Les dessinateurs moyen-orientaux et mondiaux répliquent au racisme ignoble de Charlie Hebdo

3a9e75e2af69f9eaeb699627c38793b79ca39bd6ce graffiti a été photographié à Sao Paulo, Brésil AFP PHOTO / NELSON ALMEIDA

note actualisée à mesure que je trouve de nouveaux dessins (ou textes, en bas de note)

Capture du 2016-01-18 09:13:33*

hindawi*Chatzopoulos*Capture du 2016-01-18 12:22:01*

rania* vini oliveira* curzio malapart* louay hazem* ibrahim ozdabak*
daali* hani abbas*Capture du 2016-01-17 19:48:56« J’ai pleuré quand j’ai vu le dessin de Charlie Hebdo », a dit le père d’Aylan

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Racisme irrépressible de Charlie Hebdo. Après avoir injurié les basanés au prétexte de caricaturer Mohammed, ils utilisent un bébé mort. Inhumain.

On ne peut pas dire « cette fois ils ont publié un dessin maladroit » (et on ne peut pas dire non plus qu’ils ont voulu ainsi lutter contre le harcèlement sexuel, avec leur dessin qui le fait passer pour une vulgaire gaudriole – dont par ailleurs Charlie est friand). Cela fait des années qu’ils publient dessins et textes racistes. Comme ils sont aussi faux-culs que des curés pédophiles ou des mafieux bienfaiteurs, ils se couvrent en publiant aussi des trucs anti-FN. N’empêche : ils se sont attiré les grâces du parti néonazi grec Aube Dorée, celle d’au moins un curé intégriste, et une journaliste de Charlie va publier un livre chez un éditeur d’extrême-droite. Qui dit mieux ?

Avec le dernier dessin de Riss, qui avait déjà moqué cruellement la mort du petit Aylan à l’époque, et s’acharne maintenant en insultant sa mémoire, le monde entier s’émeut de leur cruauté raciste. Maintenant qu’on a fait dire aux Français « Je suis Charlie », voilà que ce journal fait passer les Français pour d’ignobles abuseurs de petits morts. Conséquences ?

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Un excellent article d’Alex Lantier, en français, sur le World Socialist Website

Un autre excellent article, celui de l’avocat Gilles Devers

La réaction humaniste et vigoureuse du philosophe Driss Jaydane

L’analyse de l’écrivain et poète Richard Sudan (en anglais)

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L’entourloupe édifiante de Joann Sfar

Bruno Hadjadj : Merci pour ce témoignage et cette belle leçon de comment retourner un cerveau mou comme une crêpe fade.

Anne Destremau : Ce qui ressort surtout de ce récit , c’est que l’auteur endosse le rôle de l’homme intelligent , artiste, et le chauffeur de taxi ( gros con ) est bien sur musulman. Ah ah ! Cherchez l’erreur.

Akram Belkaïd : En attendant, les Palestiniens n’ont ni terre ni Etat… Mais on peut faire semblant de s’aimer les uns les autres…

Clé Ment : Je n’avais encore jamais lu une défense de la politique israélienne aussi sournoise ! Chapeau, c’est trop mignon.


Ce sont quelques-uns des centaines de commentaires agrémentés de moult cœurs et autres émotikons qui saluent un texte édifiant publié par Joann Sfar sur ses pages facebook, et repris dans le Huffington Post. Où l’on voit un adorable dessinateur juif, le narrateur, Joann Sfar, «  retourner un cerveau mou comme une crêpe fade » -selon le résumé du lecteur Hadjadj… le cerveau d’un chauffeur de taxi arabe musulman, complotiste et propalestinien. Et voici mes propres commentaires.

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Joann Sfar, vous êtes bien intentionné sans doute mais vous êtes un peu comme votre chauffeur de taxi, vous ne vous penchez pas assez sur les faits réels. Il est bon de s’intéresser aux faits, de chercher la vérité des faits, avant d’en discourir. Car jamais la paix ne pourra être établie sans la justice.

Vous nous exposez un personnage caricatural d’Arabe. Certes il en existe malheureusement, j’ai moi-même rencontré il y a peu un autre personnage caricatural, un commerçant juif qui ne s’arrêtait de parler d’argent que pour déverser son mépris et sa haine racistes des Arabes et des Noirs. Je pourrais comme vous, avec les meilleures intentions, écrire un dialogue dans lequel je l’amènerais à prendre conscience de ses errements -mais là ce serait de la pure fiction, car le gars n’était pas du genre à s’amender. Mais nous ne serions pas plus avancés, car ce qu’il faut, c’est étudier la réalité politique et comprendre pourquoi nous en sommes là. On ne pouvait pas dire pendant l’Occupation en France, allons les gars, allemands et français, faites un pas l’un vers l’autre pour vous entendre et tout ira bien. Cela ne suffit pas. Il ne faut pas œuvrer pour un consensus sur un monde inique, il faut œuvrer à réduire les situations iniques.

