Odyssée, Chant III, v.331-372

Une œuvre de Seth hier à la Butte aux Cailles, photo Alina Reyes

Une œuvre de Seth hier à la Butte aux Cailles, photo Alina Reyes

Nous en étions au moment où Athéna allait répondre à Nestor. Voici la suite de leur dialogue, au terme duquel elle s’envole sous la forme d’une orfraie – à la stupéfaction des personnes présentes, qui ont cru écouter le vieil homme dont elle avait pris l’apparence et voient partir un oiseau.
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« Ô vieillard, tu as exposé les choses avec justesse.
Allons, coupez donc les langues et mêlez le vin,
Qu’à Poséidon et aux autres immortels nous fassions
Les libations, puis songions à nous coucher ; car il est l’heure.
Déjà la lumière disparaît sous les ténèbres ;
Il ne faut rester assis au banquet des dieux, mais partir. »

Ainsi parle à haute voix la fille de Zeus ; ils l’écoutent.
Des hérauts versent alors de l’eau sur les mains,
Des garçons couronnent les cratères de vin
Et pourvoient à la distribution des coupes pour tous.
On jette ensuite les langues au feu, on se lève et verse
Les libations. Cela fait, on boit selon son désir.
Athéna et Télémaque beau comme un dieu
Veulent tous deux retourner sur leur nef creuse.
Mais Nestor les en empêche en leur adressant ces paroles :

« Que Zeus et les autres dieux immortels me préservent
De vous laisser partir de chez moi sur vos nefs rapides
Comme si j’étais vraiment sans vêtement, un indigent
Qui n’aurait dans sa maison ni tapis ni couvertures
Pour pouvoir y dormir mollement, et lui, et ses hôtes.
Mais le fait est que moi j’ai de beaux tapis et couvertures.
Assurément non, jamais le cher fils du héros Ulysse
N’ira dormir sur le plancher d’un bateau tant que moi
Je vivrai, et après moi je laisserai dans mon palais
Mes enfants, qui recevront les étrangers qui y viendront. »

Ainsi lui répond la déesse, Athéna aux yeux de chouette :

« Tu as bien parlé, cher vieillard, et il convient
Que Télémaque t’obéisse : ce sera beaucoup mieux.
Il va donc maintenant plutôt te suivre, afin de dormir
Dans tes appartements. Moi je vais sur notre noire nef
Rassurer nos compagnons et détailler les consignes.
Car j’ai l’honneur d’être le plus âgé d’entre eux.
Les hommes qui nous assistent par amitié sont plus jeunes,
Tous ont à peu près l’âge de Télémaque au grand cœur.
Je m’en vais donc maintenant dormir dans notre nef creuse
Et noire. Puis à l’aube j’irai chez les magnanimes
Caucones, recouvrer une dette aussi ancienne
Qu’importante. Quant à Télémaque, puisqu’il est ton hôte,
Envoie-le en char avec ton fils, et donne-lui
Des chevaux, les plus lestes et les plus puissants que tu aies. »

Ayant ainsi parlé, Athéna aux yeux brillants s’en va,
Sous l’aspect d’une orfraie. À cette vue, tous sont stupéfaits.

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Le texte grec est ici
ma traduction entière du premier chant , du deuxième chant
à suivre !

Rabindranath Tagore par Mircea Eliade

L'autre jour au jardin des Plantes, une pause dans mon footing pour photographier cette magnifique lumière

L’autre jour au jardin des Plantes, une pause dans mon footing pour photographier cette magnifique lumière

Ce qui se passe en France est grave. Chacun le voit et le comprend, je n’épiloguerai pas là-dessus aujourd’hui, après avoir posté tant de notes pour dénoncer les violences policières ces dernières années.
Aujourd’hui je redirai juste : ne perdons pas nos forces, notre instinct de liberté. Aujourd’hui et ces temps-ci je suis en très grande forme et pour fêter ça je propose ce témoignage fantastique de Mircea Eliade sur Rabindranath Tagore, poète que j’ai déjà évoqué quelquefois ici (voir le mot-clé à son nom).

