Actualité de « Totem et Tabou », au prisme de la Bible et du Coran

image-20160816-13028-196kroa« Le Sacrifice d’Abraham », Charles Le Brun, vers 1650-1655 (détail). Louvre Lens, exposition « Charles Le Brun, peintre du Roi Soleil ». Gregory Lejeune/Flickr

Alina Reyes, Université Paris-Sorbonne – Sorbonne Universités

Les religions abrahamiques reposent sur le sacrifice consenti par Abraham de son fils. La fin heureuse rapportée au chapitre 22 de la _Genèse _, avec le remplacement in extremis de l’enfant par un bélier (objet de remplacement qui évoque davantage un mâle mûr, un père tyrannique, qu’un enfant), ne suffit pas à apaiser les consciences.

Anthony van Dyck Crucifixion.

Le christianisme viendra apporter une justification supplémentaire à celles déjà données par la Torah en réaffirmant avec force que le sacrifice du fils, bel et bien « agneau » et non bélier, est la volonté de Dieu lui-même, identifié au père. L’islam reprend l’histoire biblique (Coran 37, 102-111) et tout en refusant vigoureusement son développement chrétien, la crucifixion de Jésus, trouve un autre moyen de racheter le geste d’Abraham, hautement loué dans le Coran comme acte de soumission à Dieu mais continuant à travailler souterrainement les consciences.

Matthias Stomer (1600-1650) : le sacrifice d’Abraham.

Abraham sacrifiant son fils est l’anti-Oedipe. Ces deux pôles du psychisme et de la pensée permettent de mesurer l’écart entre l’esprit sémitique et l’esprit grec. On ne peut considérer le meurtre involontaire de son père par Oedipe en faisant abstraction du sacrifice délibéré de sa fille par Agamemnon.

Frans de Jong. Le sacrifice d’Iphigénie (vers 1700).

La tragédie grecque, telle une Dikè, équilibre les mythes et les fautes des hommes, égarements dont elle les purifie en leur enjoignant d’en assumer les conséquences, tout en les dédouanant de l’énormité de la culpabilité par la mise en avant du rôle des dieux dont ils sont les jouets – autrement dit le poids de la condition humaine, où l’horreur se compense par la grandeur, et où l’insoumission ou la soumission au destin se dépassent par l’affirmation de l’humain, de sa pensée, de sa volonté, de son aspiration à la lumière par-delà ses aveuglements.

Freud et le meurtre du père originaire

Freud a développé sa version du péché originel dans _Totem et Tabou _ :

« Un jour, les frères qui avaient été chassés se coalisèrent, tuèrent et mangèrent le père, mettant ainsi fin à la horde paternelle. […] Le père originaire tyrannique avait certainement été le modèle envié et redouté de chacun des membres de la troupe des frères. Dès lors, dans l’acte de le manger, ils parvenaient à réaliser l’identification avec lui, s’appropriaient chacun une partie de sa force. Le repas totémique, peut-être la première fête de l’humanité, serait la répétition et la commémoration de ce geste criminel mémorable qui a été au commencement de tant de choses, organisations sociales, restrictions morales et religion. »

Saturne (Francisco Goya).

Ce tableau saisissant, digne d’un Goya, tel un repentir de son Saturne dévorant un de ses enfants, n’est étayé par aucune étude anthropologique à ce jour, et plus que jamais largement contesté par la communauté scientifique. Il s’agit en fait d’une profession de foi.

Ce fantasme spectaculaire est l’aveu d’une croyance en la culpabilité de l’homme, indépassable car inscrite à jamais dans sa chair à travers les générations (rien à faire, le père a été mangé, la victime de ses fils, nous, habite dans notre chair, un peu comme, dirait Hugo, « l’œil était dans la tombe et regardait Caïn »), doublée d’un assentiment au crime qui a été commis : puisqu’il a permis le développement de la culture.

La faute liée à la connaissance

Comme dans la Bible, la faute est liée à la science et au progrès. Adam pèche en goûtant, après Ève, le fruit défendu de l’arbre de la connaissance du bien et du mal. Le premier meurtre de l’histoire sera commis par l’un de leurs enfants. L’assassinat d’Abel par le cultivateur Caïn est un fratricide. La civilisation est désormais en marche, comme Caïn condamnée à courir le monde.