Oui, il a fait sa part : nous présenter un Arabe caricatural, écrire un dialogue où bien sûr le juif a l’avantage tandis que le défenseur de la Palestine a « le cerveau mou comme une crêpe fade », ainsi qu’aiment à se les représenter trop de défenseurs d’Israël convaincus de leur supériorité. L’autre caricature que j’ai rencontrée l’autre jour, le commerçant juif, ne se lassait pas, quand il ne tapait pas sur les Arabes et les Noirs qu’il considérait comme des sous-humains, ne se lassait pas de raconter, donc, comment il entourloupait les gens en affaires, en leur faisant croire par d’habiles manœuvres (il appelait ça « leur mettre la vaseline ») qu’ils allaient faire de bonnes affaires avec lui alors qu’il finissait par les plumer. Je ne dirai pas que Joann Sfar fait ici la même chose, mais il y a, consciemment ou non, de l’entourloupe quand même.

Oui, en attendant les Palestiniens n’ont ni terre ni État… et cette belle histoire habilement mise en scène fait passer leurs défenseurs pour des abrutis et leurs bourreaux pour d’inoffensifs frères. Une belle histoire pour enterrer la vérité – très applaudie, comme toutes les belles histoires pour enterrer la vérité.


Bien sûr il n’a pas manqué de se trouver quelqu’un pour m’accuser d’antisémitisme. Avant cela j’avais précisé que j’avais affronté de semblables entourloupeurs parmi les catholiques. Les mêmes défenseurs du mensonge habile, de la fourberie dont certains jésuites en particulier, mais pas seulement évidemment, certains jésuites comme le pape, pratiquent à l’échelle mondiale.

Il me semble que nous sommes à un sommet dans l’histoire du mensonge dans l’humanité. Le mensonge est partout réhabilité, voire glorifié. J’ai vu hier une vidéo effarante où la gorille Koko, à qui on a appris la langue des signes, envoie un message à l’humanité pour lui dire de sauver la terre. La vidéo, présentée comme un appel authentique de l’animal, a été vue 26 millions de fois à cette heure. En fait c’est bien sûr un montage, on a dit à Koko ce qu’elle devait dire et on a monté les séquences pour arriver à en faire un discours. C’est une ONG qui a fait cela, et pour la COP 21. Au nom de la nature donc, au nom du salut de la planète et de ses habitants, on a instrumentalisé un animal auquel on a fait dire « je suis la nature », on a violé la nature non plus seulement physiquement mais pire encore dans l’esprit, on a violé aussi les consciences humaines en leur faisant avaler un énorme bobard. On a, encore une fois, travaillé pour la mort.

Car le mensonge, c’est la mort.

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Zoos humains

Salpetriere-Les-AgitesLa « cour des agités » à la Pitié-Salpêtrière, quand l’hôpital géré par des religieux enfermait et enchaînait les pauvres et les fous, que les Parisiens pour se distraire, comme on va au zoo, allaient regarder en famille le dimanche

hdZoos humains à l’Exposition coloniale de 1931 à Vincennes, où se pressèrent 8 millions de visiteurs. Les zoos humains du Jardin d’Acclimatation à Paris étaient également mondialement célèbres

missobsAujourd’hui ce sont les femmes qu’on exhibe pour le grand public, toujours avec le même assentiment général des bons esprits

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Et le FN engraisse, encore et encore

C’est le rituel : après chaque élection, on crie au loup, on se sent surpris au coin du bois, on cherche : à qui la faute ?

Puis on continue à faire ce qui est facile et rentable, faire de la com plutôt que de la politique quand on est au pouvoir, et pour les médias inviter sur les plateaux télé des intellectuels et des écrivains réacs, voire racistes, voire néofachos ; faire dans la presse beaucoup de bruit autour de Marine Le Pen, de sa nièce, de son père, de ses sbires, de sa farce. On installe tout ce petit monde portant volontiers croix gammées tatouées sous la chemise dans le paysage quotidien, ordinaire. On en fait le monde dans lequel depuis quelques décennies maintenant, et de plus en plus, grandissent nos enfants, s’installent nos jeunes, se réfugient nos frustrés et autres nostalgiques, nos haineux et autres racistes.

On attend que la catastrophe soit imminente, que la catastrophe arrive, pour pousser les hauts cris ou plutôt les râles d’agonie de malades qui n’ont fait qu’entretenir leur maladie et se voient approcher de la dernière extrémité.

