Kundalini yoga

photo Alina Reyes

photo Alina Reyes

*

C’est un corps encore un peu courbaturé, et déjà un peu aminci, qui écrit cette note, au surlendemain d’un premier cours de kundalini yoga. Un corps rassasié, après avoir eu si faim d’exercice, durant les trois mois où il en a été privé, suite aux opérations chirurgicales (seule la marche m’était permise).

Le kundalini yoga est un exercice complet du corps et de l’esprit, conjuguant postures tenues longtemps et savamment enchaînées, concentration mentale (yeux fermés tout au long de la séance, guidée par la parole de la professeure), écoute de la musique légère diffusée, chant de mantras, temps de méditation, techniques de souffle, techniques de contractions, pratique répétée de la « respiration du feu ». Pratiques qui semblent ne demander, lorsqu’on les accomplit, que très peu d’efforts, voire aucun effort, et qui s’avèrent pourtant solliciter profondément le corps – en témoignent les moments où durant la séance le sang se met à chauffer sans raison apparente, puis l’état presque second dans lequel on en sort, et, du moins pour moi après un long temps sans exercice, les courbatures du lendemain, des cuisses aux épaules en passant par les abdos.

Diagramma-chakra-kundaliniLe travail ne s’exerce pas seulement sur les muscles et les articulations, mais aussi sur les organes, la circulation du sang, l’oxygénation, notamment du cerveau. Dès le premier cours, il est clair qu’il s’agit d’une pratique puissante (d’ailleurs dangereuse pour les personnes qui ont ou ont eu des problèmes psychiatriques). Une pratique spirituelle autant que physique. Kundalini, du mot sanskrit kundala qui signifie « entouré en spirale », désigne « une puissante énergie spirituelle lovée dans la base de la colonne vertébrale », une « énergie cosmique » (article détaillé : wikipédia). Très ancien, le kundalini yoga a été aussi appelé rāja yoga, yoga royal.

J’ai pratiqué au fil des années différentes formes de gym et de danse ; celles et ceux qui sont dans ce cas et savent donc contrôler les postures pour ne pas se faire mal peuvent s’initier au yoga sur Internet, s’il n’y a pas de cours assez bon marché à proximité ; mais je recommanderais au moins quelques cours en salle pour bien se pénétrer de l’esprit du kundalini. Il n’est pas indispensable d’être particulièrement souple, la souplesse s’acquiert avec la pratique. Personnellement j’ai  perdu un peu de souplesse avec les traumatismes chirurgicaux, mais il m’en restait assez pour pouvoir réaliser toutes les postures. J’espère retrouver toute ma souplesse originelle (par exemple, je réussis encore, à très peu près, l’exercice consistant à, couchée sur le dos, lancer les jambes derrière la tête jusqu’à toucher le sol des pieds, mais je ne peux plus du tout, comme je m’amusais à le faire avant, (mais cela ne nous a pas été demandé) ramener de là mes genoux au sol de chaque côté de ma tête pour l’encadrer), j’espère même l’améliorer. En tout cas j’ai été si satisfaite que j’ai changé mon cours hebdomadaire d’une heure pour un cours d’une heure et demie. Notre corps aussi veut être savant, apprenant.

*

Salle de réveil. Champions du monde !

Entendons « champions du monde » pas seulement comme « les plus forts du moment » mais surtout au sens chevaleresque : champions au service du monde, équipe de génies au service du monde. Admiration et joie.

La première chose que j’ai vue l’autre jour en ouvrant les yeux après l’anesthésie, ce fut le visage d’une infirmière peint aux couleurs de l’équipe de France. Au service de la vie.

*

Le Vélo ivre

Comme je descendais des Routes impassibles…

Apprenant à faire du vélo sur celui, trop petit, d’un petit voisin, je descendis la ruelle à toute allure, traversai la rue et m’encastrai dans la vitrine du boulanger. La fois suivante j’empruntai le vélo de ma grand-mère, trop grand, et descendant à toute allure la piste dans la forêt, je valdinguai, me retrouvai la pédale enfoncée dans le mollet, avec le muscle qui sortait par le trou et le sang qui giclait par gros jets rythmés (recousue sur deux centimètres par le médecin de campagne, sans anesthésiant et au gros fil, j’en ai encore la cicatrice). Je dus attendre l’adolescence, et mes premiers salaires, pour avoir un vélo à moi. Un mini-vélo, comme c’était alors la mode, sur lequel je montais à l’assaut de la dune à toute allure, et la redescendais encore plus vite, exultant – au plus haut point le jour où je revins de la forêt où j’avais fait pour la première fois l’amour. Moi qui avais tant rêvé de la vie de chevalier errant, je l’avais choisi blanc et appelé Arthur, en hommage à Rimbaud et au roi légendaire. J’allais avec lui jusqu’à la Pointe de Grave, à une bonne dizaine de kilomètres, puis je l’embarquai avec moi dans le bateau, nous traversions l’estuaire et nous reprenions la chevauchée une fois à terre, de l’autre côté.