Caïn tuant Abel par Rubens.

En déplaçant la culpabilité sur tous les fils alliés, Freud perpétue en sous-main le rejet de la faute originelle sur la femme (les frères agissant selon lui pour la possession des femelles, nous pouvons en conclure que le crime est la faute des femmes… comme le viol est la faute des minijupes), et élimine la possibilité du juste, de l’innocent (Abel) ou même, comme le figurent les Évangiles, du bon larron – le pécheur que son bon cœur rachète.

Alors que sa dernière fille était adolescente, Freud s’est-il résolu à inventer ce mythe originel jusque-là tenu caché sous son complexe d’Oedipe pour échapper à sa culpabilité de père ? A-t-il préféré s’investir dans la posture du père (de la psychanalyse) « mangé » par ses disciples ? Et plus largement, se reconnaître coupable, et avec lui toute l’humanité, d’un crime justifiable, commis en tant que fils envers un père tyrannique, plutôt que d’assumer les erreurs commises par tout parent envers ses enfants faibles et innocents, erreurs qui sont parfois des fautes, voire des crimes ?

Au cœur de la sourate de La Caverne

Le Coran, troisième ensemble d’écrits découlant du mythe abrahamique fondateur, a perçu ce risque fatal, cette chute de l’homme dans le nihilisme intégral, cette vision de l’homme comme indépassablement marqué par et pour la mort – nihilisme dans lequel, au nom de ces mêmes écrits, des hommes n’ont cessé ou ne cessent de tomber, en contradiction avec les solutions de guérison apportées par leurs textes.

Au centre phonologique du Coran, le verset 74 de la sourate La Caverne raconte le meurtre, par le guide de Moïse, sans raison apparente, d’un jeune homme rencontré en chemin. La situation est a priori l’inverse de celle présentée par Freud. Ici c’est un idéal de père, le « guide », l’esprit du patriarche, qui tue un jeune homme.

L’heureux dénouement du sacrifice abrahamique n’ayant pas suffi à libérer l’homme de sa culpabilité, au lieu d’essayer de l’en délivrer comme Freud en inversant le sens du sacrifice et en diffusant la faute dans toute l’humanité, ce qui revient à la fois à la condamner spirituellement et à lui éviter d’en assumer la responsabilité, comme dans les systèmes de délégation totalitaires, le Coran soudain la regarde en face et laisse au lecteur, via Moïse, le temps de la stupeur puis de la révolte devant une si monstrueuse iniquité.

Avant de dérouler une explication laborieuse, dont Voltaire se moquera de façon détournée : la mise à mort du jeune homme était destinée à l’empêcher de commettre les crimes qu’il aurait commis s’il avait vécu.

Le désir du meurtre (de qui ?)

Andrea del Sarto, Sacrifice d’Abraham (vers 1528).
Art Gallery ErgsArt — by ErgSap/Flickr

D’un point de vue psychanalytique, nous retombons parfaitement sur nos pieds : le désir originel de meurtre ne vient pas du fils, mais du père. C’est lui qui, par conviction paranoïaque que l’enfant est habité par ses propres pensées criminelles, et par désir de les cacher au monde et à lui-même, tend à vouloir l’éliminer.

Voilà une leçon politique pour tous les âges : pris dans les rets du mensonge originel, qu’il soit religieux ou athée, des hommes réagissent en décidant de vouer l’humanité à la mort. De jardin et pour la vie, le monde est changé en cimetière. Aux jardiniers de débroussailler l’affaire, afin de la rendre vivable en neutralisant ses effets dévastateurs, pour les hommes et plus encore pour les femmes, éternelles suspectes à mettre sous voile ou tutelle.

