Questions pour un coronaviré. Et mon quartier confiné en images

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Il y a longtemps j’avais (j’ignore ce qu’il est devenu) un coffret dans lequel je mettais les choses minuscules que je trouvais ou que je fabriquais (comme des cocottes en papier dans un carré d’un millimètre de côté). Ma mère s’en moquait comme elle moquait le goût de mon père pour les mots, pour la lecture du dictionnaire : j’y vois un indice d’un lien entre l’infiniment petit et le signe. Le signe a la subtilité de l’infiniment petit. Que l’intérêt pour l’infiniment petit ou pour les racines de la langue puisse provoquer l’ironie m’apparaît comme une peur du signe, une peur de la remise en question qu’il ordonne, une peur du vertige comparable à celle de Pascal devant l’infiniment grand. Une peur de ce qui nous dépasse, et une peur d’être dépassé quand on veut tout dominer. N’est-ce pas ce qui arrive au monde en ce moment, face au minuscule coronavirus ?
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dans l'étroite rue Mouffetard, les gens font leurs courses dans les petits commerces de qualité (et pour portefeuilles bien garnis) comme si de rien n'était

dans l’étroite rue Mouffetard, les gens font leurs courses dans les petits commerces de qualité (et pour portefeuilles bien garnis) comme si de rien n’était


Librairie fermée ?

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Une équipe de télévision ?

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Aujourd’hui à Paris 13e et 5e, dans la limite d’un km de rayon et d’une heure, photos Alina Reyes

Écrire-sculpter

 

Rêvé cette nuit que debout, nue, parmi des gens habillés, je me sentais solide, sereine et lumineuse comme une statue, vivante de tout mon corps discrètement sculpté, de toutes mes articulations et de tous mes muscles assouplis et renforcés.

Menuhin en torsion, sous la conduite d'Iyengar

Menuhin en torsion, sous la conduite d’Iyengar

Cela après que j’ai lu hier que B.K.S. Iyengar, dont j’ai donné un texte sur la vérité dans la note précédente, avait été surnommé le Michel-Ange du yoga, parce qu’il faisait de chaque asana, chaque posture, une œuvre d’art, ciselée avec précision. Pas étonnant qu’il ait été l’ami de Yehudi Menuhin, son plus fameux disciple.

Je pratique le yoga tous les jours chez moi depuis l’été dernier, c’est une école de la joie et de la patience. Peu à peu des postures qui paraissaient impossibles deviennent possibles, et la joie et la patience de l’entraînement du corps et de la respiration se développent et s’installent dans l’esprit. Et bien sûr c’est surtout de mon esprit que mon rêve parlait, à travers mon corps nu et debout, paisiblement, parmi les humains. Comme Iyengar était le Michel-Ange du yoga, j’essaie d’être une Iyengar de l’écriture.

Iyengar est né difforme, avec une trop grosse tête, puis il a contracté dans son enfance la tuberculose et la malaria. Il s’est guéri de ses infirmités en pratiquant le yoga dix heures par jour, et il a porté sa discipline à de nouveaux sommets, tout en travaillant à la rendre accessible à tous. Il a subi le racisme et la discrimination en Angleterre et aux États-Unis. Il a ouvert des écoles de yoga Iyengar dans le monde entier. Il a vécu et travaillé son art jusqu’à l’âge de 95 ans. Précision, rigueur, alignement, caractérisent le yoga d’Iyengar. Excellent programme pour cette autre discipline, l’écriture, qui travaille avec les articulations et la vitalité de la langue.

 

Iyengar en sirsasana en 1998. Jusqu'à un âge très avancé, il tenait cette posture pendant une demi-heure.

Iyengar en sirsasana en 1998 (à 80 ans). Jusqu’à un âge très avancé, il tenait cette posture pendant une demi-heure.

