Pierre Teilhard de Chardin, François d’Assise, François Cheng à Notre-Dame des Champs

Pendant que je contemplais cette exposition, un enterrement avait lieu. Ensuite je suis allée dans une petite salle, où les textes étaient dits sur des images vidéo. Je n’y ai pas assisté assise sur une chaise, mais je suis allée m’agenouiller sur le prie-Dieu, au fond, les yeux fermés. J’ai donc prié avec eux, en couvrant ma tête de mon écharpe, car j’en éprouve le besoin maintenant que je suis habituée à la prière islamique. L’islam et le christianisme se sont épousés en moi, c’est ainsi. J’ai été très bienheureuse. Dans l’église, en voyant une peinture où Véronique essuie le visage du Christ, je me suis rappelée que selon la tradition, elle a fondé le christianisme à Soulac, la ville d’où je viens – et je me suis dit que mon livre Voyage était comme le linge imprimé du visage du Christ.

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« Toute la beauté avec toute la vérité ». « Le Monde est plein »

Tout à l'heure au jardin. Photo Alina Reyes

 

« Ce qui nous touche dans le monde antique, c’est son attente du Dieu inconnu. C’est Cicéron invoquant à l’heure de sa mort la cause des causes, causa causarum. C’est Platon décrivant le juste qui viendra : « Fouetté, torturé, mis aux fers, on lui brûlera les yeux ; enfin, après lui avoir fait souffrir tous les maux, on le mettra en croix… » Et, parlant encore de la pureté de l’âme et du corps, c’est Sénèque disant : « Notre Dieu et notre Père. » Et : « Que la volonté de Dieu soit faite. » C’est Virgile annonçant le siècle qui va venir : « Adspice, venturo laetantur ut omnia saeclo. » C’est Properce parlant le premier dans le monde latin de la pitié. Ce qui nous touche dans l’islam, c’est la part de vérité éternelle qu’il maintient. C’est la part qui lui est revenue du grand héritage judaïque. Et c’est qu’il est, comme le dit Nicole, une secte chrétienne, vue profonde dont on est bien assuré, lorsque l’on vient de lire le coran dans les terres mêmes des musulmans. Ainsi tout nous presse, tout nous donne de l’espoir, de l’assurance. De tous côtés nous sommes fortifiés. Mille reconnaissances lointaines nous mettent en sécurité et nous permettent d’attendre, dans l’amour, la conjonction fatale de toute la beauté avec toute la vérité. »

Ernest Psichari, Les voix qui crient dans le désert

 

Au jardin tout à l'heure. Photo Alina Reyes

 

LA JOIE (…) Plus que personne, le mystique souffre de la pulvérulence des êtres. (…) Partout, l’émiettement, signe du corruptible et du précaire. (…) Il faut avoir profondément senti la peine d’être plongé dans le multiple, qui tourbillonne et fuit sous les doigts, pour mériter de goûter l’enthousiasme dont l’âme est soulevée, quand, sous l’action de la Présence universelle, elle voit que le Réel est devenu, non seulement transparent, mais solide. Le principe incorruptible du Cosmos est désormais trouvé, et il est répandu partout. Le Monde est plein, et il est plein d’Absolu. Quelle libération !

Pierre Teilhard de Chardin, L’Humanité en marche

 

La postérité spirituelle de Joachim de Flore, par Henri de Lubac. 9) Donne-leur la paix

Nicolai Yaroshenko, Les funérailles du premier-né

 

« Une fois coupé du Christ historique dont il est l’envoyé et le témoin, l’Esprit, soumis à toutes les aventures de la subjectivité humaine, mystique ou rationnelle, peut en effet conduire à tout, l’athéisme compris.
(…) Fichte… s’efforce de montrer que ce Royaume des cieux, jadis annoncé par Jésus, n’est rien d’autre en réalité que le règne de la Raison, telle qu’elle vient enfin de se manifester. » (p.335)
« L’ambition de Fichte est plus vaste : elle est celle d’un démiurge… C’est par lui, par son enseignement philosophique inspiré, que le Logos incarné du prologue de saint Jean révèle enfin sa vraie nature : il n’est rien d’autre que « la conscience supérieure de soi », dans laquelle s’unissent en se réalisant l’homme, le monde et la divinité. – Au lendemain de la première guerre mondiale, citant ces fières déclarations, le luthérien  Wilhelm Lütgert écrira : « On n’en croit pas ses yeux, quand on lit cela, et pourtant Fichte prenait cette conscience de sa charge tout à fait au sérieux ». Lütgert voyait, ou du moins entrevoyait où devait mener ce délire. Mais autour de lui bien peu en pressentaient la sinistre signification possible, et « l’usage pédagogique des universités » s’employait toujours à le « consolider ». » (p.336)

« Deux poètes [Hölderlin et Novalis]… avaient suivi, chacun de son côté mais avec le même enthousiasme, les cours de Fichte à Iéna… deux êtres merveilleux, ces êtres exquis, au destin tragique : l’un foudroyé à trente-deux ans par l’assaut trop violent du flux poétique dont il était investi depuis l’adolescence et qui vint se heurter aux plus misérables réalités ; l’autre mort à vingt-neuf ans, rongé par la phtisie, alors qu’il achevait de décanter l’apport trouble de « tous les illuminés » et de ses propres rêves pour en tirer le plus beau, le plus « catholique » des cantiques spirituels. » (p.336)

