Luminet, Rosset, deux lecteurs d’Eurêka : cherchez l’erreur

EurekaJean-Pierre Luminet a étudié  en astrophysicien et en poète l’œuvre ultime – à tous les sens du terme – de Poe, Eurêka. Il écrit notamment :

« on trouve dans Eurêka plusieurs intuitions fulgurantes qui semblent anticiper plusieurs découvertes de la physique du XXe siècle : l’âge fini des étoiles comme explication du noir de la nuit (cf. l’extrait du chap. XI), les trous noirs et les trous de ver, la théorie du chaos, la matière sombre, l’existence des nébuleuses extragalactiques et leurs regroupements en amas de galaxies, l’expansion de l’espace, l’atome primitif, le Big Crunch et les univers-phénix… »

Pas moins. Comme le dit quelque part Poe, les génies se comprennent et s’estiment entre eux, les autres tombent en idolâtrie, en haine ou mépris devant les génies. Le philosophe Clément Rosset, lui, n’a rien vu dans le texte de Poe. On a le droit de ne pas savoir lire, mais est-ce une raison pour clamer qu’il n’y a rien d’écrit ? C’est ce qu’il fait, affirmant de toute son « autorité » :

« Une fois le livre lu, on se demanderait en vain ce qu’a découvert Edgar Poe. J’ai trouvé, soit, mais trouvé quoi ? Le plus remarquable de cet Eurêka est qu’il n’y ait précisément rien de découvert alors que son auteur est persuadé d’avoir fait une découverte immense et de révéler au lecteur un secret fabuleux. Car il n’y a dans Eurêka, pas même de théorie fausse, de doctrine fantaisiste, d’hypothèse d’illuminé : il n’y a pas de théorie du tout, il n’y a exactement rien de dit. »

Déclaration publiée dans un livre de Rosset intitulé Le Réel : traité de l’idiotie – comme c’est bien dit (toutes proportions gardées, ça me rappelle mes passages devant certains jurys de l’agrégation)

*

 

Eurisko. Le rire de Poe

David_Plunkert__Edgar_Allan_Poe« Edgar Poe (…) de qui l’analyse s’achève parfois, comme celle de Léonard, en sourires mystérieux », écrit Paul Valéry dans son Introduction à la méthode de Léonard de Vinci. C’est sans doute qu’il ne l’a pas suivi assez loin, qu’il ne l’a pas suivi jusqu’au bout. Car chacune des histoires de Poe vise une décharge. C’est de la littérature érotique masquée. D’où son succès, sa formidable vitalité malgré les apparences morbides. Qui ne sont que celles de petites morts. Le lire va au soulagement et à la satisfaction. Si l’on y va assez fort, assez profond, si on le comprend en plénitude, si on le réfléchit assez, ce qui vient ensuite ce ne sont pas des sourires mystérieux, c’est le rire, le rire clair et absolument joyeux, le rire de tout le corps et l’esprit.

*

« La Relation d’Arthur Gordon Pym » lue par Jean-Pierre Naugrette

deux pages de ma thèse en couleurs

deux pages de ma thèse en couleurs

*

Je suis allée hier chercher dans une bibliothèque l’excellente édition, que je ne connaissais pas, des Histoires, Essais et Poèmes de Poe dans La pochothèque du Livre de Poche. Voici un passage de la très belle présentation par Jean-Pierre Naugrette du si énigmatique Arthur Gordon Pym – réflexion directement en relation avec le sujet de ma thèse, « Poétique du trait » :

« … remarquons que le même mot anglais, figure, est utilisé pour désigner à la fois le dessin des grottes et la « figure » blanche et voilée sur laquelle s’achève le récit. Il y a bien là, pour reprendre les termes de Ricardou, un « Voyage au bout de la page », c’est-à-dire une quête en abyme de l’écriture, du dessin, de la gravure inscrits contre et sur ce « vide papier que la blancheur défend » dont parle Mallarmé dans « Brise marine ». Dans cette perspective, Pym et ses compagnons seraient à la recherche de l’écriture, à la fois dans l’eau des ruisseaux, dans le labyrinthe, les hiéroglyphes des cavernes, et « cette figure humaine » qui pourrait être le spectre même de l’écrivain. Pym, faux personnage vrai, s’arrêterait au moment où il rencontrerait la figure voilée de Poe, l’auteur même qui l’a enfanté au bout de ces neuf mois : figure ambiguë, à la fois homme et femme, aussi hermaphrodite que le brick-goélette inconnu. »