Mes ennuis ont commencé avec le milieu de l’édition et de la presse à partir de mon livre Poupée, anale nationale, qui alertait. Il s’est aggravé avec mon insistance à avertir, au point que je ne peux plus publier aujourd’hui, ni dans l’édition ni dans la presse. Il reste toujours possible de relire ici quelques-uns de mes textes au fil de l’actualité, ainsi que mon livre La grande illusion, Figures de la fascisation en cours, ou encore Poupée, anale nationale sur cette affaire qui ronge la France.

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Féminisme, symbolique et diabolique

Au nom du féminisme, on est arrivé à cette aberration : fabriquer des poupées à l’effigie de femmes réelles, jugées exemplaires, comme Frida Kahlo ou Malala Yousafzai, cette jeune fille instrumentalisée depuis des années, à peine sortie de l’enfance, pour la bonne cause – ce qui constitue déjà une aberration. Ainsi donc des petites filles pourront apprendre à quoi sont bonnes les femmes données en exemple : à être transformées en jouets, bonnes à manipuler, et à jeter quand elles seront abîmées. Jamais on n’a eu l’idée de transformer des hommes exemplaires en poupées, ni pour les garçons ni pour les filles. Les hommes, eux, sont des êtres humains, des êtres qui méritent le respect. Les femmes peuvent être maltraitées et assassinées, leurs assassins seront souvent mieux considérés qu’elles, et s’ils sont pris, éviteront souvent le châtiment réservé aux assassins d’hommes blancs – et plus ils seront des notables de la société, sportifs, chanteurs, intellectuels, politiciens et autres, moins ils seront châtiés. Pour que ce beau résultat se perpétue, il ne faut pas lésiner sur les moyens symboliques, mais de façon hypocrite. Dans une société qui prêche le féminisme, il faut parvenir à maintenir la soumission des femmes, mais sans le dire, ou mieux, en prétendant œuvrer à leur libération. Ainsi en est-il de cette entreprise de poupées : la conceptrice n’y a pas vu le mal, ceux qui ne réfléchissent pas ne l’y voient pas non plus, mais depuis Baudelaire où la ruse du diable était de faire croire qu’il n’existait pas, le diable a progressé en ruse et se fait maintenant passer pour un bon samaritain. Tentation du bien, comme dit Todorov. Si la militance ne s’appuie pas sur une pensée profonde, elle se tire des balles dans les pieds, dans le cœur, dans la tête.

L’exact contraire du symbolique est le diabolique. Les deux mots ont pour radical bol, du verbe grec ballein, qui signifie lancer, jeter, porter. Et sont opposés par leur préfixe : sun- (sym) signifie ensemble ; dia- indique ce qui sépare, ce qui divise. Le symbole est la réunion, par leurs porteurs, de deux parties d’un même objet, faisant foi d’une parole tenue. Interpréter à contresens un symbole, ou fabriquer délibérément des symboles trompeurs, cela est diabolique : au service de la division et du mal.

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Cette peur qui pollue les frocs

Quand C…, une enfant du village, était en troisième, et que je l’avais un peu aidée pour un devoir sur Antigone, je n’avais pas compris qu’elle soit si prompte et acharnée à se placer du côté de Créon, c’est-à-dire du tyran, du patriarche, du chef, du notable – toutes figures de l’ordre établi que ce personnage incarne. Mais elle était seulement comme sont tant d’adultes, même parmi ceux qui s’affichent ou se veulent affranchis. Que le choix entre la vérité et le mensonge se présente pour de bon, et les voici tous derrière le mensonge, à trahir la vérité et à essayer de la soumettre aux représentants de l’ordre établi. Parce qu’ils ont peur, si peur. Si peur du risque d’avoir à regarder la vérité en face. Voilà où dominants et dominés se retrouvent unis : dans la peur. Dans la mort, disent-ils souvent. Mais non, ce n’est pas la mort : c’est la peur qui les unit, qui les fait se serrer les coudes dans les situations extrêmes. La peur dans laquelle sont taillés les esclaves.

Les dominants et les institutions grâce auxquelles ils dominent sont des hyènes, pleines de peur et exploitant la peur, la mort. Se servant des vivants et se servant des morts, les bafouant également, sachant détourner et abîmer même les héros. Leurs ventres sont pleins de mort que jamais ils ne transforment en beauté ni en grâce, seulement en merdes, en merdes souvent déguisées en nourritures, dont ils polluent et empoisonnent le monde.