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La « pure langue » (dans La bénédiction de Babel, de George Steiner)

bnf-minDans un couloir de la bibliothèque des chercheurs, où je travaille avec grand bonheur en ce moment, dans l’une ou l’autre de ses salles, en rez-de jardin de la BnF

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« En écho à Mallarmé, mais en des termes manifestement empruntés à la tradition gnostique et kabbalistique, Benjamin fonde sa métaphysique de la traduction sur le concept d’une « langue universelle ». La traduction est à la fois possible et impossible selon une opposition dialectique propre au raisonnement ésotérique. Cette antinomie est due au fait que toutes les langues connues ne sont que des fragments dont les racines, au sens étymologique et algébrique, n’existent et de se justifient qu’à travers die reine Sprache. Cette « pure langue » – à d’autres moments Benjamin s’y réfère comme au « logos », qui apporte un sens au discours mais ne se retrouve dans aucune langue parlée individuelle – est comme un ressort caché qui cherche à se détendre dans les canaux ensablés de nos parlers divers. Lors de la « fin messianique de leur histoire » (autre formule kabbalistique ou hassidique), les langues divisées rejoindront leur commune source de vie. Dans l’intervalle, la traduction se voit confier d’immenses responsabilités philosophiques, éthiques et magiques.

La traduction d’une langue A dans une langue B concrétise l’implication d’une troisième présence active. Elle révèle la physionomie de la « pure langue » qui a précédé et qui sous-tend les deux langues. Une traduction authentique dégage les contours vagues mais reconnaissables du dessin cohérent dont, après Babel, se sont détachés les fragments torturés du langage humain. Certains des psaumes traduits par Luther, la Troisième Pythique de Pindare refondue par Hölderlin imposent, grâce au caractère étrange de leur évocation, la réalité de l’Ur-Sprache où se fondent, en quelque sorte, allemand et hébreu ou allemand et grec classique. Qu’une telle fusion est possible, qu’elle est nécessaire, est rendu évident par le fait que les humains veulent dire les mêmes choses, que leur voix sourd des mêmes espoirs et des mêmes angoisses, bien que les mots prononcés soient différents. Ou pour parler autrement : une mauvaise traduction ne manque pas d’énoncés apparemment semblables, mais c’est le ciment du sens qui lui échappe. La philologie est amour du Logos avant d’être science des racines. Luther et Hölderlin rapprochent sensiblement l’allemand de son point de départ universel. Mais, pour mener à bien cette alchimie, une traduction doit garder, par rapport à la langue visée, une étrangeté vitale, un côté « autre ». Il n’y a pas grand-chose dans l’Antigone de Hölderlin qui soit « pareil » à l’allemand ordinaire ; un rideau de barbelés acérés sépare les Fables de La Fontaine que nous donne Marianne Moore de l’américain parlé. Le traducteur enrichit sa langue en laissant la langue-source s’y insinuer et la modifier. Mais il fait bien plus : il étire son propre parler en direction de l’absolu secret de la signification. »

George Steiner, La bénédiction de Babel, trad. de l’anglais par Lucienne Lotringer et Pierre-Emmanuel Dauzat

Ce texte éclaire ce que j’essaie de faire dans mes traductions. Bien entendu un tel travail serait peu apprécié des universitaires et des éditeurs, qui veulent des traductions conformes à la langue cible. Alors que le travail dont parlent Benjamin et Steiner est un travail de poète œuvrant dans la profondeur des langues, de la langue.

 

La Nausée de Musil (L’homme sans qualités)

"Caboclo", par Jean-Baptiste Debret, 1834 (image wikipedia)

« Caboclo », par Jean-Baptiste Debret, 1834 (image wikipedia)

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Dans la série LREM détruit le pays, c’est maintenant ce fleuron universitaire, l’IUT, qui forme efficacement en deux ans des étudiants de tous horizons sociaux à des métiers utiles et qui leur permettront de gagner dignement leur vie (j’y suis passée, l’un de mes fils aussi), qui va se trouver dévalorisé – et ce faisant, obliger des bacheliers à se diriger vers des formations privées, la plupart du temps extrêmement médiocres quoique très chères (comme l’a constaté celui de mes fils passé par un IUT qui a plus tard donné des cours, un temps, dans l’une de ces boîtes).

En découvrant dans le dictionnaire de sanskrit que le mot signifiant «sans corde », pour un arc, signifiait aussi « dépourvu de qualités, mauvais, vicieux », j’ai eu envie de relire L’Homme sans qualités, lu seulement en partie il y a longtemps. Voici des extraits de la préface du livre par Jean-Pierre Maurel (éd Points Seuil) :

« … tandis que commence à siffler la marmite de ce qu’on appellera « la joyeuse apocalypse ».