The Conversation

Alina Reyes, Doctorante, littérature comparée, Maison de la Recherche, Université Paris-Sorbonne – Sorbonne Universités

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

à propos d’aimer & cie

tag tag 2 tag 3 tag 4hier à Paris 5e

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Conjuguer aimer, pardonner, faire des enfants, créer, avec il faut, comme si cela dépendait de nous, c’est vouloir donner des ordres à Dieu, ce qui est très mauvais. Ce n’est pas notre moi qui aime, qui pardonne, qui fait des enfants, qui crée, c’est Dieu à travers nous. C’est-à-dire cela se fait par soi-même. Sinon, c’est que ce n’est pas bon, pas vrai, faussé. Apprendre l’abandon, voilà la source du « cela se fait par soi-même », c’est elle qu’il faut retrouver, et là on peut dire il faut car le chemin est l’ascèse spirituelle, et chacun peut le suivre volontairement.

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Ramadan, écrin de la nuit du destin

Je republie ici mon troisième texte paru dans la revue The Conversation. Tous les articles publiés par cette revue sont sous licence Creative Commons Attribution/Pas de Modification, de sorte que vous pouvez republier les articles gratuitement, en ligne ou sur papier (voir procédé et conditions sur le site à chaque article).

Ramadan, écrin de la nuit du destin

 Wikimedia, CC BY-SA

Wikimedia, CC BY-SA

Alina Reyes, Université Paris-Sorbonne – Sorbonne Universités

Dans Relire le Coran, Jacques Berque évoque

la théologie musulmane, selon laquelle l’époque du Coran est justement celle où des miracles matériels, on est passé aux miracles intellectuels, aux miracles rationnels, aux miracles d’induction.

Donnons un exemple. Dans la Bible, aux versets 2 et 3 du psaume 19, on lit :

Les cieux racontent la gloire de Dieu… Le jour en prodigue au jour le récit, la nuit en donne connaissance à la nuit.

Et dans le Coran, au verset 6 de la sourate 57 :

Dieu fait pénétrer la nuit dans le jour et fait pénétrer le jour dans la nuit, il connaît parfaitement le contenu des poitrines.

Une célébration (le mystère)

Alors que la Bible chante là le miracle d’un univers enchanté et enchanteur, le Coran fait un bond des phénomènes physiques à ce qu’ils induisent dans la sphère psychique. L’islam outrepasse la sphère de la métaphore et de l’allégorie : il se situe sur un autre plan, profond de dimensions connues (intellectuelles, rationnelles) et inconnues, chargées (comme électriquement) de mystère, de ghayb.

Ramadan est une célébration du ghayb. Un temps de renversement de l’univers mental rationnel, destiné à appeler/rappeler le mystère et à le faire se révéler, à vivre le miracle d’induction. Habituellement, l’intellect pratique la déduction. Il s’agit de laisser place aussi à l’intuition et à l’induction – sans lesquelles l’homme ne serait que l’homme, un animal social inapte à l’invention, à la découverte, à la création, au dépassement. Renverser un temps cet animal suppose de renverser l’ordre habituel et rationnel des choses : au lieu de se préoccuper de son propre confort, songer aux autres et donner aux pauvres ; au lieu de manger le jour, manger la nuit ; au lieu de dormir la nuit, vivre (et lire le Coran) la nuit. Une sorte de dérèglement des sens tel que le prônait Rimbaud pour se faire voyant.

Une prescription (le jeûne)

Le Ramadan est prescrit par le Coran.

Le mois de Ramadan est celui au cours duquel le Coran a été révélé pour guider les hommes dans la bonne direction et leur permettre de distinguer la Vérité de l’erreur. Quiconque parmi vous aura pris connaissance de ce mois devra commencer le jeûne

est-il écrit notamment dans la deuxième sourate (La Vache), verset 185. De même que, dans la première citation, nous faisions un saut de la compénétration du jour et de la nuit au contenu des poitrines, nous bondissons ici de l’évocation d’un temps de révélation au commandement d’un jeûne. Si ce jeûne s’inscrit dans la lignée d’une pratique notamment juive, comme l’indique le verset 183 de la même sourate :

Ô croyants ! Le jeûne vous est prescrit comme il a été prescrit aux peuples qui vous ont précédés, afin que vous manifestiez votre piété.