« … une hymne… Fête de paix. Jean-Luc Marion… a montré que sa deuxième strophe « reprend presque mot à mot l’hymne christologique de l’Épître aux Philippiens » ; le terme de « renoncer » y traduit l’idée de la kénose que saint Paul exprimait par « se vider », et la strophe s’achève « par l’exaltation paternelle du Fils » devant qui tout genou fléchit. Un peu plus loin, la personne du « Prince de Paix », qui est « le Fils », « se déploie dans l’ampleur « trinitaire » le plus explicitement possible ». Après s’être ainsi fixée « sur un des textes christologiques les plus décisifs de la tradition chrétienne », placé dans le contexte de son dogme essentiel, la méditation d’Hölderlin se poursuit sur la place du Christ dans l’histoire spirituelle de l’humanité, puis sur la nécessité de son apparent retrait : c’est à la fois l’Unique et Patmos. Le visage du Seigneur a disparu, le poète ne veut pas s’en attrister comme jadis les apôtres, dont « l’excès d’amour », mal entendu, était « riche de périls… Il fallait accepter le temps perdu des théophanies, le départ apparent du Christ, mêlé à sa Résurrection : c’est pourquoi… toute la part chrétienne des hymnes se trouve centrée sur Emmaüs ». » (p.342)

« Quoiqu’il en soit de chacun, note [Novalis] dans son « grand répertoire », « la paix éternelle est déjà présente, – Dieu est parmi nous, – l’Âge d’Or, le voici ». – Et cet autre grain de Pollen, si évangélique, et qui mûrira chez Dostoievski : « Là où sont les enfants, là est un âge d’or ». « (p.350)

« Si beaucoup de ses lecteurs découvraient dans ses écrits « le mystère spirituel de l’existence » et s’ils éprouvaient à son contact « un réconfort tout semblable à celui du pieux chrétien dans les Saintes Écritures », c’est que « Novalis, en effet, était chrétien et religieux au sens le plus profond du mot…; et nul n’ignore que son penchant pour le catholicisme était marqué, et que personne peut-être n’a plus attiré la jeunesse au catholicisme ». [Guerne]
Dans cette année 1799, année si féconde où tout se précipite, avant la dernière maladie et la mort, une note du « grand répertoire général » nous paraît éclairer, chez le jeune poète, les liens entre l’histoire et l’âme, et réduire du même coup les expressions les plus joachimites de son vocabulaire, devenues simples rémanences :

Histoire. – La Bible commence magnifiquement par le Paradis, symbole de la jeunesse, et se clôt avec le royaume éternel, avec la Cité de Dieu… En chaque membre de la pure grandeur historique, il faut en quelque sorte que la grande histoire se retrouve symboliquement rajeunie… L’histoire de tout homme devrait être une Bible, et elle deviendra, elle sera une Bible. Le Christ est le nouvel Adam. Idée de la régénération, de la nouvelle naissance… » (p.352)

En lisant Schlegel, « Bien que le deuxième âge de l’humanité soit défini comme soumis à l’action d’une force, et le troisième comme inondé d’une lumière, le lecteur croit comprendre… que c’est plutôt une force nouvelle, venue de l’Esprit de Dieu, qui, au troisième âge, aura répandu partout dans le monde et fait recevoir par tous les humains la lumière chrétienne déjà présente au coeur du petit nombre des croyants.
(…) L’homme est bien « essentiellement perfectible », mais dans le mal tout comme dans le bien, et, laissé à lui-même ou ne voulant rien devoir qu’à lui-même, il risquera d’être, dans le mal, « effroyablement progressif ». Cette note de sain réalisme… apparente Schlegel à Teilhard de Chardin. Le progrès humain, dira Teilhard (au rebours d’un contresens obstinément répandu) est « la plus dangereuse des forces », il entraîne toujours « de plus grandes luttes, de plus grands maux, de plus grands risques » ; en effet « plus l’humanité se raffine et se complique, plus les chances de désordre se multiplient et leur gravité s’accentue » ;  « toute énergie est également puissante pour le Bien ou pour le Mal », en sorte que « grâce aux progrès de la science et de la pensée », chacun de nous se trouve acculé à « un choix plus conscient à faire entre le Bien et le Mal ». Aussi le seul progrès qui mérite pleinement ce nom, le seul qui soit sans ambiguïté ni contrepartie, est-il celui qui, « descendant d’en haut », s’opère au fond des âmes : celui de la « communion des saints ». (pp356-357)

 

Pierre Teilhard de Chardin (et sa rue, à Paris)

« Au fond de nous-mêmes, sans discussion possible, un intérieur apparaît, par une déchirure, au coeur des êtres.

C’en est assez pour que, à un degré ou à un autre, cet « intérieur » s’impose comme existant partout et depuis toujours dans la Nature.

Puisque, en un point d’elle-même, l’Étoffe de l’Univers a une face interne, c’est forcément qu’elle est biface par structure, c’est-à-dire en toute région de l’espace et du temps, aussi bien par exemple que granulaire :

Coextensif à leur Dehors, il y a un Dedans des Choses. »

Pierre Teilhard de Chardin, Présence de Dieu au Monde

 

photos Alina Reyes