Sur les mosquées mixtes et la prosternation

Hier boulevard Auguste Blanqui à Paris, photo Alina Reyes

Hier boulevard Auguste Blanqui à Paris, photo Alina Reyes

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L’argument de ceux et celles qui sont favorables à une séparation des hommes et des femmes pendant la prière à la mosquée est qu’il y a quelque impudeur, ou quelque indécence, voire quelque manque d’élégance, à ce que les hommes puissent voir le derrière des femmes quand elles se prosternent. Argument ridicule. Quand on se prosterne, on a le front contre le sol, on ne voit rien. Ou bien c’est qu’on relève la tête par indiscrétion. Dans un cours de yoga – les cours sont mixtes bien qu’à l’origine le yoga fût réservé aux hommes et il s’y trouve des personnes de diverses corpulences – on se prosterne et l’on montre ses fessiers dans différentes postures maintes fois, et cela ne pose de problème à personne, on n’y pense même pas une seconde. Tout simplement parce qu’on n’est pas là pour regarder le cul des autres.

La majorité des fidèles viennent à la mosquée paisiblement, pour rencontrer Dieu et partager entre humains. Mais certains et certaines semblent y venir moins pour prier que pour essayer de séduire. Certaines jeunes femmes dûment voilées y viennent ultra-apprêtées et maquillées, certains hommes y ont les regards coulissants. D’autres, des deux sexes, ont tellement peur de la possibilité de séduire qu’ils et elles se composent des figures fermées, hostiles. Le voilà, le problème. Il ne se réglera pas en refusant la mixité, mais en changeant les mentalités. Des hommes et des femmes obsédés par l’interdit (que leur désir soit de le respecter ou de le transgresser, il est tout aussi aliénant) ne feront jamais des personnes spirituellement accomplies, ni en islam ni ailleurs – le problème n’est pas seulement celui de l’islam, il est universel.

Deux jeunes femmes imames travaillent à rendre à l’islam le bon sens. J’irai voir comment ça se passe, inch’Allah. En attendant, je leur souhaite la meilleure continuation.

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23 septembre 2019 : finalement, voici ce qu’il en est.

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Porcs de Circé, porcs possédés… Continuons à balancer nos porcs

« En attendant le jour où, en France, on pourra s’adresser à une Présidente de la République, et non à un Président flanqué d’une première dame dédiée comme dans l’église aux bonnes œuvres ou, comme dans les romans du XIXe siècle, femme de l’ombre formatrice d’un jeune homme susceptible d’accéder à de hautes fonctions. » C’est le commentaire que j’ai ajouté en signant la pétition de Caroline de Haas, adressée à Emmanuel Macron pour lui demander d’initier un plan d’urgence contre les violences sexuelles, assorties de plusieurs propositions d’action précises. À lire et à signer ICI.

Plusieurs fils à papa, Enthoven, BHL, Bedos etc., s’émeuvent du hashtag balancetonporc, se soucient de la dignité des porcs et de leur liberté. Allons, petits messieurs, vous devriez savoir que les porcs n’ont ni dignité ni liberté. Homère et Jésus, entre autres, l’ont constaté et dénoncé, sans hésiter à employer le terme de porcs, il y a longtemps. C’est en les incitant à se déporciser qu’on leur rendra dignité et liberté, s’ils ont la force de les désirer. Essayez, vous verrez.

J’ai balancé un porc « littéraire » l’autre jour et je pourrais en balancer bien d’autres, notamment des écrivaillons qui officient en ligne et dont l’un m’envoya une photo de lui à poil, d’autres m’écrivirent pour me demander de coucher avec moi… Ou encore ce journaliste de radio bien connu qui m’envoya des sms porcins après une interview (bonjour la déontologie). Je pourrais donner leurs noms, mais il serait injuste de les dénoncer plus que d’autres qui sont incomparablement plus indignes qu’eux : les porcs anonymes. Ceux qui profitent d’internet pour n’avoir pas de nom parce qu’ils n’ont aucune virilité, au sens premier de virtus, courage (ce dont la plupart des femmes sont bien plus pourvues qu’eux). Et parmi eux les pires, les lâches complets, ceux qui n’ont pas de nom parce qu’ils ont un nom connu, parfois extrêmement connu, et qu’ils se planquent dans l’anonymat pour faire leurs ordures.

