Arthur Rimbaud par Sonia Delaunay
(Illustration trouvée dans un article reprenant sans me citer
mon argumentaire, et sa chute, à propos de Verlaine et Rimbaud au Panthéon)
Merveilleux moment de traduction aujourd’hui, quand j’ai entendu Homère dire ce que dira aussi Rimbaud. Je m’explique. De façon générale, je découvre en le traduisant pas à pas la profondeur de la modernité d’Homère. Tout cela fera l’objet du commentaire dont j’accompagnerai ma traduction quand elle sera terminée, dans quelques années. Mais déjà, donnons quelques éléments ici. D’abord, pour le passage de ce jour, mon émotion personnelle en entendant Pénélope dire d’Ulysse « je regrette tant une telle tête, me remémorant… ». C’est une tournure toute homérique que de dire tête à la place d’esprit ou d’âme. Et moi aussi je me remémore… je me remémore le rêve que je fis une nuit, où Homère me donna sa tête à manger.
Mais revenons à Rimbaud. Dans sa lettre du 13 mai 1871 à Izambard, se trouvent ces mots célèbres : « je travaille à me rendre voyant (…) je me suis reconnu poète. Ce n’est pas du tout ma faute. C’est faux de dire : je pense : on devrait dire : On me pense — Pardon du jeu de mots. — Je est un autre. Tant pis pour le bois qui se trouve violon ». Dans les vers d’aujourd’hui, Homère fait dire à Télémaque : « pourquoi donc refuser à l’aède fidèle de charmer selon ce qui l’inspire ? Ce n’est pas la faute des aèdes. C’est plutôt Zeus qui est cause des dons qu’il dispense selon son bon vouloir aux gens travailleurs ». Je n’épilogue pas, songez-y si vous en avez le courage. (J’ajoute seulement que le mauvais roman, pas nouveau, qui circule ces jours-ci en ligne, avec explication de texte grossière sur le poème qui accompagne cette lettre de Rimbaud à Izambard, ne vaut pas un clou ; et que je ne crois pas non plus que le jeu de mots de Rimbaud sur « On me pense » soit à comprendre comme aussi « On me panse », interprétation lacanienne ridicule comme presque toujours).
Le je du poète (de l’aède fidèle)est un principe supérieur. Ce même principe qui, sous le nom d’Athéna, inspire à Télémaque des paroles toutes nouvelles, qui, par le changement qu’elles révèlent en son fils, vont stupéfier Pénélope, retournant elle aussi tisser le poème dans ses étages supérieurs.
Cette semaine j’ai trouvé aussi la raison plus profonde que celle qui est dite, la raison plus profonde qui fait que Shéérazade empêche le sultan de la tuer en racontant pendant mille et une nuits.
Nous en étions la dernière fois au moment où Pénélope allait s’adresser à l’aède :
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« Phémios, tu connais bien d’autres chants qui charment les mortels,
Les actions des hommes et des dieux que chantent les aèdes.
Assis parmi eux, chantes-en un pendant qu’ils boivent
Le vin en silence. Mais cesse ce chant lugubre
Qui toujours dans ma poitrine accable mon cœur
Où sans cesse descend la cruelle douleur du deuil.
Je regrette tant une telle tête, me remémorant
À jamais l’homme dont la gloire emplit l’Hellade et Argos ! »
Ainsi réplique à haute voix le sage Télémaque :
« Ma mère, pourquoi donc refuser à l’aède fidèle
De charmer selon ce qui l’inspire ? Ce n’est pas la faute
Des aèdes. C’est plutôt Zeus qui est cause des dons
Qu’il dispense selon son bon vouloir aux gens travailleurs.
Ne lui reproche pas de chanter les malheurs des Danaens
Car les humains préfèrent célébrer un chant
Dont le sujet tourne autour des choses les plus nouvelles.
Lève en ton cœur et âme le courage d’écouter.
Car Ulysse n’est pas seul à avoir perdu à Troie
Le jour du retour. Beaucoup d’autres y ont péri aussi.
Va dans tes appartements t’occuper de tes travaux
À la toile et au fuseau, et exhorte tes servantes
À se mettre à leur ouvrage. La parole est affaire d’hommes,
Surtout la mienne. Car je suis le chef en cette maison. »
Et frappée de stupeur elle rentre chez elle,
Recueillant dans son cœur les sages paroles de son fils.
Montée avec ses suivantes aux appartements supérieurs,
Elle pleure Ulysse, son époux chéri. Puis Athéna
Aux yeux de chouette jette un doux sommeil sur ses paupières.
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le texte grec est ici
à suivre !