« Ainsi lorsque les fauves, enfermés dans leurs cages et désaccoutumés des forêts, se sont apprivoisés, qu’ils ont abandonné leur mine menaçante et ont appris à supporter les hommes, si un peu de sang tombe dans leur gueule brûlante, leur rage et leur fureur renaissent ; réveillée par le goût du sang, leur gorge se gonfle. »
Lucain, Pharsale IV, cité en latin par Montaigne dans le livre III des Essais, traduit en note dans l’édition Folio classique
Je republie cette note de l’année dernière en y ajoutant cette photo de Federico Garcia Lorca âgé d’un an à Grenade
Retable de saint Michel par Juan de Flandes, datant de vers 1506 et se trouvant au musée diocésain de Salamanque.
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À Diego Buigas de Dalmau
Se voient depuis les rampes, par la montée, montée, montée, mules et ombres de mules chargées de tournesols.
Leurs yeux dedans les ombres sont obscurcis d’immense nuit. Dans les courbures de l’air, croustille l’aurore saumâtre.
Un ciel de mules blanches ferme ses yeux de mercure donnant à la calme pénombre un final de cœurs. Et l’eau se fait froide pour que nul ne la touche. Eau folle et découverte par la montée, montée, montée.
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Saint Michel plein de dentelles dans la chambre de sa tour montre ses belles cuisses ajustées par les lanternes.
Archange apprivoisé dans le geste des douze, feint une colère douce de plumes et de rossignols. Saint Michel chante dans les vitraux ; éphèbe de trois mille nuits, parfumé d’eau de Cologne et loin des fleurs.
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La mer danse sur la plage un poème de balcons. Les bords de la lune perdent des joncs, gagnent des voix.
Arrivent des grisettes, mangeant des graines de tournesol, leurs culs grands et occultes comme planètes de cuivre. Arrivent de grands messieurs et des dames de triste port, assombries par la nostalgie d’un hier de rossignols. Et l’évêque de Manille, aveugle de safran et pauvre, dit la messe à double tranchant pour les femmes et les hommes.
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Saint Michel se tenait sage dans la chambre de sa tour, avec ses jupons cloutés de miroirs et d’ajours.
Saint Michel, roi des globes et des nombres impairs, dans la perfection barbaresque des cris et des belvédères.
Federico Garcia Lorca Saint Michel (Grenade) (ma traduction, de l’espagnol), in Romancero gitano
Marcel Schwob, à qui le premier poème lu est dédié, est présent sur ce site. Un grand auteur méconnu, admiré par Borges. Comme Oscar Wilde, lisez-le, le dépaysement est certain, et le monde singulièrement agrandi.
Il y a bien longtemps, quand je faisais du théâtre, j’ai joué le rôle de l’Hirondeau dans le conte d’Oscar Wilde Le Prince heureux. Je l’ai joué avec deux amis pour des enfants autistes dans un hôpital de jour. Une grande expérience.
Il me semble que j’ai aussi joué ou dit une scène de Salomé d’Oscar Wilde, quoique je ne me rappelle pas en quelle circonstance. En tout cas j’ai cité ce texte dans l’un de mes textes. Ainsi vit la poésie, d’auteur en lecteur et auteur et de corps en corps.
Donc ne nous disons pas : – Nous avons nos étoiles.- Des flottes de soleils peut-être à pleines voiles Viennent en ce moment ; Peut-être que demain le Créateur terrible, Refaisant notre nuit, va contre un autre crible Changer le firmament.
Qui sait ? que savons-nous ? sur notre horizon sombre, Que la création impénétrable encombre De ses taillis sacrés, Muraille obscure où vient battre le flot de l’être, Peut-être allons-nous voir brusquement apparaître Des astres effarés ;
Des astres éperdus arrivant des abîmes, Venant des profondeurs ou descendant des cimes, Et, sous nos noirs arceaux, Entrant en foule, épars, ardents, pareils au rêve, Comme dans un grand vent s’abat sur une grève Une troupe d’oiseaux ;
Surgissant, clairs flambeaux, feux purs, rouges fournaises, Aigrettes de rubis ou tourbillons de braises, Sur nos bords, sur nos monts, Et nous pétrifiant de leurs aspects étranges, Car dans le gouffre énorme il est des mondes anges Et des soleils démons !
Peut-être en ce moment, du fond des nuits funèbres, Montant vers nous, gonflant ses vagues de ténèbres Et ses flots de rayons, Le muet Infini, sombre mer ignorée, Roule vers notre ciel une grande marée De constellations !
Victor Hugo, « À la fenêtre pendant la nuit » IV, in Les Contemplations
« Il faut aller vers le commun », disait déjà Héraclite (et j’avais ici donné en exemple la décolonisation nécessaire de la Palestine – je donnerais aujourd’hui comme exemple plus général et fondamental la décolonisation nécessaire des femmes, que les religions refusent de voir en égales des hommes et auxquelles elles imposent une ségrégation (visibilisée par les jilbebs, burkinis et autres voiles longs stigmatisants dans l’islam d’aujourd’hui, ou par les habits d’un clergé chrétien uniquement masculin), ségrégation contraire au principe d’égalité de la république. Abdulah Sidran semble lui faire écho en reprenant comme en refrain ces quatre vers (cinq en bosniaque) dans son poème, comme une définition et une mission de révélation de l’art poétique :
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Nous aurions dû plus tôt nous rendre à cette sage évidence :
les yeux du fou s’emplissent à minuit d’une lumière terrible,
un froid atroce règne dans ceux de l’aveugle ; dans les nôtres, ordinaires,
se reflète et se décompose l’image commune du monde.