Quand j’eus des enfants, il y eut un siège derrière mes vélos. Quand Le Seuil me fit un chèque de cinq mille francs pour mon premier roman, je les dépensai aussitôt en achetant un vélo pour chacun de mes fils, et pour moi un Grand Robert, pour rouler dans la vaste langue. Aujourd’hui mon vélo c’est le Vélib, ou les vélos empruntés au gré des déplacements. Ô présente Vigueur ! partenaire de la liberté, le vélo comme l’amour ouvre l’espace, démultiplie le temps, file l’ivresse de la tête et des jambes.

J’ai fait du cheval, aussi, ou de la moto, j’adore, mais le vélo c’est la monture la plus légère et la plus impertinente. O qui montait très haut dans la montagne à VTT maintenant parcourt l’Île de France et au-delà par dizaines de kilomètres avec Madame Terre. Pendant ce temps, comme le plus souvent je marche, avec bonheur aussi, j’aime bien prendre en photo les vélos que je vois dans tous leurs états, leurs repos presque toujours transitoires.

*

vélo

vélo

vélo

vélos

vélo

vélo

vélo

vélophotos Alina Reyes

*

L’invitation au voyage, de Baudelaire, mis en musique par Henri Duparc, chanté par Gérard Souzay ; et Kohei Uchimura ; Simone Biles

12 août : je reposte cette note en y ajoutant la prestation de Simone Biles hier soir aux Jeux Olympiques

entendue en écoutant une émission sur Baudelaire

« Là, tout n’est qu’ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté »

Madame Terre au Réveil Matin, lieu de départ du premier Tour de France

La leçon tous les ans renouvelée et qui manifeste que la France est vivante, est que le Tour est bien le Tour de France.
Louis Aragon dans le journal Ce Soir, dont il était directeur, le 24 juin 1947, à la veille de la reprise du Tour après la guerre.

madame terre au réveil matin

prise de terre au réveil matin

mise de terre au réveil matin

mme terre réveil matin

mme terre et jn h au matin réveil

Aujourd’hui, en chemin vers chez Alfred Jarry (ce sera la prochaine étape de Madame Terre), O, toujours à vélo depuis Paris, a réalisé notre action poélitique (voir la procédure à l’action précédente au château de Monte Cristo) au joliment nommé Réveil Matin, le café de Montgeron d’où est parti le premier Tour de France, en 1903.

Une occasion de relire son récit du Tour comme on le célèbre sur les bords des routes aux Pyrénées : ici

et de revoir, ah, ces vélocipédistes drôlement moustachus !

Le vainqueur fut Maurice Garin, né italien en 1871, et dont le métier et la petite taille lui vaudront plus tard le surnom de « Petit ramoneur« 

Et ce fut le début d’une longue, grande épopée, pleine d’étoiles :

*

« Comme dans l’Odyssée, la course est ici à la fois périple d’épreuves et exploration totale des limites terrestres. Ulysse avait atteint plusieurs fois les portes de la Terre. Le Tour, lui aussi, frôle en plusieurs points le monde inhumain : sur le Ventoux, on a déjà quitté la planète Terre, on voisine là avec des astres inconnus. » Roland Barthes, Mythologies

Eh oui, comme dirait Galilée, « si muove » ! Comme la Terre, comme les roues des vélos, avec ses stars et ses étoiles inconnues, le Tour tourne !

Pourquoi le foot peut nous satisfaire si profondément

football_tir*

La joie du supporter de foot quand son équipe marque un but s’apparente à celle que nous éprouvons quand nous pouvons enfin percer un bouton devenu mûr et en voir jaillir sa blanche réserve. Disons que ce sont là deux joies en miroir, à la façon du yin et du yang. Deux joies qui nous donnent une satisfaction, une plénitude à la fois sexuelles et philosophiques, en se résumant dans la joie de l’accomplissement. Le bouton percé libère son blanc contenu comme un pénis son sperme, mais en même temps c’est nous qui, en quelque sorte virilement, de nos doigts le perçons. Quant aux joueurs de foot, ils sont bien sûr comme des spermatozoïdes affairés à parvenir au saint des saints, au sacro-saint utérus où ils se qualifieront et assureront leur postérité.