S’il est comme dans bien d’autres traditions une occasion de faire pénitence et de demander le pardon de ses péchés, son orientation toute particulière sur la nuit lui donne sa pleine dimension. Déterminé en son début et en sa fin par l’observation de la lune, Ramadan est aussi, et sans doute d’abord, l’écrin qui contient l’énigmatique et insaisissable nuit du destin, Al-Qadr.

Une tradition (la nuit)

La nuit du destin est celle où le Coran, selon la tradition, est descendu à Mohammed dans la grotte de Hira. Elle revient lors de Ramadan, mais nul ne sait quand. De même que la nuit compénètre le jour et que Dieu connaît ce qui est dans les poitrines, le musulman qui veille connaîtra peut-être la descente dans son cœur de cette nuit qui éclaire, de ce ghayb qui permet de distinguer la vérité de l’erreur.

La nuit d’Al-Qadr, nuit du destin, vaut mieux que mille mois, dit le Coran (sourate 97, verset 3). Mille mois qui, bien sûr, ne comporteraient pas de nuit d’Al-Qadr, précisent les savants. Lesquels rappellent aussi que dire qu’elle est meilleure que mille mois n’exclut pas qu’elle soit meilleure que beaucoup plus que mille mois.

La nuit d’Al-Qadr revient à chaque Ramadan, mais personne ne sait quand. Le Coran n’aime pas donner ce genre d’indication. Par exemple, à propos de la longue nuit où furent plongés les dormants de la Caverne (sourate 18), Dieu seul sait, est-il écrit, combien de siècles ou de jours elle dura, et même combien furent ces endormis dans la mort qu’Il ressuscita. Le Coran rappelle à l’homme ce qui le dépasse et en même temps laisse ainsi ouverts les possibles et les possibilités d’interprétation.

Mille mois sans nuit d’Al-Qadr, cela n’existe pas, puisqu’elle a eu lieu. Elle a eu lieu de toute éternité, ou dès le commencement, c’est pourquoi on ne peut la dater. Elle est la descente de l’Être, de la Lumière sur la Terre, où elle projette ses ombres. Tout à la fois descente de la Lumière, parole de Dieu, et matrice de toutes ses ombres, formant nuit. Puissance, mesure, destin. Telles sont, dans l’ordre, les significations de Qadr. Elle est ce que l’être humain peut éprouver dans la nuit de ce monde : la puissance transcendante qui, en descendant, lui donne sa mesure, son destin.

La nuit d’Al-Qadr vaut mieux que mille mois sans nuit d’Al-Qadr. Or, mille mois sans nuit d’Al-Qadr n’existent pas, sont néant : la nuit d’Al-Qadr vaut mieux que le néant. La nuit d’Al-Qadr sort l’homme du néant comme Dieu sortit les justes de leur longue nuit dans la Caverne (sourate 18). Dans la nuit d’Al-Qadr, Dieu vient à la rencontre de l’homme comme au zénith le soleil saisit l’ombre pour la ramener dans la lumière.

Dans la nuit d’Al-Qadr, Dieu fit descendre le Coran d’un bloc, de sa matrice au premier ciel. De là l’Esprit Saint, Ar-Ruh (sourate 97, verset 4), Djibril, l’ange Gabriel, le révéla progressivement au Prophète, vingt-trois ans durant. Mais où demeurait-il, avant d’être entièrement révélé aux hommes ? Que sont cette matrice et ce premier ciel où il était gardé ? Respectivement, la Puissance et le En puissance de Dieu. Matrice où se trouve et se crée la mesure de tout, et d’où descend le destin, écrit en puissance, c’est-à-dire avec toutes ses virtualités, où peuvent se puiser toute liberté et tout accomplissement.

Le Coran fut cet écrit en puissance, avant d’être écrit, puis le temps d’être écrit. Et une fois écrit, il demeure en puissance, comme lecture toujours réactualisante. La nuit d’Al-Qadr continue d’être, et d’être Paix jusqu’à l’aube qui va bientôt paraître (sourate 97, verset 5).