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Rabindranath Tagore

Rabindranath Tagore

« En septembre, Dasgupta m’emmena à Shantinikatan pour me faire connaître Rabindranath Tagore. Je vécus là une des périodes les plus décisives de mon séjour. Je me trouvais soudain plongé dans cette authentique « indianité » à laquelle j’avais tant aspiré. Tout m’émerveillait dans cette université où les cours se tenaient le plus souvent dans un jardin, et à l’ombre d’un arbre. Les étudiantes et les femmes qui m’entouraient me semblaient aussi belles que mystérieuses. Dasgupta était l’hôte de Tagore, et quant à moi, je logeais au Guest House. Ma chambre était toute blanche, avec une terrasse. Plusieurs fois par jour, j’y retournais tout exprès pour y noter mes conversations avec le très érudit Vidushekar Shastri, ou une indiscrétion concernant Tagore, dont l’existence tenait de la légende. J’avais réservé un cahier entier pour noter tout ce que j’entendais dire à son sujet, et sur ses dons extraordinaires de séduction. Comme l’avait dit un jour un de ses admirateurs, plus de la moitié des femmes du Bengale était en adoration devant lui.

Je dus attendre trois jours avant de lui être présenté. Dasgupta m’accompagnait, et notre conversation se ressentit de sa présence. Dasgupta avait la plus grande admiration pour le poète, le musicien et le créateur de centres de culture qu’était Tagore, mais il le tenait pour un piètre théoricien. Dès que Tagore abordait avec moi des sujets tels que le « sens de l’existence », ou la « recherche de la vérité », Dasgupta prenait un air absent et tournait ses regards vers la fenêtre. Tagore s’en était rendu compte, et cela le contrariait. Par bonheur, quelques jours plus tard je pus revoir Tagore et déjeuner avec lui sans que Dasgupta se trouvât entre nous. J’eus alors la révélation de ce climat de secte mystique qui entourait le poète, sans doute à son insu. Tout un cérémonial présidait à ses apparitions, que ce fût à table ou sur la terrasse, ou dans le jardin. La présence de Tagore était charismatique. On pouvait reconnaître son génie rien qu’en le regardant vivre, et l’on devinait que son existence était d’une richesse à laquelle peu de ses contemporains auraient pu prétendre. Chacune de ses heures était lourde de sens et portait ses fruits. Son temps était utilisé à plein. Il était à ce point présent qu’auprès de lui les fleurs, les taches de lumière semblaient s’évanouir. Il vivait en état de création continue. Hormis le temps qu’il passait en méditation ou à écrire, il composait de la musique – il était alors l’auteur de plus de trois mille mélodies – il faisait de la peinture, ou bien conversait avec ses amis ou ses visiteurs d’une façon dont on n’a plus l’idée de nos jours. Chacun des moments passé en sa compagnie était une révélation. »

Mircea Eliade, « L’Inde à vingt ans »

Haïkus dans la ville

L’année dernière, je collais dans la ville des post-it où j’avais copié des citations de poètes. Hier et aujourd’hui, munie de feutres acrylique, j’ai commencé à écrire des haïkus dans la ville. Le premier que j’y ai écrit est le premier haïku que j’ai écrit, il y a quelques années, le seul ou l’un des seuls que j’ai écrits sans respecter le rythme 5-7-5 pieds. Celui-ci :

haikus dans la rue 1-min

Ensuite l’un de mes feutres m’a aussi servi à mettre un petit cœur vert sur une affichette laissée par le collectif Les Morts de la Rue, à un endroit où des personnes sans abri s’assoient souvent. En hommage à Brice, à tous ceux et toutes celles qui dorment dehors, y compris les migrants violentés avant-hier par la police place de la République.

brice-min
brice,-min

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Puis aujourd’hui j’ai écrit çà et là d’autres haïkus, inventés l’après-midi même.

haikus dans la rue 2-min Louve solitaire / Millions de loups dans la ville / déserte et peuplée

haikus dans la rue 3-min Arbres dans les rues / Pendant les nuits sans personne / ils partent en balade

haikus dans la rue 4-min Brindilles tressées / Le vieux nid dans l’arbre nu / où siège le ciel
haikus dans la rue 5-min
haikus dans la rue 6-min

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mes nombreux haïkus précédents, publiés ici

à suivre

Odyssée, Chant III v. 301-330 (ma traduction)

"Nicht Schlafen", collage

« Nicht Schlafen », collage

En ce moment je regarde des séries finlandaises. Elles sont très bien faites et les personnages de femmes y sont fortes et libres, mentalement et physiquement. Cela ne date pas d’hier sans doute, on sait que dans ces terres du nord de l’Europe ont été retrouvées des tombes de guerrières et de cheffes, et je me souviens aussi des puissantes femmes du Kalevala. C’est d’un grand soutien dans ce pays, la France, encore si latin, si peu égalitaire, si raide et empoté dans les relations et les conventions sociales. Ces pays, ces peuples devraient être davantage un exemple pour nous.

