L’être fut, est, sera. (mais se perd s’il se met à chanter faux)

 

La disparition d’un être, c’est aussi étrange que l’apparition d’un être. Jamais je n’ai pu croire qu’un enfant venant de naître venait du corps qui venait de l’enfanter, de ce corps visible de sa mère. Jamais je n’ai pu croire qu’un être qui venait de mourir se trouvait désormais dans ce corps sans vie, ou dans ces cendres de son corps. Un être qui apparaît où il n’y était pas vient d’ailleurs. Un être qui disparaît d’où il était va ailleurs. Si cet ailleurs était le néant, alors ce ne serait pas le néant, puisqu’il serait habité.

Quelqu’un que j’ai retrouvé m’a rappelé que lorsque j’habitais à Bordeaux, ma porte était toujours ouverte (au propre comme au figuré, car je ne fermais jamais à clé) pour quiconque avait besoin de manger ou de dormir. J’ai pris conscience que je n’en avais jamais eu conscience, cela se faisait tout seul. Comme il est normal. Quand ce n’est plus possible, cela signifie que le monde est devenu anormal. C’est spontanément ce que je voulais faire, avec les Pèlerins d’Amour. Tout simplement ramener du normal dans le monde. Cela ne peut se faire que normalement, c’est-à-dire à la manière des pauvres qui ne calculent ni ne  thésaurisent ni leur existence ni leurs biens.

En même temps que se révèle l’horreur qui est faite aux animaux d’élevage, de leur vivant, au moment de leur mort et après, se révèlent aussi, par ailleurs, leurs extraordinaires capacités cognitives. Comme pour mieux nous faire voir la gravité du crime que nous commettons envers eux, nos frères du monde vivant.

Les prophètes ont toujours un immense effort à fournir pour relever le peuple. Le peuple est comme un chœur à qui Dieu a donné le la, et qui à mesure que le temps perd irrésistiblement la note, se met à chanter de plus en plus bas, tout en croyant être toujours dans le même chant, alors qu’il se déforme gravement. Il perd un demi-ton, puis un, puis un et demi, les uns perdent plus d’autres moins, le monde s’emplit d’une cacophonie morale et ontologique.  Le chant de l’être s’abîme, si personne ne le relève il sera bientôt si bas qu’il entraînera le peuple dans sa chute. Ce qui était semblera demeurer encore, mais en vérité il aura disparu, et cette fois non pour ailleurs, mais pour ce vrai néant consistant d’apparences de vie pour continuer à attirer tout ce qui du vivant est susceptible d’être dévoré.

À l’aller, depuis le train j’ai vu sans cesse des chevreuils, par groupes de deux, trois ou quatre, j’ai dû en voir des dizaines. Jamais je n’en avais vu autant. J’ai même vu un cerf, tout seul.

 


photos Alina Reyes

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Au pied de l’arc-en-ciel

 

Cette nuit, en rêve, en traversant à pied des dunes pour y aller, je suis arrivée au pied d’un immense arc-en-ciel. C’était la première fois qu’il était possible de toucher le pied d’un arc-en-ciel, qui s’élevait comme un énorme pilier, une large et forte colonne.

Des êtres humains, sortis de leurs voitures, se tenaient là sur le sable, devant lui, attendant. Comme j’étais face au soleil levant, j’ai décidé de passer de l’autre côté, afin de pouvoir en faire une photo, sans contre-jour. O m’a alors proposé de prendre le sac que je portais, un lourd sac plein à craquer de confitures et de nourritures que j’avais faites maison, et de l’emporter à la voiture, en attendant mon retour. Je le lui ai laissé et j’y suis allée, j’ai traversé, absolument seule, je suis passée de l’autre côté.

Je me suis réveillée, vivement saisie, songeant à la mort, à la vie, sentant mon amour pour O, pour mes enfants, et pour toute l’humanité.

Aujourd’hui comme tous les lundis je jeûne – ni nourriture ni boisson d’avant l’aube jusqu’au crépuscule (aujourd’hui de 6h14 jusqu’à 18h28, mais bien sûr nous suivons le cours du jour donc cela change chaque jour et de semaine en semaine, ce que je trouve très beau). Il y a toujours tant de souffrants sur la terre, pour qui jeûner. Et le jeûne est extrêmement bénéfique, il apporte la paix.

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« Les Romains ont été vaincus ». Sourate « Les Romains », 2.

Olivier enneigé à la Grande mosquée de Paris, photo Alina Reyes

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Selon la prophétie de Malachie, le dernier pape s’appelle Pierre le Romain. Quel que soit le nom qu’il ait endossé, tout pape, évêque de Rome, est « Pierre », successeur de Pierre, et le Romain.

Selon une lecture historique, « Les Romains » du Coran seraient en fait des Byzantins, battus par les Perses en Palestine vers 613-614. Ils sont nommés Romains parce que chrétiens, rattachés à Rome – de même que tout pape est Pierre parce que rattaché à Pierre. Une partie des Arabes se réjouissait de cette défaite des Romains, mais les Croyants parmi eux se réjouirent de leur victoire finale, car ils représentaient les croyants alors que les Perses représentaient les mécréants.

« Les Romains ont été vaincus,

dans le pays voisin, et après leur défaite ils seront les vainqueurs,

dans quelques années. À Dieu appartient le commandement, au début et à la fin, et ce jour-là les Croyants se réjouiront

du secours de Dieu. Il secourt qui Il veut et Il est le Tout Puissant, le Tout Miséricordieux.

C´est [là] la promesse de Dieu. Dieu ne manque jamais à Sa promesse mais la plupart des gens ne savent pas. » (v. 2-6)

 

Pourquoi, pour qui, cette défaite et cette victoire ? La suite de la sourate l’indique, en voici trois versets dans la traduction d’André Chouraqui :

 

14.     Le jour où l’Heure surgira,

ce jour-là ils se diviseront.