Au fait, qu’est-ce qu’un homme et que signifie son insertion dans la structure sociale et politique d’une nation ? (…) ce qui émerge, à travers ambitions, conflits de pouvoirs, argent, arrière-pensées, prétentions et vanités, bureaucratie envahissante, opinion toute-puissante, lâchetés et autres affadissements, derniers jeux de cour… premier grand jeu de massacre, c’est la figure, épatée d’un sourire niais, du monde moderne s’écoulant mornement d’entre les cuisses jouisseuses de l’empire moribond.

(…) Pour comprendre la férocité désespérée de Musil face à cet accouchement du néant, il faut se remettre dans l’état d’esprit de l’écrivain autrichien pendant toute l’interminable rédaction du roman, du début des années 20 jusqu’au milieu des années 30, date à laquelle le livre est définitivement… inachevé. Pendant toutes ces années, Musil contemple l’Autriche. Il la contemple avec l’acuité douloureuse de ses quarante, puis cinquante ans, avec toute la puissance d’un véritable esprit contemplatif, pour se heurter sans cesse à l’obsédante question qui fait la matière même de L’Homme sans qualités : qu’est-il arrivé à l’intelligence ?

(…) Où se trouve le secret délétère de cette faillite ? Musil charge son personnage, Ulrich, de mener l’enquête. Et que fait-on dans ces cas-là ? On constitue un dossier. Sentant venir les temps de la bêtise – nous sommes donc en août 1913 – Ulrich propose au Comité la seule tâche digne de lui : « constituer le commencement d’un inventaire spirituel général ! Nous devons faire à peu près ce qui serait nécessaire si l’année 1918 devait être celle du Jugement dernier, celle où l’esprit ancien s’effacerait pour laisser la place à un esprit supérieur. Fondez, au nom de Sa Majesté, un Secrétariat mondial de l’Âme et de la Précision. »

Telle est l’ambition de Musil-Ulrich, et ici le concept de précision n’est pas moins important que celui d’âme, face à l’opinion, inépuisable, niveleuse, informe. L’Homme sans qualités est l’histoire de l’échec de cette ambition immense.

(…) C’est pourtant à l’aune de ce prestigieux échec que se mesure la profondeur de l’épreuve que Musil a vécue puis écrite. »

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Feu de l’esprit, yoga des planètes et autres beautés du sanskrit (suite)

 

"Gandhi dans les fluctuations quantiques du vide", l'un de mes anciens dessins

« Gandhi dans les fluctuations quantiques du vide », l’un de mes anciens dessins

Hier matin après m’avoir pris la tension et auscultée, elle a donc dit : « tout est parfait ». Hier soir en continuant à étudier un peu le sanskrit, j’ai appris que sanskrit signifie « parfait ». Langue « parfaite ». Comme j’avais justement comparé mon corps (la médecin ayant ajouté le mot « superbe ») à cette langue, cela m’a vivement touchée. Il y a une vie de la Langue que les non-connaissants ignorent, tout comme la plupart d’entre nous ignorons la vie des mathématiques. (Je mets une majuscule à Langue pour signifier non telle ou telle langue mais l’ensemble des langues et du processus langagier, même non humain). Et le niveau supérieur de cette connaissance est atteint quand cette vie de la Langue épouse non seulement la vie du locuteur (ce qui arrive à tous les vrais écrivains) mais aussi la vie de son corps (ce qui arrive à tous les vrais spirituels).

Le Diadumène "Celui qui se ceint du bandeau de la victoire") du sculpteur Polyclète (Ve siècle av. J.-C.)

Le Diadumène (« Celui qui se ceint du bandeau de la victoire ») du sculpteur Polyclète (Ve siècle av. J.-C.)