Que ceux qui veulent vraiment faire quelque chose de bon et de bénéfique le sachent bien : collaborer avec ceux qui œuvrent en se dissimulant, avec les hypocrites, les manipulateurs, les menteurs, les corrompus, les abuseurs, ne ferait que dévoyer leur projet, jusqu’à en faire une œuvre maléfique. Cela se produit sans cesse, depuis le début des hommes, car tant d’hommes sont faibles. Si le monde est encore debout, c’est qu’il y a eu suffisamment d’hommes droits et courageux pour contrer l’avancée du mal, refuser la compromission fatale, choisir toujours le chemin de la vie en vérité, quelles que soient ses difficultés.

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Banalité du mensonge

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Clotho, par Camille Claudel. Cette fileuse emmêlée de son fil n’est-elle pas une figure de la « mère du Poëte » ?)

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Feuilletant Camille Claudel, livre de Reine-Marie Paris (éd. Gallimard), je ne suis pas étonnée d’y trouver une mécompréhension et une incompréhension totales de l’œuvre de l’artiste, mais je ne m’attendais pas à y trouver tant de haine jalouse envers l’artiste. « Dans ma famille, nous n’en parlions pas », a-elle déclaré à un magazine féminin qui lui demandait « Qu’est-ce que cela fait d’être la petite-nièce de Camille Claudel ? » Ajoutant : « la folie était un sujet tabou ». La folie, vraiment ? Ou le fait d’avoir fait enfermer une femme pendant trente ans, alors même que les médecins préconisèrent à plusieurs reprises sa libération, parce qu’elle jetait la honte sur une famille bourgeoise, avec sa vie libre (cf Camille Claudel persécutée) ? Le livre de la petite-nièce prend la suite et le parti de la mère haineuse de Camille, qui fait irrésistiblement penser aux vers de Baudelaire :

Lorsque, par un décret des puissances suprêmes,

Le Poëte apparaît en ce monde ennuyé,

Sa mère épouvantée et pleine de blasphèmes

Crispe ses poings vers Dieu, qui la prend en pitié :

« Ah ! que n’ai-je mis bas tout un nœud de vipères,

Plutôt que de nourrir cette dérision !

Maudite soit la nuit aux plaisirs éphémères

Où mon ventre a conçu mon expiation ! »

Dans ces pages hypocritement à charge contre la sculptrice de génie, décrite comme « hommasse » (avec photo désavantageuse à l’appui en ouverture du livre et La folle de Géricault en illustration), la bien-comme-il-faut Paris justifie l’internement de l’artiste, insiste et s’en félicite, citant un dossier médical partiel et partial – où ne figure pas notamment la note du médecin qui n’avait même pas été informé par la sainte famille que « Mlle Claudel » avait « réellement » eu une relation avec « M. Rodin », et croyait donc qu’elle fabulait. Oui, il fallait occulter ce scandale, et on voit que ce n’est pas fini.

La passion du mensonge, de la déformation de la vérité, est un mal souvent délibéré, mais peut-être plus souvent encore inconscient, d’où sa banalité. J’y songe en lisant, dans l’intelligente biographie de Marie Curie par sa fille Ève, cette remarque suivant l’attribution de leur prix Nobel :

« Nous touchons ici à l’une des causes essentielles de l’agitation de Pierre et de Marie. La France est le pays où leur valeur a été reconnue en dernier lieu, et il n’a pas fallu moins que la médaille Davy et le prix Nobel pour que l’Université de Paris accordât enfin une chaire de physique à Pierre Curie. Les deux savants en éprouvent de la tristesse. Les récompenses venues de l’étranger soulignent les conditions désolantes dans lesquelles ils ont mené à bien leur découverte, conditions qui ne semblent pas près de changer.

Pierre songe aux postes qui lui ont été refusés depuis quatre ans, et il se fait un point d’honneur de rendre hommage à la seule institution qui ait encouragé et soutenu ses efforts, dans la pauvre mesure de ses moyens : l’École de Physique et de Chimie. »

Suit un extrait d’une conférence prononcée par Pierre Curie à la Sorbonne, au cours de laquelle il rend un hommage appuyé au directeur de l’école, Schutzenberger, « un homme de science éminent » : « Je me rappelle avec reconnaissance qu’il m’a procuré des moyens de travail, alors que j’étais seulement préparateur ; plus tard, il a permis à Mme Curie de venir travailler près de moi, et cette autorisation, à l’époque où elle a été donnée, était une innovation peu ordinaire ». Pourquoi donc a-t-il fallu que l’industrie théâtrale, puis cinématographique, ridiculise avec Les palmes de M.Schutz cet homme qui fut le soutien honnête, précieux et courageux des Curie ? Par facilité, bien sûr. Et pour abêtir le sujet en se groupant avec ceux que le « Poëte » – la Vérité – épouvante.

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