The Conversation

Alina Reyes, Doctorante, littérature comparée, Maison de la Recherche, Université Paris-Sorbonne – Sorbonne Universités

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

La mesure du temps dans diverses civilisations

Nous venons de changer d’année. Mais de quelle année ? Et qui, nous ? Comme dirait à peu près Einstein, tout est relatif dans cette histoire. En tout cas, c’est une belle histoire, et qui n’est pas finie.

 

Les calendriers mésopotamiens, par Jean-Jacques Glassner
Présentation : « Les Sumériens et les Babyloniens, aux troisième, second et premier millénaires avant notre ère, ont une perception très différente de la temporalité. Il s’agit, pour les premiers, d’un temps qui se déroule selon un schéma sinusoïdal, selon les seconds, d’un temps qui épouse la forme d’un zigzag. Il se décline en mois, parfois en semaines, comme en Assyrie. Les mois sont généralement subdivisés selon les cycles lunaires. Les journées et les nuits, avec le calcul de la durée respective (variable selon les saisons) des unes et des autres tout au long de l’année, sont subdivisées en six « doubles heures », trois pour la nuit, trois pour le jour (la journée commençant le soir). Avec le développement de l’astronomie mathématique, la subdivision des heures en minutes et secondes se généralise. »
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Le calendrier en Chine, par Marc Kalinowski
Présentation : « Le calendrier a occupé en Chine une place prépondérante. La chronologie chinoise compte parmi les plus anciennes du monde et l’usage de calendriers annuels inscrits sur lamelles de bambou est attesté dès les premiers empires au IIIe siècle avant notre ère. L’importance accordée aux techniques de notation du temps peut être mise en rapport avec la dimension agraire de la civilisation chinoise, et de manière plus décisive avec le rôle dévolu au calendrier dans la légitimation du pouvoir et l’élaboration de liturgies saisonnières régulant les activités politiques et sociales. Les caractéristiques de cette forme de cosmologie calendaire seront présentées sur les plans de la philosophie de la nature, des sciences traditionnelles et des représentations symboliques de l’espace et du temps. »
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Les calendriers mésoaméricains, par Danièle Dehouve
Présentation : « La Mésoamérique, aire culturelle qui comprend la partie méridionale du Mexique et plusieurs pays d’Amérique centrale, a été le siège de la découverte de calendriers sophistiqués, indépendamment de l’Ancien Monde. Ses nombreuses populations (Olmèques, Mixtèques, Zapotèques, Mayas et Aztèques) ont partagé, à partir de 600 avant J.-C., un système complexe fondé sur l’articulation des cycles de plusieurs astres (Soleil, Vénus, Mars…) au moyen d’un cycle « artificiel » de 260 jours. Au fondement de la divination et de la mise en oeuvre des guerres, des rituels et des sacrifices, les calendriers mésoaméricains sont parvenus à des calculs très exacts embrassant des millénaires. »
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Le temps chrétien au Moyen Âge, par Jean-Claude Schmitt
Présentation : « Avant que la globalisation du monde et les technologies modernes n’exigent et ne permettent la mesure universelle d’un temps de plus en plus abstrait des rythmes naturels du soleil, de la lune et des étoiles, chaque civilisation s’est dotée de calendriers appropriés à ses usages pratiques et symboliques du temps : qu’il s’agisse des cycles annuels ou du découpage égal ou inégal des mois ou des heures, la variété des solutions proposées (depuis la Mésopotamie ancienne jusqu’aux débats actuels sur le Temps Atomique International, en passant par les calendriers des civilisations précolombiennes et la détermination de la fête mobile de Pâques pour les chrétiens), n’a d’égal que le raffinement stupéfiant des spéculations élaborées dans chaque culture par les prêtres ou les astronomes.
Un regard historique et comparatif s’impose pour éclairer les énigmes que le temps et sa mesure ne cessent de poser aux hommes et aux sociétés. »
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La mesure du temps de la révolution industrielle à nos jours, par Christian Chardonnet
Présentation : « Pendant des siècles, les indications fournies par un cadran solaire suffisaient pour les besoins des hommes, peu mobiles. Avec l’avènement de l’ère moderne puis industrielle, il a fallu connaître l’heure en tout point d’un pays puis de la planète avec une précision de plus en plus élevée. Les progrès scientifiques dans la mesure des mouvements de la Terre ainsi que les progrès technologiques de l’horlogerie ont permis de répondre à ces nouveaux besoins jusqu’au milieu du XXe siècle. Grâce à la physique quantique, une nouvelle étape a été franchie dans la précision ultime de la mesure du temps avec les horloges atomiques. L’application la plus spectaculaire est le système GPS qui sert à définir un Temps Atomique International (TAI) mais aussi et surtout à la géolocalisation, une application désormais indispensable. Le refroidissement des atomes par laser a enfin permis de pousser l’exactitude des horloges atomiques : l’erreur commise n’excède pas 4 secondes à l’échelle de l’âge de l’Univers (13,7 milliards d’années). »
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Quand nos calendriers révèlent notre vision du monde, émission de Florian Delorme avec Jean Lefort, Caterina Guenzi, Sylvie-Anne Goldberg
Présentation : « Il existe une immense diversité de calendriers et de façons de calculer le temps qui passe : avec la lune, le soleil, les deux… Aucun n’est exact, et il faut toujours des ajustements dans le nombre de mois, de jours choisis. Le calendrier grégorien, calendrier solaire, n’est qu’une légère adaptation du calendrier julien qui date de l’époque de Jules César : 12 mois de 30 ou 31 jours, des années bissextiles, des semaines de 7 jours.
Il s’est imposé comme la mesure du temps universel, de par la domination scientifique de l’Occident mais aussi pour des impératifs commerciaux. Pourtant, il a toujours fait l’objet de critiques et de tentatives de réforme. Pour beaucoup, le calendrier grégorien est lié à l’histoire du christianisme et loin d’être le mode de calcul le plus pratique. De l’Inde au judaïsme, des dizaines d’autres calendriers lui ont survécu et continuent de structurer la vie de communautés dans le monde. Construire un calendrier, c’est croiser problèmes mathématiques et aspects culturels.
Pourquoi le calendrier grégorien reste-t-il malgré tout, au fil des siècles, le « temps-monde » ? »
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À lire également : le calendrier juif ; les musulmans et la mesure du temps
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Des prépuces et des lettres