Aussitôt mon corps s’est mis à chauffer. J’ai déjà parlé de ce phénomène. Les Indiens qui ont inventé, c’est-à-dire découvert, la kundalini, n’étaient pas des intellectuels échafaudeurs d’hypothèses et de concepts désincarnés. Ils parlaient d’expérience. Une grande puissance spirituelle s’élève quand elle s’élève depuis la racine, où se trouve le sexe. Personnellement, c’est parce que j’ai étudié et vécu, avec mon corps et avec mon cerveau, l’éros à fond, que je connais l’Esprit. On a souri, en Occidentaux ignares, de l’expérience faite par Gandhi, vieux, de dormir une nuit à côté de jeunes femmes pour vérifier que son désir était maîtrisé. Mais c’est un exercice commun chez les ascètes indiens, le vocabulaire sanskrit en porte témoignage. Pour ce que j’en vis, il ne s’agit pas de nier le désir sexuel, mais loin d’en être apeuré, esclave ou obsédé, de s’y garder pur vivant. Les Grecs anciens faisaient à leurs sculptures des organes génitaux petits, non pour nier le sexe, qu’ils exposaient tranquillement, mais parce que pour eux c’est l’ensemble du corps qui était érotisé, et non pas seulement les organes génitaux. Inventeurs de la gymnastique, mot qui signifie exercice de la nudité, ils n’étaient en fait pas éloignés des yogis indiens au corps complètement assumé comme instrument d’élévation spirituelle.

Je ne me tiens pas à chaque instant dans cet état de feu qui surgit souvent par lui-même, mais je peux aussi l’atteindre à volonté : il me suffit de m’exposer, creuset de braises, au souffle de l’esprit, pour que la flamme en monte. Que ce soit par la contemplation, la lecture, la méditation, l’écriture, la marche, parfois l’art ou la science – et alors ma pensée, la pensée à travers moi, va aussi vite que la lumière, la vision embrasse tout, la puissance est absolue, quoique maîtrisée car même s’il n’y a plus de mesure, il faut tenir les mesures.

Voici quelques nouvelles beautés trouvées dans le dictionnaire de sanskrit-français :

Faire l’amour se dit en sanskrit : « étendre la jouissance » ou « s’étendre dans la jouissance », ou encore « illuminer la jouissance » (le verbe « étendre » signifiant en second lieu « illuminer ») [Et je songe que le yoga est une discipline d’extensions du corps, tout particulièrement de la colonne vertébrale]

Le mot qui signifie « absence de dette » ou « acquittement d’une dette » signifie aussi « assouvissement d’un désir à cœur joie ».

Il y a un mot signifiant « joie » qui signifie aussi « parfum ».

Un mot qui signifie « extension » signifie aussi « progéniture » et « espoir ».

Ayuryoga signifie « conjonction de planètes », autrement dit yoga des planètes.

Un mot qui signifie « de la forêt, sauvage », signifie aussi « ermite », et désigne certains livres qui sont « à lire en secret dans la solitude de la forêt ».

Le mot alaya signifie « maison, demeure, asile, temple, réceptacle ; alayavijnana signifie « connaissance du soi » (vijnana signifiant connaissance, et le soi étant donc la maison réelle).

Un même mot signifie « écriture, peinture, portrait » et « dessin » (l’un des 64 arts).

Le verbe signifiant s’asseoir, qui a donné asana, « posture de yoga », signifie aussi « être en train de » et « aboutir à ».

Il y a un verbe qui signifie : « fréquenter ; habiter ; servir, honorer ; prendre le parti de |apprécier ; aimer ; jouir de ; pratiquer, s’adonner à (not. sexe) ».

Il y a un mot qui signifie : « qui se boit ; fluide comestible ; nourriture ; réconfort, plaisir | eau ; lait ; parole |la Terre »

Un mot qui signifie « bateau, barque, radeau », signifie aussi « la Lune ».

Citation du Rig Veda : « La Terre est soutenue par la vérité ».

Citation du Harshacharita : « Les poètes ordinaires sont innombrables, pareils à des chiens aboyant de maison en maison, alors que les créatifs sont aussi rares que le griffon – avec ses pattes sur le dos. »

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Pour mes autres notes sur cette langue, suivre le mot-clé sanskrit.

Beautés du sanskrit

statue dédiée à l'archéologue Gabriel de Mortillet. Hier aux arènes de Lutèce, photo Alina Reyes

statue dédiée à l’archéologue Gabriel de Mortillet (son buste en bronze, qui surplombait la colonne, a été fondu par les nazis). Hier aux arènes de Lutèce, photo Alina Reyes

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Le corps aussi a sa langue, et il m’importe qu’elle puisse s’exprimer autant que possible correctement et avec style, comme ma langue écrite. Je suis allée ce matin chez ma généraliste demander un certificat médical pour pouvoir suivre un stage de Pilates, ce sport inspiré à la fois du yoga, de la danse et de la gymnastique. Après m’avoir examinée, elle a dit que tout était parfait, et que j’étais superbe. Yoga et marche jour après jour font leur effet.

