Allez au jardin

Dans le bac de terre accroché à ma fenêtre, je laisse les graines venir du ciel, sans arroser ni rien faire moi-même. Il y pousse de la mousse, de toutes petites herbes à quatre feuilles qui se serrent comme un petit peuple, d’autres ont de longues tiges et montent droit dans la lumière, certaines portent de minuscules fleurs jaunes ou blanches, l’une est si fine et haute qu’elle se balance dans la brise à tout instant, avec ses micro-soleils qui s’ouvrent, se referment et se réouvrent. Jamais sans le ciel. N’oubliez pas votre jardin !

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Lumière à travers temps

J’ai compris quelque chose d’absolument essentiel et immense pour toute l’humanité, je vais l’exposer dans mon prochain livre. Je vais tout expliquer. Quel dommage que tant d’hommes se dépensent dans tant de choses vaines, des choses d’hommes, entre hommes, entre aveugles, au lieu de s’intéresser à ce à quoi il faut s’intéresser. S’ils savaient quel est l’enjeu, en vérité, pour eux-mêmes et pour ceux qu’ils entraînent à leur suite ! Heureusement beaucoup d’autres, même s’ils ne le savent pas, font ce qu’ils ont à faire, et nous approchons de la Vérité.

Je ne l’ai pas compris en spéculant, je l’ai compris en le vivant et en avançant, en voyant le paysage à mesure, en voyant où j’arrivais. Il ne faut jamais s’arrêter. Je ne m’arrête jamais. J’entends les dominos tomber derrière, ceux qui voulaient se construire Babel, mais je sens aussi avancer avec moi les humbles, les sincères, les désintéressés, les passionnés, les déjà sauvés, co-sauveurs de tous ceux qui marchent avec eux.

Oui ce que nul n’a dit je le dirai, je l’ai déjà écrit en résumé ce soir, nul ne l’a dit parce que nul ne l’a vu comme je l’ai vu, mais d’autres l’ont su par la parole qui leur a été donnée pour le dire sans pouvoir l’expliquer. Il ne faut jamais quitter de vue la vérité, ne jamais cesser de la désirer et de désirer la servir en la trouvant. Alors le mot béatitude est trop faible pour dire ce qui se présente, cette plénitude, cette joie, cet accomplissement.

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Je suis profonde

Qu’elle vienne de Mars, de comètes ou d’astéroïdes, de toutes façons elle vient du ciel, notre vie. Et de bien plus profond encore dans le ciel.

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Je suis le saint, en prière sur la terrasse, – comme les bêtes pacifiques paissent jusqu’à la mer de Palestine.

Je suis le savant au fauteuil sombre. Les branches et la pluie se jettent à la croisée de la bibliothèque.

Je suis le piéton de la grand’route par les bois nains ; la rumeur des écluses couvre mes pas. Je vois longtemps la mélancolique lessive d’or du couchant.

Je serais bien l’enfant abandonné sur la jetée partie à la haute mer, le petit valet, suivant l’allée dont le front touche le ciel.

Les sentiers sont âpres. Les monticules se couvrent de genêts. L’air est immobile. Que les oiseaux et les sources sont loin ! Ce ne peut être que la fin du monde, en avançant.

Enfance IV des Illuminations d’Arthur Rimbaud

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De la Pitié à la Mosquée (ajout)

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lieu d’effroi / le jour vient d’un petit soupirail en hauteur c’est par là qu’on leur passe leur nourriture / assises côte à côte / le corps rivé au mur par des chaînes / des boulets aux pieds / mort lente /

monde confus / univers de cruauté / de charité et de corruption mêlées / où religion / péché / punition / sexe / et fouet / sont présents / latents / partout / où les bourreaux fouettent les fouetteurs / où le bien / le mal / se retournent comme des gants

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Au milieu de descriptions d’horreurs (catholiques) s’étendant sur près de quatre siècles, soudain cet îlot dans le livre de  Mâkhi Xenakis, qui a construit sur les archives son poème, Les folles d’enfer de la Salpêtrière, paru aux éditions Actes Sud en août 2004 (je mets des / où le livre laisse dans le texte des espaces) :

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on est loin du monde arabe / à Bagdad / au Caire / à Fez / au septième siècle / qui leur construit des hôpitaux / et qui pour toute thérapie leur prescrit / de la musique / de la danse / des spectacles / et des récits merveilleux /

on est loin de l’Espagne au quinzième siècle où laïcs et riches commerçants / financent des hôpitaux accueillant les fous de tous les pays / de tous les gouvernements / de tous les cultes / pour une vie en pleine nature / rythmée par les saisons / les moissons / les vendanges / la cueillette des olives / à Valence / Saragosse / Séville / Tolède

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toutes les notes « De la Pitié à la Mosquée » ici

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