Faux-semblants

Marine Le Pen ne veut pas qu’on dise que le Front National est un parti d’extrême-droite. Il se pourrait qu’elle n’ait pas tout à fait tort. Il se pourrait que le parti d’extrême-droite de Jean-Marie Le Pen soit en train de devenir un parti de « troisième voie », comme le furent les partis fascistes, peut-être plus présentable mais encore plus dangereux.

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Ségolène Royal pose en Liberté guidant le peuple. Mais à sa façon : en linceul, de biais, toute statique avec un sèche-cheveux soufflant dans sa figure refaite. La vraie va de l’avant, de face, dépoitraillée, un bras levé bien haut. Et on voit le peuple derrière elle.

« Les manifestations des jeunes étudiants à Paris pour Leonarda Dibrani ont été une bouffée d’air frais et un appel à nos consciences », par Manuel Garcia Rondon

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photo Gonzalo Fuentes/Reuters

 

Traduction d’un texte de Manuel Garcia Rondon, secrétaire général de l’Union Romani, paru sur le site de l’organisation ce 21 octobre 2013.

 

J’imagine la scène. On dirait le scénario d’un de ces films sur la Seconde Guerre mondiale, où l’on voyait comment la SS mettait en œuvre la persécution de tous ceux qui étaient différents, sa mission étant de les faire disparaître de la face de la terre. On savait qui était l’ennemi. C’est pourquoi il fallait l’éviter pour rester vivant.

Le problème actuel est que dans une Europe globalisée, dans l’Europe de la Protection Sociale et des Droits Civiques, il se produit des choses qui font dresser les cheveux sur la tête, et génèrent un état d’insécurité chez tous ceux qui sont à la recherche d’une nouvelle vie, pour eux-mêmes et pour leur famille. Et qui dans bien des cas, quand ils essaient de s’adapter aux normes de la société qui les accueille, se retrouvent maltraités, vilipendés, traités comme s’ils étaient la peste, celle qui envahit jadis l’Europe médiévale.

Si nous nous plongeons dans les commentaires en ligne, certains d’entre eux font peur. Que reste-t-il de l’esprit citoyen ? Dans ce cas français, comment peut-on trouver une justification dans les faits commis par un parent ? Ces faits n’étaient rien d’autre que celui d’être en situation irrégulière dans le pays. Il est vrai que les règles doivent être respectées, mais cette famille était en train de faire de grands efforts pour s’intégrer dans la société française et elle se conformait aux exigences (scolarisation, résidence fixe…) pour régulariser sa situation. Mais cela n’a pas suffit, et par trois fois, selon les autorités, la régularisation leur a été refusée.

Leonarda Dibrani, adolescente de quinze ans, rom d’origine kosovare, née en Italie, participait à une activité scolaire de son collège, comme le reste de ses camarades. Elle était inscrite dans ce collège depuis quatre ans et son dossier scolaire était très bon, de même que celui de sa sœur, inscrite dans le même établissement – ce qui prouve que cette famille se trouvait dans un processus d’inclusion et de normalisation sociale correspondant aux normes établies par la société du pays d’accueil.

Que se passe-t-il ? Comment certains citoyens d’un pays qui a pour valeurs l’égalité, la fraternité et la légalité, peuvent-ils en venir à cette extrémité, à la plus absolue absence de solidarité ? Nous les Roms, sommes-nous la cause de leurs problèmes ? Qu’ils se révoltent contre les vraies causes de leur situation. Ortega y Gasset disait déjà dans son essai La révolte des masses, publié en 1929, comment les gouvernants peuvent créer un problème pour détourner l’attention des citoyens et la porter où cela les arrange, en la déviant des vrais problèmes qui les touchent.

Nous les Roms nous ne pouvons pas être les boucs émissaires de tout ce qui se passe en Europe. Selon les différents traités et accords qui régissent la cohésion territoriale, l’équité est constamment transgressée.

Il faut assumer la nouvelle réalité européenne. Bruxelles et Strasbourg ne réagissent pas avec la célérité que cette situation requiert. Des valeurs, des droits se perdent… alors que commence à briller par son absence l’État-Providence, et que tout ce qui a été accompli depuis les XIXème et XXème siècles se dilue comme un sucre dans l’eau.

Il est clair que les marchés dirigent la politique, et l’Europe, comme on le voit, n’est pas prête pour l’élargissement des états membres. Car cela n’a pas signifié une croissance, un potentiel dans l’ordre économique et politique, mais a plutôt généré un haut degré d’absence de solidarité et l’idée, chez une partie des citoyens européens, que leur manque de ressources vient des compensations économiques perçues par les pays de fraîche adhésion, favorisant la lutte pour les ressources économiques et les territoires.