Continuant à étudier un peu le superbe sanskrit, j’ai noté quelques-unes de ses beautés trouvées dans un dictionnaire. J’en trouverai d’autres, mais voici déjà celles-ci :

Phrase_sanskrite« Que Shiva bénisse les amateurs de la langue des dieux » (image wikipedia)

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Arbre en sanskrit se dit « qui-boit-par-la-racine ».

Akka Mahadevi, mystique du 12e siècle, écrivit 430 leçons ; elle voyageait et mendiait nue en prêchant l’amour de Shiva.

Il y a un nom pour désigner l’art de parler avec ses doigts, qui est l’un des 64 arts (la chiromancie en est un autre)

Le nom atana signifie « errance, promenade, voyage ». Au féminin, atani, il signifie « extrémité encochée d’un arc ».

Un même mot peut signifier une unité infime de temps ou une unité infime d’espace.

Un verbe qui signifie en dernier lieu « penser » signifie d’abord « atteindre, égaler ; ressentir, percevoir ; éprouver, supporter ; faire l’expérience de ; goûter, jouir de ».

Un même mot signifie « vulgarité, obscénité ; calomnie » et « forme grammaticalement impropre ».

Le mot qui signifie d’abord « innovant » signifie aussi « bénéfice d’une action rituelle ».

Le mot qui signifie « invincible » signifie aussi « incompris » et « triste ».

Le mot qui signifie « nuage de pluie, brouillard, nuée, atmosphère, ciel » symbolise en mathématiques le nombre zéro.

Lotus se dit « né-de-l’eau » ou « qui-croît-dans-l’eau ».

Aya, le nom qui m’avait été donné en rêve, disons, il y a quelques années, signifie en sanskrit ; « qui va ».

Ayoga, par opposition à yoga, signifie « séparation, inutilité, inefficacité, impossibilité, conjonction d’astres défavorable ».

Le mot pour dire « évènement inattendu » se dit « comme-des-grains-de-sésame-dans-la-forêt ».

La phrase donnée en exemple : « L’homme est l’esclave du pouvoir mais le pouvoir n’est esclave de rien » pourrait aussi bien se traduire : « L’homme est l’esclave du sens mais le sens n’est l’esclave de rien », puisque le mot qui signifie « pouvoir » signifie d’abord « cause, intention, sens, signification, substance, réalité ».

Il y a en sanskrit un mot qui signifie « densité du sens exprimé » (c’est une qualité poétique), et un autre qui signifie « qui a son origine dans le pouvoir du sens » (se dit d’un sens suggéré issu du signifié). Un autre mot encore désigne « une phrase dont le prédicat est celui du sens du mot produit, le sujet étant une forme pronominale servant d’anaphore au mot producteur, le suffixe s’appliquant à son thème ».

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Aimer en sanskrit (note rectifiée)

18-10-2019

Je dois rectifier cette note en ce qui concerne mon impression que le mot sanskrit asana pouvait être lié à la racine indo-européenne as, « être », par comparaison avec d’autres langues indo-européennes. En fait le phénomène auquel je faisais allusion touche les langues néolatines, j’en ai trouvé l’explication (que je connaissais mais avais oubliée) dans ce livre de Victor Henry, Les trois racines du verbe « être » dans les langues indo-européennes (1878) dont je recopie ces extraits :

« La primitive langue indo-européenne, d’où sont issus les nombreux dialectes de cette famille si répandue, n’avait probablement, pour indiquer le fait pur et simple de l’existence, sans modalité accessoire, l’être en soi et en tant qu’opposé au non-être qu’une seule racine, qui s’est d’ailleurs conservée dans tous les idiomes de ce groupe. C’est la racine as, que l’on retrouve, plus ou moins corrompue, mais aisément reconnaissable, dans la plupart des temps du verbe « être » de chaque langue indo-européenne. (…)