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 Genèse 1, 17 (ma traduction, puis mon commentaire)

23. Abraham prit Ismaël son fils, tous les esclaves nés dans sa maison, tous ceux acquis par l’argent, tous les mâles des gens de la maison d’Abraham, et il circoncit la chair de leur prépuce, dans l’os de ce jour, comme le lui avait dit Dieu. 24. Abraham était âgé de quatre-vingt dix-neuf ans quand lui fut circoncise la chair de son prépuce, 25. et Ismaël son fils avait treize ans quand lui fut circoncise la chair de son prépuce. 26. Dans l’os de ce jour furent circoncis Abraham et Ismaël son fils, 27. et tous les hommes de sa maison, esclaves nés dans la maison ou achetés de fils d’étranger, furent circoncis avec lui.

Nous voici dans le vif du sujet. Chair pour chair, sang pour sang, promesse pour promesse. Dieu donne l’immense descendance, il demande la dîme. Tout en prescrivant la circoncision de tous les mâles de la maison dans toutes les générations, il accomplit lui-même la première circoncision, celle de… Saraï. Saraï devient Sarah : voilà son nom, et donc son être dans la logique hébraïque, circoncis d’une lettre. Ce petit iod au bout de son nom, le voici coupé. Sarah est l’unique circoncise, et uniquement par Dieu, et premièrement avant une multitude de mâles dans les générations des générations.

Saraï n’a pas eu d’enfants, Sarah aura un fils. Abram, lui, a gagné une lettre, il devient Abraham, pour correspondre, par une assonnance un peu vague, à son nouveau statut de père d’une multitude. Un au sein de son nom comme un signe de sa perpétuelle grossesse. Sarah est circoncise, Abraham est enceint, c’est l’humour et le monde de Dieu, le monde de la Langue, dont la chair n’est qu’un miroir où l’on voit confusément la Vérité.

