Ce que j’ai fait avec cinq de mes proches

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Homère : il m’a donné sa tête à manger (en rêve), et je l’ai mangée. Elle était pleine de fils multicolores, c’était un peu comme manger des spaghetti, mais avec un goût d’ambroisie.

Rimbaud : il est venu chez moi (en rêve), je lui ai donné un lit pour la nuit. Je suis aussi allée sur sa tombe à Charleville-Mézières (en réalité), où il m’a effleuré l’épaule.

Kafka : je l’ai regardé à travers une porte (en rêve).

Poe : j’ai traduit plusieurs de ses nouvelles, quand j’avais dans les vingt-sept ans – mais je n’ai pas gardé les traductions, elles ont disparu dans l’un de mes déménagements.

Lautréamont : j’ai passé quelques jours à Tarbes avec lui, notamment dans le parc. Je suis aussi allée chercher sa tombe au cimetière de Montmartre. C’était une belle journée d’automne, j’ai longtemps marché dans les allées, avec un corbeau qui marchait à côté de moi et à qui je parlais. Il n’y avait personne. Je n’ai pas trouvé sa tombe alors je suis allée me renseigner au bureau du cimetière. Les personnes qui étaient là ne savaient pas qui il était, j’ai expliqué que c’était un grand poète à l’existence mystérieuse. J’ai donné son nom d’état-civil, Ducasse. Nous avons cherché ensemble dans les registres de 1870, remplis de noms écrits à la plume. Finalement il s’est avéré que ses ossements avaient été déplacés deux fois, et qu’on ne sait pas aujourd’hui où ils se trouvent. Avoir vécu cela, seule dans le cimetière avec le corbeau, puis plongée avec un employé dans l’encre du grand registre des morts, était aussi beau que de le lire.

Impuissance et sadisme

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Photo AFP/Bulent Kilik

Seize soldats français accusés d’avoir violé, sodomisé des enfants affamés en Centrafrique. L’archevêque de Bangui s’empresse de minimiser l’affaire en parlant de seulement un ou deux soldats et de voler au secours… des enfants ? Non, de l’armée.

Luz déclare qu’il ne dessinera plus « Mahomet » car il ne l’intéresse plus. Ce qui l’intéressait, c’était de pouvoir, à travers « Mahomet », exercer son sadisme – comme le dit Norman Finkelstein, « Charlie Hebdo is sadism, not satire ».

D’où viennent les armes de Daech ? D’Europe, des États-Unis, de Russie, de Chine… Comme le dit par euphémisme Courrier International, « la position de certains États qui combattent l’organisation terroriste devient inconfortable. »

10 petits poèmes pour apprendre à rire aux enfants le français

1

Ris, Nocéros ! quitte

ton air féroce ! ça vanne

dur quand tu barris, barètes

à poil, quand tu te poiles !

2

Ô Truche, passe-moi la cruche !

l’omelette est prête

et tu m’as battu

comme un œuf à la course !

3

De sa patte le chat polit son

chapeau lisse – on

dirait qu’il salue, poli, ce

pacha polisson !

4

Astre couché le roi

de la savane d’or dort.

Or vient le jour d’après hier.

Parmi lions se pavane

un soleil à crinière.

Mille ions et photons,

pierres à prières, adorent

l’Unique éclatant celé.

5

Chameau de dromadaire,

tu as tant roulé ta bosse

que j’en ai eu le mal de mer

au milieu du désert !

6

Petit pou saint qui t’en allais

avec un gros pou laid, trouvâtes-

vous, pèlerins, un scalp où picorer ?

Je crois, car la tête me gratte.

7

Défense de donner à l’éléphant

de la moutarde ! Quand elle lui monte au nez,

ça barde ! Et les faons ?

Si je ne me trompe, ils ne sont pachydermes.

8

La biche biche, oui.

Mais le cerf sert, aussi.

Et leurs enfants, les faons,

ils les bichonnent dans les bois.

9

Sa robe zappe. Allons au zoo, zélés,

zyeuter sur les zébrures du zèbre,

des zéros et des uns, l’algèbre !

Ah mes zozos, z’en zézaie raies.

10

Il est peut-être louche, mais il voit droit.