Quand la balle – leur désir -, perçant soudain la défense, pénètre enfin dans la cage ouverte mais relativement étroite, l’extase du spectateur se manifeste par des bonds, des frétillements, des exultations, des cris souvent plus puissants que ceux que lui inspirent les moments les plus forts d’un film pornographique. À noter d’ailleurs que les films pornographiques, pour essayer de donner plus de sensations que n’en peut donner la pornographie, imitent les matchs de foot en cela qu’ils tiennent à montrer les éjaculations, plutôt que de les laisser avoir lieu à l’intérieur des corps, de façon invisible donc.

« Les méfaits du théâtre psychologique venu de Racine nous ont déshabitués de cette action immédiate et violente que le théâtre doit posséder », écrivait Antonin Artaud dans le chapitre « Le théâtre et la cruauté » du Théâtre et son double. Or le football ne « se borne » pas, comme ce théâtre psychologique que dénonçait Artaud, « à nous faire pénétrer dans l’intimité de quelques fantoches. » Le terrain, les joueurs, le ballon, les cages où il tente de pénétrer sont bel et bien matériels. Et l’engouement du public prouve que ce spectacle produit, même si de façon qu’on peut juger grossière, l’office qu’Artaud assignait au théâtre : « il est certain, ajoutait-il, que nous avons besoin avant tout d’un théâtre qui nous réveille nerfs et cœur. »

La propension de certains à ne voir dans le football que jeux du cirque tient de l’aveuglement puritain. Le puritain méprise volontiers les foules, trop charnelles et jouisseuses pour son goût racorni par la phobie. Pour cette raison, il se peut que le puritain soit allergique aussi bien aux manifestations révolutionnaires, aux mouvements sociaux de masse, qu’au football fédérateur de masses. Mais il se peut aussi qu’il compense son puritanisme à l’égard du football, figure d’un plaisir gratuit, « pour rien », par d’autres excitations de groupe jugées « utiles », comme le fait de partir à la guerre la fleur au fusil, pour la patrie, ou d’aller défiler dans la communion scandante et criante, voire mêlée de violences si affinités, pour défendre des droits. Communier pour des idéaux est plus noble, croit le puritain, que communier pour le seul plaisir, comme au foot. Le foot ne vise pas un idéal, il ne donne pas cette satisfaction prétendument élevée à l’esprit avide de vanités. Son but c’est le jeu, et le but du jeu c’est de marquer des buts. Pas avec la main, si habile à former des fantasmes, des images, des représentations de « fantoches », comme dit Artaud, ou des « fantômes », comme disent Kafka ou Guibert, mais avec les pieds, si bas, si humbles, aussi humbles que l’humus qu’ils foulent et parcourent, aussi humble que le corps humain en lui-même, fait d’humus comme l’expriment les mythes, et humide en ses intimités comme là d’où sort la vie, le vivant. Et montrer qu’on peut parvenir avec ce corps, cette condition primitive, à franchir la cage, c’est faire éprouver la satisfaction, la libération que n’obtient pas l’homme kafkaïen, bloqué toute sa vie derrière la porte de la loi par son pervers gardien. C’est, tout simplement, un moment au moins retrouver cet Éden dont deux redoutables chérubins, tels deux gardiens de buts, tiennent paraît-il l’entrée interdite à l’homme depuis sa « chute ».

Le foot nous montre qu’il n’est pas facile, mais pas impossible de nous libérer de la malédiction consécutive au prétendu péché originel. Allons, ne boudons pas notre plaisir. Car il est profond, donc ontologique, et politique. « Pénétré de cette idée, écrit encore Artaud, que la foule pense d’abord avec ses sens (…), le Théâtre de la Cruauté se propose de recourir au spectacle de masses ; de rechercher dans l’agitation de masses importantes, mais jetées l’une contre l’autre et convulsées, un peu de cette poésie qui est dans les fêtes et dans les foules, les jours, aujourd’hui trop rares, où le peuple descend dans la rue. » Si le football, comme jeu du cirque, peut servir les intérêts politiciens des puissants, il suffit de le considérer autrement, de le considérer comme ce qu’il est vraiment : une pensée, comme tout jeu, et une manifestation de vitalité et de vie, pour y trouver une leçon de puissance et d’énergie capable de dépasser et même de renverser les pouvoirs tristes des puissants de ce monde.

*