Le porc est l’anonyme en l’homme. Ce qui en lui travaille à perdre le nom d’homme. C’est cela qui travaille dans les tactiques d’intellectuels qui en ce moment essaient de sauver les porcs, allant jusqu’à prétendre sous couvert de psychanalyse que l’homme ne saurait contrôler ses pulsions. Pauvres minables ! Que dites-vous donc de tous les hommes qui ne sont pas comme vous – et ils sont nombreux ? Les hommes qui n’ont nullement à s’empêcher d’agresser les femmes parce qu’elles sont des femmes ? Les hommes qui ont une vie amoureuse libre, avec des partenaires libres, des hommes qui sont libres et aiment les femmes libres, contrairement à vous qui marinez dans vos miasmes de tension, de rétention, de pulsion et d’abus ? Le fait est que d’abord vous faites pitié (malheureusement, car vous abusez aussi de la pitié que vous provoquez). Ensuite, vous ne suscitez que dégoût, et mépris éternel.

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Des fantasmes et du mal

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Les fantasmes sont comme les rêves, certains semblent venir du paradis. D’autres, de l’enfer. On est bien obligé de parler du mal, quand on parle du sexe. Ou de n’importe quoi d’autre. Le mal est toujours là comme option. Une option que certains choisissent en connaissance de cause, délibérément. Mais où la plupart d’entre nous tombons de temps à autre par ignorance.

Le mal nous vient de loin, de moins loin que le bien mais de loin, il s’inscrit dans les âges, nous traverse comme il traverse les siècles. Au Moyen Âge, famines, guerres, croisades, épidémies, installent le diable et l’enfer sur les tympans des églises. Quoique banal, le mal est encore extraordinaire. Dante, Giotto, Fra Angelico, Bosch voient au Jugement Dernier et en Enfer des goules dévorantes. La Renaissance arrive, Dürer montre le lien entre ces trois figures, Le Chevalier, la Mort et le Diable – où le Chevalier peut se résumer à l’Homme, fatalement poursuivi et menacé par le mal.

Au XVIème siècle, Signorelli peint un antichrist chuchotant comme un amoureux à l’oreille de l’homme. Un antichrist terriblement humain, comme ailleurs sa figure du diable. Chez Michel-Ange il est une bête aux traits humains, à moins qu’il ne s’agisse d’un homme singeant la bête. Le diable continuera son chemin en se pliant aux époques, aux modes baroque puis romantique. Mises en scène, obscènes, de sa beauté.

Au vingtième siècle le Mal est là, de ce monde et en ce monde, les artistes ne prennent plus la peine d’en faire une figure de l’autre monde, ils peuvent même s’interdire de le figurer, comme ce fut le cas pour la Shoah. Ou bien c’est une figure fantastique que combattent des super-héros mais qui est pleinement implantée sur cette terre.

Et cela continue au troisième millénaire. Les figures du mal sont sur tous les écrans, spectaculaires, comme si le fait de l’être les rendait irréelles, comme si la mise en scène les conjurait, les tenait à distance. Mais le spectacle se poursuit et se dépasse lui-même, la révélation – mot qui se dit en grec apocalypse – déborde, voici que le mal se montre non plus seulement dans la fiction, dans des sectes ou dans des expressions artistiques nihilistes, mais possédant ceux-là même qui gouvernent le monde, les empires “du bien”, les États démocratiques que de simples citoyens, lanceurs d’alerte tels Julien Assange ou Edward Snowden, montrent nus et ridicules comme le roi de la fable.

Le sexe est mise à nu. Révélation. Nudité. Celle du serpent, et celle de la vérité. C’est le travail de toute la vie, d’apprendre à identifier ce qui est mauvais, afin de l’éviter, de le rejeter, de s’en défendre. Pour cela il faut aussi savoir reconnaître ce qui est bon. Ceux qui insinuent par exemple : « le sexe est mal », ce sont ceux-là qui poussent des gens à choisir délibérément le mal. Puisqu’ils leur ont fait croire que c’est le seul moyen d’être contenté.

On ne peut pas dire non plus « le sexe est bien » – ce serait oublier ou justifier le mal qu’on peut y faire. Le sexe est comme tout le reste. Comme la peinture, la cuisine, les plantes… Il y en a de bonnes et il y en a de mauvaises, ou de toxiques. Ce qui nous rend heureux et rend l’autre heureux, voilà ce qui est bon. Ce qui rend malheureux ou sans cœur, voilà ce qui est mauvais. C’est bien simple, mais ce sont des choses simples qu’il faut toujours rappeler, parce que ce sont des questions de vie ou de mort.

