des Illuminations d’Arthur Rimbaud

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Poètes du feu de Dieu

Toujours pour fêter autrement la rentrée littéraire, j’ouvre une nouvelle série, « Poètes du feu de Dieu ».

La première citation sera très simple et très brève, la voici :

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Quelqu’un te cueillera, aube, comme se cueille la rose, ou viendras-tu seule, astre étranger qui fend le firmament ?

extrait du poème Dis-moi, aube, d’Issa Makhlouf

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La braise et la pluie parlent

Jour de braise et jour de pluie dans mon corps et âme… Voici ma traduction d’un poème de Rainer Maria Rilke.

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Levez les yeux, vous, hommes ! Hommes, là, au feu,
vous qui connaissez le ciel infini,
interprètes des étoiles, par ici ! Voyez, je suis une nouvelle
étoile montante. Toute mon essence brûle
et rayonne si fort, elle est si extrêmement
complètement lumière, qu’à moi le profond firmament
ne suffit plus. Laissez ma splendeur entrer
dans votre existence : ô ces regards sombres,
ces cœurs sombres, destins nocturnes
qui vous remplissent. Bergers, combien seule
je suis en vous. Tout à coup, je deviens un espace.
N’êtes-vous pas stupéfaits ? le grand arbre à pain
jetait une ombre. Oui, elle venait de moi.
Ô vous, intrépides, si vous saviez
comme maintenant, sur vos visages qui regardent,
brille l’avenir ! Dans cette puissante lumière
beaucoup de choses arriveront. À vous je fais confiance, car
vous êtes retirés ; à vous, authentiques degrés,
tout ici parle. La braise et la pluie parlent,
le trait de l’oiseau, le vent et ce que vous êtes,
rien ne prédomine, ne se gonfle en vanité,
ni ne s’engraisse aux dépens. Vous ne retenez pas
les choses dans l’interstice de votre thorax
pour les y torturer. Ainsi qu’une joie
par un ange afflue, à travers vous se presse
le terrestre. Et si tout d’un coup
s’enflammait un buisson d’épines d’où, encore,
pouvait vous appeler l’Éternel, si des Chérubins
daignaient près de votre troupeau
aller et s’avancer, vous n’en seriez pas étonné :
vous tomberiez face contre le sol,
en prière, et appelant la terre.

Mais cela fut. Maintenant du nouveau doit être,
qui va dilater l’orbe de la Terre.
Que nous est une ronce ? Dieu se projette
dans le sein d’une vierge. Je suis la lumière
de sa profondeur, qui vous conduit.

Rainer Maria Rilke, Annonce aux bergers (ma traduction, de l’allemand)

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La longue route de Patti Smith


Photo Patti Smith (et d’autres ici)

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Toute la presse parle de son dernier album, « lumineux« . Je suis formée aussi par la mystique de cette mouvance… La très belle et multiforme oeuvre de Patti Smith, entre autres, n’est-elle pas la preuve de la profondeur de cette spiritualité de son époque, qui peu à peu se décante ? Et voici aussi de la même artiste un poème, traduit par Jacques Darras et paru aux éditions Bourgois (d’autres aussi ici)

*

Nous marchions dans nos manteaux noirs,
balayant le temps, balayant le temps,
dormant dans des âtres abandonnés,
les quittant pour affronter la pluie.
Trempés, crottés, un peu fous,
pataugeant aux ornières, mâchonnant des bulbes,
tellement nous avions faim, tulipes
flamboyantes dans leurs corolles déchiquetées.

Nous nous décorions d’ombellifères,
œuvrant jusqu’à l’épuisement de nos fronts d’élus,
dans le murmure de la piste mystérieusement reconnue,
une pluie qui n’était pas la pluie, des larmes qui n’en étaient pas.

Et le Graal, ô le Graal si proche de nous,
parures d’aluminium habillées de soleil.

Les glaïeuls étaient en fleur, explosaient
par toutes les fentes. Le monde entier
attendait anxieusement que la sainte mère inspecte
nos mentons de cette chanson familière —

Aimez-vous le beurre?
Bon vous aimez le beurre…

puis nous nous arrêtâmes sur une colline jaune absolu.

Montâmes des chevaux, écumâmes des forêts
où d’espiègles fées dansaient sous nos pas.
Des branches se cassèrent contre nos visages.