Mes autres notes sur ce roman, à suivre : En lisant Arthur Gordon Pym

Pour d’autres notes sur Poe, dont des traductions et des vidéos : mot-clé Edgar Poe (à suivre) ; associé au thème de ma thèse, voir aussi Écriture et dessin

*

Élucidation d’Arthur Gordon Pym d’Edgar Allan Poe

Place Clichy, dimanche 13 août à 8 h du matin, photo Alina Reyes

Place Clichy, dimanche 13 août à 8 h du matin, photo Alina Reyes

*

J’ai la joie d’annoncer, alors que j’entends les cloches de l’église sonner, me rappelant que nous sommes le 15 août, fête de l’Assomption, que ce matin à 8 h 57 j’ai élucidé, dans une soudaine illumination, les énigmes du roman The Narrative of Arthur Gordon Pym, sens cherché avant moi, avec beaucoup de talent, successivement par Marie Bonaparte, Gaston Bachelard, Jean Ricardou, l’une et les autres ayant émis diverses hypothèses non inintéressantes mais non concluantes. Or la chose est d’une simplicité adorable, géniale ! Borges non plus ne l’a pas comprise. J’y ai beaucoup songé ces derniers jours en lisant Poe, entre autres, et même ces dernières nuits en rêvant, et comme mes prédécesseurs je voyais des pistes intéressantes, mais pas l’arrivée, le sommet. Or ça y est, j’y suis ! Je ne peux le dire ici tout de suite, car il faut que j’accompagne ma démonstration de beaucoup d’éléments, pour montrer sa beauté et la rendre plus savoureuse, il me faut maintenant prendre le temps de faire cela – et je vais continuer à collecter d’autres éléments avant de le faire. Simplement je l’annonce comme, enceinte, on annonce le bébé à naître, même s’il reste encore invisible. Et une telle annonce, dans les âmes bien nées, apporte toujours une grande joie.

Mes autres notes sur ce roman, à suivre : En lisant Arthur Gordon Pym

*

En lisant Poe et Borges

William Bouguereau, "Dante et Virgile"

William Bouguereau, « Dante et Virgile »

*

J’ai donné dans la note précédente ma traduction de l’énigmatique dernière phrase du roman de Poe, Les Aventures d’Arthur Gordon Pym. C’est un roman dont parle souvent Borges, qui l’a fortement impressionné, et dont il pense qu’il a inspiré Melville pour Moby Dick. En relisant des entretiens et des nouvelles de Borges, je tombe sur « L’imposteur invraisemblable Tom Castro », dans Histoire universelle de l’infamie. « Ese nombre le doy » (« Je lui donne ce nom »), sont les premiers mots de cette nouvelle, comme « My name is Arthur Gordon Pym » sont les premiers mots du roman de Poe, et comme « Call me Ishmael » sont les premiers mots du roman de Melville. Mais le vrai nom de son personnage, dit quelques lignes après Borges, son nom à l’état-civil, est Arthur Orton. Bien entendu, le lecteur informé y voit la référence à Arthur Gordon Pym. Pourquoi Borges a-t-il donné ce nom à un imposteur, dont il dit en guise de résumé dans les dernières lignes de sa nouvelle : se hizo querer ; era su oficio (« il se fit aimer ; c’était son métier »), c’est une question qui peut nous aider à comprendre la dernière phrase du roman The Narrative of Arthur Gordon Pym, récit d’Edgar Allan Poe.

Ce qui est curieux dans ce tableau de Bouguereau illustrant un passage de l’Enfer de Dante, outre le tableau lui-même, c’est que Virgile et Dante, qui sont les spectateurs de la scène, à l’arrière-plan, lui donnent son titre. Bouguereau, comme les poètes, peint le mal de l’emprise de l’homme sur l’homme.

*

Mes autres notes sur ce roman, à suivre : En lisant Arthur Gordon Pym