Certains partis politiques et leurs dirigeants se servent de ces faits dans un but électoral évident. Le bulletin de vote est plus important que la citoyenneté et la défense des droits de l’homme. Et cela, comme je l’ai déjà dit, en détournant l’attention de l’électeur vers l’ennemi à battre, à savoir les immigrés, cause de tous ses malheurs, comme le manque d’emploi, la baisse des salaires, la réduction du pouvoir d’achat, le manque de révision des accords salariaux, la privatisation de la santé publique, le manque de ressources dans le budget appliqué à l’éducation…

Dans ce contexte se produit une montée des partis d’extrême-droite, avec leur discours défendant la pureté des compatriotes et attaquant les étrangers, lesquels sont la cause de leurs malheurs et s’approprient ce qui leur appartient – ce discours qui se propage dans les classes laborieuses et principalement dans les classes moyennes en décadence et récemment appauvries, qui sont celles qui souffrent le plus de la crise économique. Les données fournies par différentes études et enquêtes d’opinion révèlent qu’elles sont devenues une pépinière de voix pour ces partis fascistes et xénophobes.

Je viens d’entendre une autre nouvelle, alarmante. Si les élections avaient lieu aujourd’hui en France, Le Pen pourrait les gagner. Sans compter qu’en Suède, société modèle, le SD, parti d’extrême-droite, lors des dernières élections a remporté vingt sièges. En Hollande, Belgique, Danemark, Italie, Autriche, Hongrie, Roumanie, Suisse, Grèce, au Royaume-Uni et dans d’autres pays, l’extrême-droite est en hausse, accédant à la législature et à des positions importantes dans un certain nombre de pays.

Le scénario des années 30 du siècle dernier, après la Grande Dépression, se répète.

Comme l’a dit le psychologue Burston : « Dans les périodes où les gens se sentent menacés et perdent confiance, ils sont plus réceptifs aux distorsions, aux demi-vérités et aux mensonges. » Il a signalé aussi que dans ces moments les gens sont plus réceptifs à la propagande, la majorité « simplement ne réfléchissent pas aux allégations de leurs dirigeants, ou aux conséquences qui semblent en résulter. Adolf Hitler le savait pertinemment ». L’extrême-droite monte dans de telles circonstances parce qu’elle offre des réponses simplistes à des problèmes extrêmement complexes, et parce qu’elle a mis au point des stratégies rhétoriques efficaces pour inciter les gens à voter contre leurs propres intérêts à long terme.

Cependant je suis soulagé de lire que, quoique neuf ans après, la Cour de Strasbourg a condamné la France pour des expulsions de Roms menées en 2004, comme il ne pouvait en être autrement ; à partir des instances gouvernementales et de l’union des démocrates européens, nous avons donc à réussir à éradiquer cette plaie. Les manifestations des jeunes étudiants à Paris nous ont donné une leçon de citoyenneté et de solidarité. Nous devons en prendre bonne note, et nous réveiller de la léthargie dans laquelle nous nous trouvons. Consolider l’Europe fut difficile, mais actuellement, cela devient de plus en plus difficile à maintenir. L’attitude de ces jeunes a été une bouffée d’air frais et un appel à nos consciences.

*

Précédents points de vue sur l’affaire :

Le très humain portrait de la famille Dibrani par Miguel Mora : « Les Dibrani, apatrides d’Europe »

La vive protestation du leader hindou Rajah Zed contre la déportation de Leonarda et les conditions faites aux Roms 

La réaction du cardinal André Vingt-Trois : « Qu’ils mangent de la brioche »

Qu’ils mangent de la brioche

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« La pauvreté gagne du terrain au Kosovo », image (Keystone) trouvée ici

 

En visite en Israël, l’archevêque de Paris, le cardinal André Vingt-Trois, interrogé sur l’affaire Leonarda Dibrani, a déclaré : « Il y a des lois, et les lois sont appliquées. Si le gouvernement n’estime pas nécessaire de défendre l’application de la loi et fait une exception, c’est la responsabilité du gouvernement. Si Leonarda se passionne pour l’étude du français, je crois qu’il existe des écoles françaises au Kosovo. »

Que faut-il déplorer le plus ? Le manque de charité évangélique du cardinal, ou son ahurissante ignorance géopolitique ?

Car il n’y a aucune école française au Kosovo. Le Kosovo est un pays extrêmement pauvre, encore marqué des stigmates de la guerre. Un tiers de la population y vit avec moins d’1,55 euro par jour, 12 % avec 1,02 euro. 48 % de la population est au chômage. 36 % de la population n’a pas accès à l’eau potable. 69 enfants sur 1000 y meurent avant l’âge de cinq ans – c’est le taux le plus élevé d’Europe. Un enfant sur dix de moins de cinq ans y est malnutri. Seuls 10 % des enfants ont accès à l’école maternelle. En primaire, en raison du manque d’infrastructures, ceux qui vont en classe doivent y aller par roulement. Seuls 77 % des Kosovars issus des minorités sont inscrits à l’école. Parmi eux, ceux qui ont été rapatriés de force, comme les enfants de la famille Dibrani, n’ont généralement pas accès à l’école, ne connaissant pas la langue et se retrouvant dans une pauvreté extrême.