Notre royaume au-delà d’une clôture maillée…

Luttâmes dans des carrières, marbres lisses,
nous agenouillâmes pour viser des proies en des cercles fervents.

Plantâmes furieusement nos camps,
tentes déchirées par nos piquets,
balafrées par la lame de nos couteaux de poche —
petits renards jaugeant la dureté du sol,
maudissant les basses terres de nous avoir fait si mous.

Moissonnâmes du seigle, en emplîmes des sacs, fîmes des oreillers
pour nos hommes. Essorâmes le sang de nos couches trempées,
couvrîmes les têtes décapitées des martyrs, épaulâmes
les seaux pleins à ras bord,
ne vîmes rien vîmes tout.

Chevauchâmes l’échine de la grande ourse, plongeant nos louches
dans la liqueur laiteuse étendue tel un lac blanc devant nous.

Nos vaisseaux arboraient des obscénités griffonnées
sur les voiles en parchemin, flottant au fil de rivières illettrées
retournées en mares de sang d’eau de pluie croupissante.

Soufflâmes nos chants d’éloge dans la corne d’animaux sacrés —
lazzi, confessions, prières adolescentes
tissées en tapisseries de jardins cloîtrés.

Finies les mères pour nous désormais, inventant liens infinitésimaux,
vœux éruptant dans un surcroît de violence sans rien maudire
que le fait d’être nés — notre allégeance au mouvement,
aux révolutions des étoiles.

Une lumière bleue émanait du sommet d’un être
que nous ne pouvions plus nommer. Gravîmes les degrés
menant à un ciel plus bleu balafré de fanions,
vent saignant. Goûtâmes le spectacle.
Puis tout disparut, mais nous n’étions plus là.

Avions un rayonnement nouveau. La rosée
gouttait à nos nez. Arborions peau brillante,
la quittant sans un soupir. Certains levaient leurs lanternes.
D’autres paraissaient aller dans leur lumière propre.

Montagnes enflammées qui n’en étaient pas,à l’horizon…

Approchant toujours plus, tombâmes sur des masses de grands manteaux
abandonnés par l’amirauté, pourpre royale déposée,
médailles d’honneur, bottes réglementaires en cuir de langue de chien,
bons de papier, peaux de bêtes, hermine et mouton portés par gens
de haut rang, princes et pilotes, mages et mystiques.

Nul rang n’ayant, choisîmes chiffons vifs cousus par des aveugles.
Étant d’un pays d’orbites. Vides.
Quoiqu’on eût trouvé tous les espoirs d’enfant à l’intérieur —
nos propres chères histoires, nos propres chères vies,
taillées dans l’étoffe de la lutte extatique.

Le jour où nous sûmes que nous allions partir, bondîmes
dans nos manteaux consacrés. Eussions pu marcher à l’infini
si telle ou telle autre chose ne nous avait tirés par nos manches amidonnées.

Brisant le cœur de nos mères nous devînmes nous-mêmes.
Nous mîmes à respirer et fûmes sur le départ,
Ivres, étonnés, chacun de nous un dieu.

À présent tu éteins la lumière.
Presses la mèche avec ton pouce.
Si ça colle, tu vas te brûler.
Si elle pète sec, tu te changeras
en rayon qui s’éteindra
avec la nuit en un rêve
parsemé de pacotille.

Vîmes les yeux de Ravel, cernés de bleu, clignant
deux fois. Entonnâmes des arias de notre cru, nullités psalmodiant
de vieux blues parlant de sol divin et de chaussures mortelles,
d’infanteries oubliées, de distances jamais vues en rêve —
pas plus loin que colline humaine, fîmes demi-tour à cause de soldats de plomb
stationnés dans les plis d’une couverture, à distance de main fraternelle,
d’ordre paternel, de sommeil —

…la longue route mes amis

Éclosâmes de nos chrysalides en pleine nuit,
ciel charbonneux alors d’étoiles qu’on ne voit plus.
Croyance d’enfant brodée sur des mouchoirs —

Dieu ne nous abandonne pas
nous sommes son seul savoir.
Nous ne devons pas l’abandonner
il est nous-même
l’éther de nos actes.

Le routard appelle, à la porte du temps, à la porte du temps.
Nous dormons. Faisons projet, doigts sur la vibrante corde.
Joyeusement lucides, nous recommençons.