Nous en sommes à la troisième et dernière partie de ce discours de Nestor à Télémaque, la voici :
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Tandis que Ménélas, amassant beaucoup de vivres et d’or,
S’élançait avec ses nefs parmi des humains d’autres langues,
Égisthe resté chez lui machinait ses perfidies.
Sept ans durant il régna sur Mycènes riche en or,
Ayant tué l’Atride et soumis le peuple à son joug.
Mais la huitième année, pour son malheur, le divin Oreste,
Revenant d’Athènes, tua l’assassin de son père,
Le fourbe Égisthe, meurtrier de son illustre père.
L’ayant tué, il donna aux Argiens le repas funèbre
Pour son odieuse mère et pour le lâche Égisthe.
Le même jour, revint Ménélas au vaillant cri de guerre,
Chargé d’autant de richesses qu’en pouvaient porter ses nefs.
Et toi, mon ami, n’erre pas plus longtemps loin de chez toi,
Que ces arrogants n’y dévorent pas tous tes biens
En festoyant, rendant ainsi ton voyage inutile.
Pour ma part je te conseille vivement d’aller
Chez Ménélas. Il vient de revenir de l’étranger,
De contrées dont nul parmi les hommes n’espère en son cœur
Revenir, une fois égaré par les tempêtes
Sur une mer si vaste que pas même les oiseaux
Ne la passent dans l’année, tant elle est grande et terrible.
Mais pars donc maintenant avec ta nef et tes compagnons.
Si tu veux y aller à pied, voici un char, des chevaux,
Voici aussi mes fils, qui te serviront de guides
Jusqu’en la divine Sparte où est le blond Ménélas.
Prie-le alors de te parler avec sincérité ;
Il ne te mentira pas, car c’est un homme sensé. »

Ainsi dit-il. Et le soleil plonge, l’obscurité vient.
Parmi eux, Athéna aux yeux de chouette prend la parole :

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le texte grec est ici
dans ma traduction le premier chant entier , le deuxième
à suivre !

Odyssée, chant III, v. 276-300 (ma traduction)

Institut de Paléontologie Humaine, à Paris, photo Alina Reyes

Institut de Paléontologie Humaine, à Paris, photo Alina Reyes

« …et une petite pierre brise / Les grandes vagues. C’est là qu’ils arrivent, les hommes, / Fuyant avec peine la mort. Et les vagues brisent / Leurs nefs sur les écueils »

Voilà la grande poésie de l’Odyssée. Et voilà donc la suite du récit de Nestor, dont nous verrons la fin la prochaine fois.
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Pendant ce temps, revenant de Troie, nous naviguions ensemble,
L’Atride et moi, avec l’un pour l’autre une même amitié.
Mais en arrivant au Sounion, cap sacré des Athéniens,
Apollon le Brillant, allant au pilote de Ménélas,
Lui porta de ses traits une mort douce et soudaine,
Alors qu’il avait en mains le gouvernail de la nef
Qui courait sur les eaux. C’était Phrontis, fils d’Onétor,
Le meilleur pilote parmi les humains dans les tempêtes.
Ménélas fit halte là, quoique pressé de poursuivre,
Le temps d’enterrer son compagnon et de l’honorer.
Mais quand, repartant à la course sur la mer lie-de-vin
À bord de ses nefs creuses, il parvint au mont élevé
Des Maléens, alors Zeus qui voit au loin lui prépara
Un affreux voyage, faisant retentir des vents sifflants,
Nourrissant des vagues énormes, telles des montagnes.
La flotte est dispersée, il en pousse une partie en Crète,
Où vivent les Cydoniens, sur les rives du Iardanos.
Il y a dans la mer une haute roche lisse,
À l’extrémité de Gordyne, dans les eaux bleu sombre.
Là le Notos fait monter de grandes vagues à gauche
Du cap de Phaestos, et une petite pierre brise
Les grandes vagues. C’est là qu’ils arrivent, les hommes,
Fuyant avec peine la mort. Et les vagues brisent
Leurs nefs sur les écueils. Mais cinq bateaux à la proue sombre
Sont poussés vers l’Égypte, portés par le vent et l’eau.

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le texte grec est ici
dans ma traduction, le premier chant entier , le deuxième
à suivre !