Certaines personnes semblent être en perpétuel état de frustration sexuelle. De ne « penser qu’à ça ». Nous sommes en train d’y penser, mais cela ne signifie pas que nous en sommes obsédés. Il est bien naturel que cela fasse partie de ce à quoi nous pensons, c’est tout. Savoir y penser nous aide à ne pas avoir peur des fantasmes, d’où qu’ils viennent. À ne pas être leur esclave.

Fantasme et fantôme sont le même mot. Je ne sais plus quel auteur a écrit cette petite histoire d’un homme qui voit entrer un fantôme dans sa chambre, la nuit. Et qui se rendort tranquillement. Vexé, le fantôme lui demande : « Je ne te fais pas peur ? » Et l’homme lui réplique qu’il aurait des raisons de s’inquiéter si un homme en chair et en os s’était introduit chez lui. Un brigand pourrait l’agresser. Mais un fantôme, que pourrait-il lui faire ?

Ni les fantômes ni les fantasmes ne peuvent nous nuire, sauf si nous nous mettons à vouloir les suivre comme des somnambules. Que ceux qui sont bons nous réjouissent. Quant à ceux qui font des grimaces de diables, qu’ils grimacent tout seuls. Fantôme de merde, sale pute de ta mère, tu pourriras en enfer. Voilà pour l’adversaire. Ils n’auront rien de moi à se mettre sous la dent tant qu’ils baiseront ses bagues de mafieux.

Sexualité, amour, pureté

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Un journaliste, Denis Robert, qui a beaucoup enquêté sur des affaires de corruption, a aussi écrit un livre érotique racontant les rendez-vous dans une chambre de deux personnes qui ont choisi de rester des inconnues l’une pour l’autre. Je n’ai pas lu le roman, qui paraît-il est très bon, mais ce qui m’intéresse c’est le rapport entre l’activité anti-corruption de cet auteur, activité très poussée qui lui a valu beaucoup de problèmes, et son fantasme, réalisé ou non, d’une pure rencontre des corps.

Quelle pureté trouva-t-il en-deçà des noms ? Qu’est-ce que la corruption ? Comment un livre peut-il contrebalancer le monde ? En-deçà des noms : la musique et le silence, qui lui appartient. En-deçà des noms : la peinture, celle qu’on trouve dans les grottes de la préhistoire comme celle d’un Van Gogh. Laver dans un livre la langue salie par des hommes qui ont corrompu le nom d’homme. Lui rendre la pureté de la musique, de la peinture, de la logique. Mathématique de l’écriture, de la lecture, comme opération de rachat de l’homme.

Compléter sa lutte contre la corruption dans la principauté virtuelle de l’argent, en écrivant l’histoire de deux êtres humains qui se rencontrent réellement, corps à corps. Mise à l’écart des identités sociales comme rejet de tout ce qui n’est pas expression directe de l’être à l’être. Voilà ce qui se passe, dans la nuit du lit. Le jour est occupé par des fantômes, les statuts et les existences des uns et des autres. Qu’ils falsifient leur nom et leurs comptes ou qu’ils se cachent derrière, ils font des uns et des autres des idoles. Des paravents du néant. Derrière lesquels il n’y a pas de chair. Pas de personne qui assume. Pas de face à face. Pas d’épreuve de la vérité. Pas de vérité.

Dans la nuit du lit, à la recherche concrète du trésor enfoui dans l’île, voici que nous sommes nus dans la vérité. Voici l’homme. La découverte du corps de l’autre vaut celle d’un Nouveau monde. Découverte, déshabillage. Une terre inconnue est toujours une terre vierge, puisqu’elle nous est inconnue. Comme on dit dans la Bible, Adam (« le Terreux ») connut Ève (« la Vivante »). Mais avant qu’il la connût, elle était vierge. Nous sommes vierges pour chaque être qui ne nous a pas encore connus.

Un corps inconnu est toujours une terre (« adama ») vierge pour qui le découvre. Même si mille autres l’ont connu auparavant. Et une fois connu, un corps, un être, restent toujours inconnus. Comme le dit Héraclite, on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve. Parce que l’eau du fleuve change perpétuellement. Et celui qui s’y baigne aussi. Tout en restant le même, comme le fleuve. Le corps à la rencontre duquel je vais dans la nuit du lit peut être le même depuis de nombreuses années – il est pourtant toujours nouveau, toujours autre, toujours inconnu, à découvrir. Exactement comme son âme, qui y habite.