À propos de la polémique autour du livre de Richard Millet

à la cathédrale de Nantes, photo Alina Reyes

 

La littérature et les textes sacrés sont victimes du même gravissime problème : l’homme d’aujourd’hui ne sait plus les lire. Et ne peut que vouloir les censurer. Le Coran est plein d’expressions violentes, la Bible aussi, de même que les pièces de Shakespeare ou les livres de Céline. Dans certains cas il apparaît que le texte dénonce la violence (et le lecteur est rassuré), dans d’autres il semble au contraire la promouvoir – et le lecteur est horrifié.

Il faut comprendre que ni les textes sacrés ni les textes poétiques (c’est-à-dire de vraie littérature) ne sont des essais exposant des idées. Même s’ils en ont l’air. Il faut dépasser les apparences. Le texte poétique ne se trouve pas, ne se rencontre pas au niveau des apparences, il dépasse même souvent son auteur et ses idées. Le texte poétique déboule dans le monde pour lui jeter sa vérité en pâture. Sa vérité sous tous ses aspects, les plus splendides comme les plus détestables. L’ange de l’Apocalypse tend à l’homme le livre à manger, et le livre est tantôt doux et tantôt amer. Car le livre révèle.

Telle est sa mission : révéler aux hommes ce qu’ils ne peuvent ou ne veulent pas voir. Car seule la révélation de la vérité peut sauver les hommes, tantôt en les horrifiant, tantôt en les émerveillant. Le texte poétique vient d’au-dessus du jugement des hommes. Dieu, ou la Vérité si l’on préfère, se saisit de tel ou tel homme, et lui intime d’écrire ce qui est. Il est vrai que l’antisémitisme dit dans les pamphlets de Céline fut, ou est. Que quelqu’un déploie cette vérité en mots, il le fallait. Même si cela échappe à notre compréhension immédiate de ce qui est bon. Les voies de Dieu sont impénétrables, comme on dit. Elles ne le sont pas tant que ça, à condition de se placer au-dessus des débats terrestres, trop terrestres. La vérité sauve, même quand elle fait très mal, même quand on croit qu’elle blesse et nuit. Seulement il faut savoir la recevoir.

Comment ? D’abord en ne se souciant pas de savoir si elle reflète ou non la position de celui qui la révèle. Peu importe, il n’est qu’un homme comme les autres. Ce qu’il faut, c’est regarder le texte en face et se dire : voilà, ce qu’il dit là (que ce qu’il dise tienne de l’amour ou de la haine) existe dans le cœur de la communauté humaine que nous sommes.

Dieu n’attend pas le Jugement dernier pour exprimer son jugement, il nous le donne dans l’éternité des textes sacrés et aussi, au fil du temps, dans l’actualité littéraire. Son jugement est le miroir qu’il nous tend à travers ces textes. Quand nous nous regardons dans la glace, si nous avons une mèche de travers, nous la remettons en place. Sachons faire de même avec ces miroirs de l’être que sont les miroirs de lettres. Vouloir les briser ne nous amènerait qu’à être de plus en plus de travers, de plus en plus laids. Nous vivons dans un monde de Dorian Gray, vendus aux miroirs truqués. Attention, plus dure est la chute. Ne pas la fuir quand elle arrive reste le seul moyen de pouvoir s’en relever.

 

Quelques autres brefs éléments de réflexion à propos de la polémique autour du livre de Richard Millet, ces dernières heures sur ma page facebook.

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De l’obscène et du tendre

à la cathédrale de Nantes, photo Alina Reyes

 

Telle écrivaine écrivant dans la presse – sans correcteur sa langue flirte avec l’incorrect, mais elle plaide l’impensée correcte et les confrères, et les consœurs,  la soutiennent connement : haro sur le baudet stylé !

Obscénité : un quotidien assoiffé de gros sous insulte et suce un milliardaire, en gros plan sur les kiosques.

De mon côté, dans mon jardin, en train d’écrire un petit livre pour apprendre aux enfants petits et grands à rire le français – exultant !

