L’ordure ordinaire de l’ordre établi

ce soir à Paris, photo Alina Reyes

 

Soyez assez malins pour, en utilisant les hommes et les situations, devenir un notable dans un domaine ou un autre, puis amusez-vous à assassiner mentalement des femmes tout au long de votre vie, personne n’y trouvera rien à redire puisque l’ordre établi leur intime de n’en rien dire et de supporter la folie des hommes, puisqu’elles ne sont que femmes, donc jouets potentiels de ces messieurs, d’autant plus s’ils font figure d’esprits supérieurs. (Afin de ne pas passer pour une affreuse féministe, j’ajoute que la chose vaut aussi pour une femme dans la même situation de « supériorité », telle Beauvoir instrumentalisant ses étudiantes sans que personne y trouve à redire, même si l’une finit par se suicider – en fin de compte c’est une affaire de classe sociale).

Mais si quelqu’un rompt le mutisme de rigueur, haro sur lui qui dit la vérité, dénonce le système. Ce n’est pas le mal fait dans la réalité qui fait horreur, mais le fait de l’avoir raconté. Celui qui fait le mal dans la réalité, le voici considéré comme une pauvre victime de celui qui a raconté pour pouvoir survivre à l’horreur qu’il a vécue. Bien entendu si vous vous inspirez, pour décrire un esprit sadique, d’un type « sans importance » dans le monde, tout le monde trouvera cela très bien. Votre éditeur lui-même vous y encouragera vivement. Mais d’après le monde, l’éditeur quant à lui doit rester à l’abri de ce qu’il prône : il vous dit « racontez votre vie » et se délecte du récit des amours de ses auteurs, du moment qu’ils sont inspirés par d’autres que par lui. Car on n’a pas le droit de changer l’ordre du monde.

Ce soir soudain j’ai demandé à mon dernier fils, qui venait de recevoir un texto lui demandant de me dire le titre Pour la bonne cause : « d’après toi, a-t-on le droit de faire un mal « pour la bonne cause » ? » Quoi par exemple ? il a dit. Et aussitôt il a trouvé lui-même : comme l’Inquisition, par exemple ? Oui, exactement, j’ai répondu. Ni dans ce cas ni dans aucun autre on n’en a le droit, a-t-il dit. Car alors ce qu’ils appellent la bonne cause, a-t-il ajouté, en fait ce n’est que leur cause à eux. Je lui ai parlé de ce qui m’était fait, et de comment ceux qui ont fait le mal « pour la bonne cause » ont causé la ruine de « la bonne cause » puisque je refuse d’œuvrer avec eux dans ces conditions. La vraie bonne cause, c’est d’aider les hommes à se libérer, et on ne peut le faire en acceptant soi-même les systèmes indignes. Qui fait partie du système, que ce soit comme « dominant » ou comme « dominé » est en réalité toujours dominé par le système. Au fond, c’est la même histoire que celle de qui raconte le mal que les hommes cachent et font et refont, et se retrouve à cause de cela exclu du « monde ». Mais être réellement écrivain n’est pas passer son temps à tourner des phrases seulement bonnes à conforter l’ordre du monde.

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