Dieu est pédagogue, il instruit les hommes progressivement. La circoncision sera comme un moyen mnémotechnique, inscrit dans leur chair, aux fins dernières de leur chair : qu’ils n’oublient pas qu’ils sont liés à Lui, à sa Parole. Et que la vie qu’ils donnent par la chair, en vérité vient de Lui. Peut-être aussi a-t-il constaté, Dieu, qu’il était nécessaire de rendre plus conscient l’usage de leur corps et du corps d’autrui que faisaient les hommes, comme Abram et Saraï. Ces derniers n’ont-ils pas, quelques années plus tôt, usé des charmes de Saraï pour la faire entrer au gynécée de Pharaon et profiter ainsi de ses largesses ? (Ils vont refaire le coup avec un autre roi, Abimélek, quelques temps après la circoncision : ne pas prendre à la lettre leur âge canonique). N’ont-ils pas utilisé l’une de leurs esclaves comme mère porteuse, pour pallier la stérilité de Saraï ? N’est-il pas nécessaire de faire comprendre aux êtres humains que leur corps n’est pas une chose à leur disposition, mais appartient à Dieu ? La circoncision n’était-elle pas un moyen de le rappeler aux hommes comme aux femmes ?

La circoncision est une défloration de l’être opérée par Dieu. En Dieu, les ouvertures du corps correspondent, la bouche est œil et oreille et réciproquement (cf l’Épître aux Hébreux et Agar au puits). Incirconcis, l’homme est bouché, au propre comme au figuré : un cœur incirconcis est en hébreu une intelligence bornée. Le prépuce est comme une paupière sur l’œil, le couper c’est pratiquer un geste d’éveil.

Ainsi coupés, les hommes paradoxalement conserveraient mieux leur intégrité, et éviteraient d’être « coupés » de leur peuple (cf v.14). Du point de vue du rapport entre les sexes, le fait que les hommes soient déflorés « par » et pour Dieu retire aux femmes de leur éventuelle prétention sur le corps des hommes, voire un brin de fantaisie. Voilà aussi, peut-être, la petite chose qui est retirée à Sarah avec la dernière lettre de son nom. Moyennant quoi, on peut passer aux choses sérieuses : la procréation.

Sérieuses, vraiment ? Oui, si le sérieux est dans la grâce. Abraham rit, comme Sarah le fera aussi à la même annonce, et le prénom prévu par Dieu pour leur fils porte la marque de ces rires : Isaac, c’est « Ari ». Leurs rires sont la réaction de qui n’ose y croire et pourtant en exulte déjà. Ces rires sont l’entaille de joie que fait la parole de Dieu dans la chair de la raison. Ce sont rires de délivrance et de libération.

Circoncire le iod du nom de la femme d’Abraham, ce iod qui disait « ma », est un signe de son non-assujettissement à l’homme. Elle n’est plus « Ma princesse », elle est « Princesse ». Sarah n’est plus sienne à la façon dont Ève l’était d’Adam, os de ses os et chair de sa chair, elle est qui elle est en Dieu – grâce à quoi elle devient féconde. Son fils sera non celui de la chair, mais celui de la promesse (cf Galates 4, 22-23 : Il est écrit en effet qu’Abraham eut deux fils, un de la servante, un de la femme libre. Mais celui de la servante était né en descendant de la chair, et celui de la femme libre via la promesse). Abraham et Sarah ne sont plus assujettis l’un à l’autre, mais à Dieu. Le iod perdu, de valeur 10, est remplacé par deux de valeur 5, un dans le nom d’Abraham, l’autre dans celui de Sarah : rien n’est perdu, tout est redistribué.

Ce est la marque de Dieu dans leur nom, petite lettre donnée en partage de même que les hommes vont donner une petite part de chair comme alliance avec Dieu, et avec les autres hommes institués par ce signe peuple de Dieu, à la fois dans l’espace (de leurs pérégrinations) et dans le temps (de leur descendance).

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Extrait de mon livre Voyage

Voir aussi, extrait du même livre : Une lecture de la sourate Al-Kahf, La Caverne

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