Des femmes et du voile

« Je ne suis pas contre les femmes voilées, je suis contre le voile », répond à Edwy Plenel l’une des femmes de culture musulmane. Je pourrais dire comme elle, avec une précision : je ne suis pas contre le voile, je comprends les raisons profondes et bonnes qui peuvent donner désir de le porter, mais je suis contre le voile vu comme obligatoire dans l’islam, ce qui est faux. Que la laïcité laisse donc aux femmes le droit de se voiler, et que l’islam leur laisse le droit de ne pas se voiler. Les musulmans et musulmanes qui prétendent que le voile est obligatoire opèrent un coup de force sur le Coran, qui ne dit rien de tel. Ils veulent faire dire au Coran ce qu’il ne dit pas, ce qui est un comble pour des musulmans, et font du voile le symbole même du voile qu’ils placent entre eux et la vérité, entre eux et la lumière, entre eux et l’intelligence et l’ouverture qui sont les propres du Coran et de son Prophète, paix sur lui. Ils font du voile le symbole même de leur voilement de l’islam, de leur repli dans une obscurité qui n’a rien d’islamique, par souci identitaire – un souci légitime mais qui ne doit pas être traité dans la facilité – par un bout de tissu – mais par le travail spirituel et intellectuel.
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L’islam en France

Un fort courant réactionnaire en ce moment plaide pour la constitution d’une sorte de clergé dans l’islam en France, afin qu’il soit porteur d’un discours unifié, et structuré un peu à la façon dont l’est le catholicisme. En musulmane, je suis absolument opposée à cette idée, à ce désir de mainmise et de centralisation. Certes il existe actuellement une mainmise de certains pays ou de certains courants de l’islam sur certains imams, mais ce n’est pas une raison pour la remplacer par une autre mainmise. Ce qu’il faut, c’est s’employer à éliminer toute mainmise. Et pour cela, laisser se déployer la pensée islamique à la fois originelle et actuelle, vivante. C’est aux croyants de choisir leurs imams, ils ont la liberté de les choisir ou de les démettre, de les remplacer. Tout est souple en islam – contrairement à ce qu’on croit trop souvent. Souplesse, diversité dans la vérité et liberté, voilà où est l’avenir. Le reste tombera. Là où ont été élevés des obstacles entre l’homme et la Lumière, les faire tomber. Surtout ne pas couper les hommes de leur rapport direct à la Lumière. C’est la seule voie viable.

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Des musulmanes montrent la voie

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Ce n’est pas la première mosquée pour femmes, mais celle de Los Angeles, fondée par deux jeunes musulmanes, bénéficie sans doute de l’écho des anges de la cité. Les anges ont une grande importance en islam, ils accompagnent l’homme de très près tout au long de sa vie et notamment de sa prière. Hazna Maznavi et Sana Muttalib, pour pallier la mise à l’écart des femmes dans les mosquées, ont fondé dans une ancienne synagogue, aujourd’hui partagée en lieu interreligieux, une mosquée où les femmes ont leur pleine place, sans que les hommes en soient pour autant exclus – ils peuvent notamment assister aux cours s’ils le désirent, mais l’imam est une femme et la prière s’accomplit entre femmes, débarrassée de la domination des hommes (ce qui est impossible dans le catholicisme, par exemple). L’islam est sans clergé, et c’est la religion la plus souple, qui offre le plus de possibilités d’interprétation et d’application. La variété de ses courants est une richesse ; en ce moment on en voit surtout le côté négatif, et même nihiliste, mais la crise passera et la lumière vaincra.

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vue de l’autre face, »plus si cachée que ça », de la lune

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Apeiron, Mystère, Ghayb

rue, Patmos,

rue à Patmos, 2007

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Il y a deux façons de réfléchir un mot : d’après l’emploi qu’en fait tel ou tel auteur ; ou d’après le mot lui-même. Il en est de même pour les textes : on peut tenter de les comprendre en les recontextualisant, et c’est important. Mais il est aussi important de les comprendre dans l’absolu, en eux-mêmes. Le Logos est vivant, il a une histoire et un être propre, il parle de lui-même. Quand on approche les textes sacrés, il convient de considérer le contexte dans lesquels ils ont été écrits, afin de comprendre que leur sens peut en être affecté et doit donc toujours de nouveau être réévalué selon les contextes. Mais il est capital de pouvoir les lire aussi dans l’absolu, et de reconnaître leur sens immuable, valable au-delà de tout. J’ai fait cet exercice sur des versets de la Bible et du Coran. Même les plus controversés, les plus scandaleux et violents aux yeux de notre époque, s’éclairent ainsi et révèlent leur message de paix.

Si je considère en lui-même le mot grec apeiron, habituellement traduit par infini, et particulièrement associé à Anaximandre qui en fit le principe de sa philosophie, je le traduirai par : l’impercé. Sa racine, per, est en effet une racine capitale en indo-européen et en grec. Elle indique le perçage, la traversée, le passage (nous la retrouvons dans une multitude de mots français, entre autres). Apeiron est traduit par infini parce que cette racine a aussi donné un mot grec pour dire les limites : l’apeiron (avec un a privatif) est ce qui est sans limites dans le sens où il est trop vaste pour qu’on puisse le traverser. Mais le sens tout premier du mot, l’impercé, ou l’imperçable, va bien au-delà : ce qui n’est pas percé, c’est ce qui n’est pas compris par l’homme – comme, au prologue de l’évangile de Jean, il est dit que les hommes n’ont pas « saisi » la lumière. Dans le Coran, le mot Ghayb qui désigne l’invisible, le mystère, l’impercé, vient d’une racine qui exprime l’intervalle. Le ghayb est invisible parce qu’il est dans l’intervalle entre deux points de présence, dans l’espace et dans le temps. Dans la sourate Les Prophètes, Marie est appelée « celle qui a préservée sa fente » (v.91), d’après un mot arabe qui signifie aussi un espace entre deux – cet espace étant par ailleurs figuré par le voile tendu entre elle et le monde des hommes. Tout être qui est du monde de Dieu, comme Marie et comme les Prophètes, fait partie de l’« impercé ». Notre mot mystère vient de la racine grecque qui a donné aussi le mot mutisme, parce qu’elle signifie la fermeture (de la bouche) : Zacharie dans l’Évangile est frappé de mutisme après l’annonce de l’ange, comme Marie se tait dans le Coran après la naissance de Jésus, pour qu’il parle lui-même. Faire partie de l’impercé revient à pouvoir le traverser librement, et, de sa barque, à y inviter l’humanité.