Dans une étude portant sur la généralité des langues indo-germaniques, il n’y aurait pas lieu de parler des dialectes néo-latins, dont les conjugaisons sont exactement calquées sur celles de leur ancêtre commun, si, par une confusion aisée entre les formes assez voisines des deux verbes latins esse et stare, elles n’avaient ajouté à la conjugaison de leurs verbes « être » un élément tout-à-fait étranger à ce même verbe dans les autres idiomes de la famille. C’est ce qu’il convient de montrer brièvement. Au premier rang, à ce point de vue, se placent d’abord les langues de la péninsule hispanique, où ce processus morphologique apparaît au degré le plus complet. L’espagnol et le portugais possèdent deux verbes « être » ser et estar, le premier désignant l’état essentiel et permanent, le second, l’état variable et accidentel : ser dérive, comme l’italien essere, non pas du latin esse, qui n’expliquerait pas la présence de la vibrante, mais d’une forme de bas latin essere créée par le vulgaire à l’imitation de tous les infinitifs latins, qui se terminent en re, le seul esse faisant exception estar vient sans difficulté de stare, et ces deux verbes conservent d’une manière satisfaisante, dans la plupart de leurs temps, leurs formes ancestrales respectives.

Le mélange des deux éléments en un seul verbe apparaît dans l’italien, qui n’emprunte toutefois à stare qu’un seul temps, le participe passé, stato, nécessaire pour la conjugaison de ses temps composés, et qui manque à esse. Moins pur est déjà le provençal, bien moins pur le français, qui dérive de stare un temps que possédait esse, l’imparfait de l’indicatif, estois, stabam, outre le participe présent, estant, stans, et le participe passé, esté, status. Bien plus, l’infinitif même estre, qui dérive incontestablement de essere (car stare a formé régulièrement ester, mot de la langue judiciaire), se ressent cependant de l’influence de stare il est impossible, en effet, d’expliquer le t médial du mot, sans admettre que, sous cette influence étrangère, le bas-latin essere s’est encore corrompu en estere, en sorte que le mot estre est une formation mixte de l’un et l’autre verbe. Le roumain seul ne s’est point altéré par ce mélange, et conjugue son verbe «être», non pas, sans doute, tel que le latin le lui a légué, mais sans le secours de stare.

C’est ainsi que la racine sta, qui ne se présente dans les autres langues indo-européennes qu’avec son sens primitif de « se tenir debout » revêt, en outre, dans les langues néo-latines la signification accessoire d’ «être» et qu’à ce titre elle a dû prendre place dans cette étude. Quant à son évolution dans son acception originaire, tout le monde la connaît, et elle est d’un degré si élevé, qu’on ne saurait, ce semble, ouvrir au hasard un vocabulaire d’une langue indo-européenne quelconque sans tomber sur un dérivé plus ou moins direct de ce fécond radical. »

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Surya Siddhanta

illustration pour le Surya Siddhanta, traité d’astronomie indien en sanskrit, de plus de 1 500 ans

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Ce matin dans la nuit, à la lumière de la lampe, commençant à étudier un peu le sanskrit, cette langue des plus anciennes, j’ai appris que le verbe aimer s’y construisait avec le locatif. Un cas peu fréquent dans les langues à déclinaisons, qui exprime le lieu où se passe l’action. Ainsi donc en sanskrit, pour dire je t’aime, on dit, mot à mot, « en toi j’aime ». C’est beau comme un premier amour. Parce que c’est une langue première. L’être aimé n’y est pas objectivé, n’y est pas complément d’objet, n’y est pas à l’accusatif, n’y est ni tenu à distance ni accusé de son altérité, il y est en quelque sorte physiquement, innocemment aimé, dans l’interpénétration des amants qui font l’amour.

Puis j’ai fait mon heure de yoga quotidienne, cette fois une séance comportant seulement trois asana (mot sanskrit habituellement traduit par « posture » mais qui me semble (à vérifier !), d’après ma première approche de cette langue, lié à son verbe être, comme d’ailleurs dans d’autres langues indo-européennes – par exemple en français « station » et « exister » ont même racine), trois postures guidées par un cours très précis, très sophistiqué, tenues chacune vingt minutes sur des exercices respiratoires intenses enchaînés savamment. Le yoga est une pratique d’amour avec le cosmos, abolissant les limites, la distance, entre cosmos intérieur et cosmos extérieur.

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