Droit du sol et droit à la mobilité

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le collège devant lequel le bus transportant Leonarda s’est arrêté, et devant lequel la police l’a emportée

 

Voilà exactement deux semaines que Leonarda Dibrani, ses frères et sœurs et ses parents, ont été déportés de France. Et voici que des politiciens saisissent l’occasion du pic de hantise suscité par cette histoire pour copier le programme du Front National et demander l’abrogation du droit du sol. Ces gens inspirés par les thèses différentialistes développés dans les années 70 par le GRECE, qui a essaimé ses idées trompeuses dans l’extrême-droite, une certaine partie de la droite et aussi d’autres courants idéologiques prônant une troisième voie prétendant à l’ « écologie humaine », ces gens si prompts à réclamer le retour à l’identité française, ou le respect de l’identité française, sont en train de vouloir détruire ce droit du sol inscrit dans l’identité française depuis de longs siècles, à travers un parcours profondément enraciné dans notre histoire.

En 1315, le roi de France Louis X le Hutin publie le 3 juillet un édit qui affirme que «selon le droit de nature, chacun doit naître franc», c’est-à-dire libre. Officiellement, depuis cette date, «le sol de France affranchit l’esclave qui le touche».

En 1515, le Parlement de Paris publie un arrêt qui reconnaît à un enfant né en France de parents étrangers le droit d’avoir la nationalité française, à condition que celui-ci ait atteint la majorité civile et qu’il ait vécu de façon durable sur le territoire français.

En 1791, la Constitution déclare que « sont français les fils d’étrangers nés en France et qui vivent dans le royaume ».

En 1804, le Code civil instaure la primauté du droit du sang, mais sans abroger le droit du sol – simplement la personne née en France de parents étrangers doit faire la demande de nationalité à sa majorité.

En 1889, le droit du sol est pleinement rétabli.

Mais le droit du sol ne peut que s’accompagner d’un droit à la mobilité.

« En Europe, écrit Catherine Wihtol de Wenden dans Le droit d’émigrer (CNRS Éditions, 2013, 4 euros), les accords de réadmission vers les pays d’origine, des systèmes informatiques (…) ou policiers (…) cherchent à piéger les fraudeurs. Mais, à moins de poster un garde-frontière armé tous les 100 mètres, les États se contentent, par une mise en scène, de suggérer à une opinion publique traumatisée par le syndrome de l’invasion, que l’on contrôle toujours plus. L’effet dissuasif du tout sécuritaire n’est pas démontré et les pays d’immigration ne font que médiatiser fortement les opérations les plus musclées s’opérant souvent sur les plus démunis (…). Les effets pervers sont, au pire, les morts aux frontières, les murs, les camps, les zones d’attente et centres de rétention, la transformation des pays situés aux portes des grands pays d’immigration en pays de transit, où les sans-papiers ne bénéficient d’aucun droit, l’exploitation de l’économie du passage par des filières de drogue et de prostitution. Le résultat est, au mieux, un bricolage où la raison d’État vient heurter à la fois les droits de l’Homme et les mécanismes du marché du travail. (…) Des rapports officiels d’organisations internationales comme l’OCDE ou les instances onusiennes préconisent depuis plus de dix ans la reprise de l’immigration pour pallier les déficits de main d’œuvre et les déséquilibres démographiques liés au vieillissement de la population. (…) D’autres rapports soulignent le coût du contrôle et des reconductions : un coût considérable en termes financier, économique, diplomatique et de violations des droits. »

Sous la jupe, les jambes

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marchant en jupe de printemps (ou de gitane !), hier et aujourd’hui, et le photographiant

 

Préparant dans une douce excitation mon prochain livre : tout ce qui est politique est d’abord métaphysique. Prenez Jeanne d’Arc, par exemple, qui, parmi d’autres, sert de béquille métaphysique en politique. Il suffirait de faire sur elle un vrai travail humain et métaphysique pour pouvoir abandonner cette béquille comme les miraculés à la grotte de Lourdes.

Quand je dis il suffirait, en vérité ce n’est pas si facile. Mais le difficile, justement, est si excitant, surtout quand on sait que viendra le moment, après suffisamment de préparation, où il rendra le difficile plus que facile, lumineux.

Le moment où l’aveugle, soudain guéri, se lève et marche, court, bondit, plein de joie.