Il sort du bois, ou de la mer ?

Loupé ! Gare au garou, ce loup-là,

velouté, je le porte sur mon nez.

*

Alina Reyes

Terri Jentz vs Le Corbusier

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Péniche Le Corbusier à Paris, photo Alina Reyes

*

Il y a soixante-dix ans les Françaises votaient pour la première fois. C’est une honte si grande qu’elle en est incroyable, comme le fait qu’aujourd’hui un ambassadeur soit refusé par le Vatican parce qu’il est homosexuel, ou qu’une petite fille de dix ans, au Paraguay, n’ait pas le droit d’avorter après avoir été violée par son beau-père, et bien qu’elle y risque sa vie. J’ai fini de lire cette nuit le récit de Terri Jentz, La nuit sauvage. À l’âge de vingt ans, alors qu’elle campait avec une amie, elles ont été agressées à la hache par un inconnu. Miraculeusement elles ont survécu, mais elle a dû « enterrer » l’histoire en elle pendant quinze ans avant de trouver la force de mener l’enquête pour découvrir le coupable, que la police avait laissé filer. Au cours de cette enquête, elle rencontre beaucoup de femmes victimes de la mauvaiseté de certains hommes, souvent qualifiés de sataniques, agresseurs de femmes et souvent d’enfants, manipulateurs, séducteurs et destructeurs. La litanie des maux endurés la conforte dans sa conviction que non seulement certains actes sont impardonnables, mais aussi que certains êtres sont irrécupérables. Le travail qu’a fait cette femme et que nous pouvons faire à travers elle, à travers son livre, est un bienfait, spécialement pour toutes celles et ceux qui ont eu à affronter la perversité en personne.

Le Centre Pompidou expose Le Corbusier, j’irai peut-être. On trouve dans Métro un article sur son fascisme, où il est dit notamment : « Le fascisme, c’est ça : le retour d’une société masculine, virile, sous une forme moderne. » Les projets architecturaux suivent : « la Cité radieuse correspond à un projet eugéniste. On y trouve des équipement sportifs pour créer cette race nouvelle, faciliter le retour du patriarcat, où tout est prévu pour que les femmes ne sortent pas de chez elles, parce qu’elles sont là pour faire des enfants. Le Corbusier met donc des écoles et des magasins à l’intérieur, où la maîtresse de maison et mère de famille peut jouer son rôle pleinement. » Choquant ? Ce n’est rien encore : Le Corbusier voulait « épurer les villes ». Autrement dit, chasser ceux qui « ne servent à rien » et retrancher les ouvriers dans des camps : « En 1922, rappelle Xavier de Jarcy, Le Corbusier a ce projet de Ville contemporaine pour 3 millions d’habitants, où le centre-ville est réservé à l’élite et à la classe moyenne supérieure, et où les ouvriers sont repoussés en banlieue avec une zone verte de sécurité qui les sépare de la ville pour qu’on puisse les tenir à distance et les contrôler… » L’architecte conçoit des tours, des barres de logements immenses, presque identiques aux HLM d’aujourd’hui : il n’hésite pas à parler d' »élevage humain ». 

Le courage de la vérité, comme dit Foucault

Le PEN américain, dont le nom résonne pour le coup désagréablement, attribue un prix à Charlie Hebdo. Six écrivains anglo-saxons protestent et se désolidarisent de l’association. Ils ne veulent pas être associés à l’  « admiration » et au « respect » que le prix implique pour un journal raciste. Tel autre écrivain, emblème de la pensée correcte, les traite aussitôt de pussies, de femmelettes – racisme et sexisme ne viennent-ils pas du même fond pourri de l’homme ? Comme si on avait primé Je suis partout, avec ses caricatures de juifs qui nous menaient droit où on sait. Eh bien, il y a encore quelques écrivains résistants et je ne suis pas seule. Il est vrai qu’il y faut du courage, et que cela coûte. Difficile par exemple de trouver un éditeur également courageux pour La grande illusion, Figures de la fascisation en cours, où l’affaire Charlie notamment n’est pas traitée du point de vue politiquement correct. Mais vous pouvez lire le livre en ligne gratuitement, il est ici.