 

15.     Ceux qui adhèrent et sont intègres

s’extasieront dans les pâturages.

 

16.     Ceux qui effaçaient,

niaient nos Signes et la Rencontre, l’Autre :

les voilà présents au supplice !

 

Au final, la division s’opère non entre les Romains et les Perses, mais parmi eux entre les croyants et les mécréants. Les « mauvais romains » et les « mauvais perses » seront au supplice, les « bons romains » et les « bons perses » pâtureront. Le destin des Croyants, des gens issus de la Parole de Dieu venue à travers Ses Livres saints, et qui lui sont fidèles, comme des gens qui sont fidèles à ce qui est juste… le destin des Justes, est un et unique.

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Élisez-moi pape !

Alina Reyes

 

Dans l’Église, quand on veut donner en exemple la conversion de quelqu’un qui a eu une vie « dissipée », on évoque Marie Madeleine, ou bien Etty Hillesum (plutôt que saint Augustin, qui fit pourtant pire). Marie Madeleine a été considérablement salie au cours des siècles, où elle a pris pour nombre de chrétiens la figure d’une prostituée, ce qui n’est pas le cas dans les Évangiles. En vérité elle a une place éminente auprès de Jésus, celle d’une sœur absolue, notamment dans l’évangile de Jean, où elle est la première à qui il se montre et s’adresse après sa sortie du tombeau, la première qu’il charge de délivrer son message à ses apôtres et au monde. Marie Madeleine est un signe éminent de sa résurrection et de son retour attendu. Marie Madeleine s’appelle Marie, elle est indissociable de la Vierge Marie, mère.

Etty Hillesum, elle, après avoir connu l’errance intellectuelle et spirituelle (dont on retient sa sexualité triste), dans une vie sans vérité ni maternité, a certes été éclairée, mais pour finir à Auschwitz. Etty Hillesum est un signe de damnation et de mort. Voilà le chemin fait par le christianisme dans son idée de la femme et du destin de la femme.

En principe, il n’est pas obligatoire d’être prêtre pour être élu pape. Une femme pourrait donc l’être. Si le pape est le vicaire du Christ sur terre, il doit pouvoir avoir le visage de Jésus, et aussi de celle qui lui est indissociable, Marie, mère et femme. Si le pape doit représenter Dieu sur terre, il nous faut nous rappeler que Dieu n’est ni homme ni femme mais, dans nos éléments de comparaison humains, tout à la fois porteur d’une puissance créatrice virile et paternelle, et d’une miséricorde maternelle et fraternelle rédemptrice. Qui est chargé de Le représenter sur terre doit posséder ces attributs, que doivent en principe pouvoir posséder un homme accompli aussi bien qu’une femme accomplie en Dieu. Voilà un sens de la résurrection de l’être.

Des millénaires de patriarcat, c’est-à-dire de la loi brute du plus fort, ont dans toutes les religions fortement pesé sur les définitions de l’être et des rôles de l’homme et de la femme. Il suffit de retourner aux sources de Dieu, de ses textes saints, pour reconnaître que nous nous en sommes considérablement éloignés. Que nous n’avons fait qu’embourber un peu plus l’homme et la femme dans des définitions humaines, au lieu de les élever dans le projet divin.

Élisez-moi pape, je vous réunis les trois monothéismes dans la vérité et l’entente, chacun selon sa personnalité et son charisme, je vous remonte les croyants, je vous rappelle les désabusés. Un pape musulmane, voilà bien un tour digne du Messie en son retour. Ceux qui suivront le Voyage deviendront aptes à changer l’ordre tellement humain et enterré des choses, pour sortir dans la lumière et entrer dans l’Ordre de Dieu, celui des Pèlerins d’Amour que nous sommes tous sur cette terre, que nous sommes tous appelés à être, sur la terre comme au cieux.

 

Frontal

Image trouvée dans un article de La République des Pyrénées

 

En voyant Patrick, le marchand de journaux de Barèges, répondre à un journaliste de la télé qui lui demande en substance à quoi il s’attend, cette phrase merveilleuse :

« C’est ce qui est là-haut, tu sais, celle qui vient du Bon Dieu, celle dont nous avons tous besoin, la neige ! »,

je me rappelle un jour où mes fils encore petits m’ayant réclamé chez lui un magazine qu’il vendait mais qu’il jugeait scandaleusement cher, il nous en avait sorti un de derrière ses fagots, un magazine pour enfants aussi, mais tout à fait bon marché. Malheureusement il n’intéressait pas les gars, et je leur avais pris celui qu’ils voulaient. En encaissant il avait continué à critiquer son prix abusif et avait ajouté pour conclure, tout à fait sérieux : « Remarque, s’il y a des parents assez cons pour l’acheter… »

Je m’étais retenue de rire. J’adore le caractère frontal de ces gens de la montagne, j’avais adoré le retrouver, aussi, quand j’ai écrit un livre sur elle, dans la petite Bernadette Soubirous. Son nom signifie Souverains, ce n’est pas pour rien. (Et si le mien signifie Rois c’est que je les aime bien). Une souveraineté immensément humble, qui n’a rien à voir avec une quelconque velléité de domination. Bien au contraire. Ils savent que de même que ce que tu possèdes te possède, ce que tu domines ou veux dominer, te domine. Je le répète, ce sont des gens de la montagne.

Je les aime profondément, et je suis avec eux de tout cœur en ces jours où la neige les ensevelit. Qu’ils sachent que c’est à la fois une robe blanche et une lampe frontale inextinguible qui leur vient, pour leur résurrection dans la vie éternelle.

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