 

Des sages, des philosophes et de la joie


tout à l’heure avenue des Gobelins, un sage asiatique dans sa boutique de vieux appareils photo, où reste juste une place pour sa chaise, photo Alina Reyes

 

« L’homme juste est le plus tranquille de tous les hommes », dit Épicure. Je sors de la FNAC avec mes courses pour des élèves de terminale : Le crépuscule des idoles de Nietzsche, Lettres et sentences d’Épicure, Apologie de Socrate par Platon, Le Prince de Machiavel et le Discours de la méthode  by Descartes. J’ai mis tous mes amis dans un léger sac en tissu chinois, que je balance joyeusement au bout de mon bras en marchant, telle Perrette avec son pot au lait mais sans le moindre calcul, heureuse comme on n’en fait plus, aspergeant libéralement du lait invisible de la vie toute l’avenue, toute la ville, tout le ciel et leurs passants. Et vous aussi !

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La Vie !

dans nos montagnes, photo Alina Reyes

 

D’avoir parlé hier soir avec O, je me sens renouvelée, vibrante, prête comme un jeune lion à l’aube. Je vois la lumière d’or. Je me suis levée ce matin, je me suis mise à retravailler à mon livre, je sens la peinture me sortir des veines comme l’encre et l’infinie succession des aurores. Oh, adorez la vie !

 

Oreille profonde

au square René Le Gall, photo Alina Reyes

 

Sa maison n’est pas construite sur le roc. Trop fuyant pour le faire lui-même, il a fait faire à tant d’autres des livres avec plein de choses censées m’insulter, et qui ne m’atteignent pas – je suis seulement consternée par la stupidité de cette démarche, de ce désir de vengeance obsessionnellement répété. Jamais je n’aurais imaginé qu’on puisse avoir un ego si monstrueusement enflé qu’on ne puisse supporter d’avoir inspiré des mots et des phrases « désagréables ». Une telle réaction n’est-elle pas signe d’une coquille creuse, d’une construction de soi complètement factice ? En vérité rien n’est désagréable en littérature, en littérature tout est littérature, tout écrivain et tout lecteur devraient le savoir.

Nous n’avons absolument pas la même vision de l’existence, ni de l’être. Elles sont absolument incompatibles. C’est la raison pour laquelle, en plus de ses manies vengeresses et de ses velléités de manipulation et de domination, il m’est impossible d’œuvrer avec S. Ce n’est pas moi que je veux protéger, c’est l’œuvre qui doit être faite, et qui est mieux faite en ce moment même dans l’abstention que si elle était mise en route selon une pensée fausse, comme il en était question. Je pense que nous n’avons pas besoin de stratégie de communication, ni du renfort de stars, ni de rien d’emprunté au système du monde tel qu’il ne va pas. Nous voulons toucher beaucoup de personnes, mais par le profond de notre être et de notre parole, par la vérité de notre amour et de notre démarche, non par ce que nous espérons en retirer par rapport à notre situation dans le monde, même « pour la bonne cause ». Je pense que nous ne devons pas chercher le brillant, la surface, les apparences. Je pense que nous devons au contraire nous retirer de tout ce système. Je pense que nous ne devons pas viser des efficacités qui seraient aussi immédiates qu’immanentes et éphémères, je pense que nous devons être un humble surgissement de l’éternité dans le temps, conscients que notre œuvre dépasse de loin nos personnes, le temps de nos vies, le temps de notre temps. Je pense que nous devons être une apparition, venue du profond du cœur pur, venue de Dieu, et promise à propager ses ondes plus loin que nous ne pouvons le voir dans l’espace et le temps. Je pense que Dieu est déjà vainqueur.

Heureuse de réentendre tout à l’heure que le prêtre dit Effata ! à l’enfant qu’il baptise. Je sais que même nouveau-né, et surtout nouveau-né, nous entendons la parole du ciel, et c’est ainsi que mon oreille s’est ouverte aux langues dans lesquelles Il s’est dit.

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