Extrait du poème Ars poetica, d’Abdulah Sidran, traduit du bosniaque par Mireille Robin (revue Europe)
Un peu de musique « maison » puis les paroles du rap (avec à la fin la citation de l’abbé Pierre) de Nekfeu, qui va très bien dans la catégorie de mes « poètes du feu de Dieu »
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Je ne vois plus que des clones, ça a commencé à l’école À qui tu donnes de l’épaule pour t’en sortir ? Ici, tout l’monde joue des rôles en rêvant du million d’euros Et j’ai poussé comme une rose parmi les orties Je ne vois plus que des clones, ça a commencé à l’école À qui tu donnes de l’épaule pour t’en sortir ? Ici, tout l’monde joue des rôles en rêvant du million d’euros
Je t’avais promis qu’un jour tu te rappellerais de nos têtes Je ne suis pas prêt de me taire De la primaire au lycée, déprimé, je me sentais prisonnier Parce que les professeurs voulaient toujours me noter Pourtant, j’aimais les cours J’étais différent de tous ceux qui me disaient : « Soit tu subis, soit tu mets les coups » Moi, je rêvais d’aventure, griffonnais les devantures J’attaquais tout ce qui m’était défendu Rien à péter de toutes leurs émissions télé de vendus Je voulais voir le monde avant d’être rappelé devant Dieu Et, pour ne pas qu’on se moque de moi, je bouquinais en cachette Pendant que les gamins de mon âge parlaient de voitures Un des gars de l’époque bicravait des Armani Code Et, un beau jour, il a ramené une arme à l’école J’étais choqué de le voir avec un glock (Oui !) J’en ai rien à foutre de vos putains de codes (Oui !) J’avais peur, je l’ai dit, mais j’ai un cœur, je le dis Mais je suis toujours là pour mes putains de potes Maintenant, pour lui, le bruit des balles est imprimé dans le crâne Ceux qui traînaient dans le bât’ l’ont entraîné vers le bas
Faut jamais céder à la pression du groupe D’t’façons, quand tu fais du mal, au fond, tu ressens du doute Faut jamais céder à la pression du groupe D’t’façons, quand tu fais du mal, au fond, tu ressens du doute
Je ne vois plus que des clones, ça a commencé à l’école À qui tu donnes de l’épaule pour t’en sortir ? Ici, tout l’monde joue des rôles en rêvant du million d’euros Et j’ai poussé comme une rose parmi les orties
Je ne vois plus que des clones, ça a commencé à l’école À qui tu donnes de l’épaule pour t’en sortir ? Ici, tout l’monde joue des rôles en rêvant du million d’euros Et j’ai poussé comme une rose parmi les orties
Je suis un nomade, ne me dites pas qu’on est bons qu’à stagner Casse-toi, moi, je ne me sens pas casanier Instable, ne me parlez pas de m’installer Quand t’es différent des autres, on veut te castagner T’es malheureux quand t’as qu’un rêve et que tes parents ne veulent pas
Traîner vers le bas, t’inquiète, je te promets de me battre Non, je n’aime pas quand je me promène et que je vois Ce petit qui se fait traquer pour des problèmes de poids Mais pour qui se prend-on ? De tristes pantins J’écris c’te pensée pour que Le Christ m’entende Et, dans nos cœur, on est à l’ère de L’Age de Glace Aymé ? C’est plus qu’un personnage de H On n’est pas des codes barres T’as la cote sur les réseaux puis ta cote part, nan On n’est pas des codes barres T’as la cote sur les réseaux puis ta cote part Le regard des gens t’amènera devant le mirage du miroir Mais, moi, j’ai la rage, ma vision du rap, elle est rare Tant qu’un misérable s’endormira dans la rame Pendant que le rat se réchauffera sur les rails
Vu qu’on forme des copies conformes Qui ne pensent qu’à leur petit confort Vu qu’on forme des copies conformes Qui ne pensent qu’à leur petit confort
Je ne vois plus que des clones, ça a commencé à l’école À qui tu donnes de l’épaule pour t’en sortir ? Ici, tout l’monde joue des rôles en rêvant du million d’euros Et j’ai poussé comme une rose parmi les orties
Je ne vois plus que des clones, ça a commencé à l’école À qui tu donnes de l’épaule pour t’en sortir ? Ici, tout l’monde joue des rôles en rêvant du million d’euros Et j’ai poussé comme une rose parmi les orties
J’éduque ma peine en leur parlant de nous Je décuple mes sens comme un handicapé Comment trouver le chemin qu’on m’indique à peine ? J’me sens comme Andy Kaufman dans Man on the Moon
J’éduque ma peine en leur parlant de nous Je décuple mes sens comme un handicapé Comment trouver le chemin qu’on m’indique à peine ? J’me sens comme Andy Kaufman dans Man on the Moon
Nique les clones Nique les clones Nique les clones Nique les clones « Ceux qui ont pris tout le plat dans leur assiette Laissant les assiettes des autres vides et qui, ayant tout Disent, avec une bonne figure, une bonne conscience « Nous, nous qui avons tout, on est pour la paix ! » Tu sais c’que j’dois leur crier, à ceux-là ? « Les premiers violents, les provocateurs de toute violence, c’est vous ! Et quand, le soir, dans vos belles maisons, vous allez embrasser vos p’tits enfants, avec votre bonne conscience, au regard de Dieu, vous avez probablement plus de sang sur vos mains d’inconscients que n’en aura jamais le désespéré qui a pris des armes pour essayer de sortir de son désespoir. »»