Joséphine, Eric, la pantoufle Ac’, le lycée Montaigne

Aujourd’hui Joséphine Baker entre au Panthéon et Eric Zemmour se déclare candidat à l’élection présidentielle. Une résistante, un pétainiste. Une artiste, un agitateur médiatique. Une femme pleine d’amour, un homme plein de haine. Une grande femme, un petit homme. La supériorité de Joséphine Baker est évidemment éclatante, à tous les points de vue. À ne pas perdre de vue d’ici l’élection, justement. Avant d’entrer au Panthéon, elle était déjà ici.

Encore une place à prendre à l’Académie française, je ne sais quel immortel ayant encore passé l’arme à gauche (façon de parler). Lèche-pantoufles, à vos langues ! Il faut faire sa cour à ces si mortel·le·s pantouflard.e.s pour pouvoir participer au dictionnaire le plus mort de tous les temps, pour être du cercle des flics de la langue.

Il semble que j’aie de bonnes chances de trouver un poste d’enseignante contractuelle et je m’en réjouis. Alors que je complète mon dossier pour le rectorat, je lis qu’un élève de quinze ans a frappé sa prof de maths à coups de poing au lycée Montaigne. Je me rappelle que l’un de mes fils, qui était dans ce lycée il y a quelques années, y a subi une clé d’étranglement d’un agent de la BAC pesant 30 à 40 kg de plus que lui, alors qu’il tentait de secourir une lycéenne qu’un autre baqueux tirait au sol par les cheveux pour dégager l’entrée du lycée en grève (grève sans violences, autres que policières). Ceci n’explique ni n’excuse cela, ceci et cela, comme le succès de l’extrême-droite dans les intentions de vote, sont des révélateurs de la violence qui règne en France.

Je continue à lire Almudena Grandes, toujours aussi magnifique.
*

Almudena Grandes, una reina (note actualisée)

J’actualise cette note à mesure de ma lecture d’Almudena Grandes… et du constat de l’indigence de la presse française à son propos.

29-11-21
Je me suis remise à lire Le cœur glacé au milieu de la nuit, captivée par la puissance de la langue d’Almudena Grandes. Dans la journée les pages évoquant la journée de fête des républicains espagnols de Paris à l’annonce de la mort de Franco m’avaient déjà sidérée. Dans la nuit un autre épisode, celui de la visite du grand-père et de sa petite-fille à une famille riche, m’a aussi abasourdie. Il y a très longtemps que je n’ai pas lu quelque chose d’aussi puissant. Je suis à la fête, d’avoir enfin trouvé une auteure contemporaine que je puisse lire, qui vaille à ce point d’être lue. Nous sommes très loin en France d’avoir quiconque d’aussi puissant, oubliez les stars, oubliez tous les prix Goncourt et autres de ces nombreuses dernières années. Et même dans la littérature étrangère : on a encensé Toni Morrisson ? Je l’ai lue, c’est une bonne auteure, mais vraiment pas extraordinaire, visiblement inspirée de Faulkner mais pas à sa hauteur. Almudena Grandes, elle, a une voix unique. On sent ça tout de suite, quand on connaît intimement la littérature. La différence entre ce qui est talentueux et ce qui est exceptionnel.

L’Espagne est en deuil de sa grande écrivaine, toute la presse lui rend hommage, tous les médias, à la télé on interroge les gens dans la rue sur elle, ils témoignent, comme auraient témoigné les Français à la mort de Victor Hugo. Mais en France personne n’en parle. Un article dans le Huff Post, quelques autres rapides évocations ici et là mais en ce lundi matin 11 heures où j’écris, deux jours après l’annonce de sa mort, rien dans les grands médias culturels de référence, Le Monde, Le Figaro, L’Obs, Libération, etc. – tous ne parlent que de la mort d’un styliste de LVMH. Les milliardaires aux commandes de la presse française ? Le fait est que la presse française ne s’intéresse pas à une grande auteure engagée dans des combats de gauche, historienne de formation, qui a beaucoup travaillé sur les suites de la guerre civile espagnole. Si elle était américaine, oui, sûrement, là, ce serait mode, comme LVMH, ce serait bankable. Pourtant on ne peut même pas dire qu’Almudena Grandes soit un génie inconnu, elle a vendu des millions de livres. Et ne serait-ce que pour évoquer l’émotion provoquée par sa mort chez nos voisins espagnols, les journalistes devraient se fendre d’un article, tout simplement pour faire leur travail, qui est d’informer. L’Europe, ça leur dit quelque chose ? Ou ils ne voient que leur petit hexagone, et son grand mentor yankee ?
*
28-11-21
« regardez ce ciel, comme la sierra est nette, on voit jusqu’à Navacerrada, quelle belle matinée, cet air réveillerait un mort, on a une de ces chances… Almudena Grandes, Le cœur glacé

Je me rends compte, en apprenant qu’elle est morte hier, que je n’ai jamais lu Almudena Grandes. J’ai toujours eu l’impression de connaître cette importante auteure espagnole parce que, née quatre ans après moi, elle a publié un an après moi son premier roman, un premier roman érotique comme mon premier roman, qui avait eu un grand succès, comme le mien. J’étais en Espagne pour faire la promotion de mon premier roman quand on parlait du sien, qui venait de sortir. Puis dans ses romans et textes suivants, elle s’est intéressée à l’histoire et à la politique de son pays, notamment aux années d’après la guerre civile. Quoique nos façons d’écrire soient très différentes l’une de l’autre, j’ai l’impression que vient de partir l’un de mes doubles – ces doubles inscrits dans mon nom d’auteur, emprunté à une nouvelle d’un autre hispanophone, Cortazar.

Voici donc un autre de mes doubles passé de l’autre côté, d’où il va m’enseigner. Je viens d’emprunter l’un de ses livres, et je vais donc la lire pour la première fois. J’en reparlerai. Merci à toi, Almudena, dont le prénom signifie en arabe la citadelle.
*
… et j’ai signé pour une primaire populaire qui puisse éviter une répétition en forme de chantage Macron/extrême-droite au second tour

Les Indes Galantes, le film – merveilleux film

J’ai exulté et dansé sur mon siège au cinéma en regardant le fantastique film Les Indes galantes, documentaire de Philippe Béziat autour de la création donnée à l’Opéra Bastille en 2019 avec des danseurs et danseuses de krump et autres street dances sur la musique éponyme de Jean-Philippe Rameau. Hélas je n’ai pas vu l’opéra à l’époque, mais heureusement ce film est là pour en restituer l’histoire, dans la mise en scène de Clément Cogitore et la chorégraphie de Bintou Dembélé, avec le formidable chef d’orchestre Leonardo García Alarcón, de puissantes chanteuses et chanteurs solistes, un très excellent chœur.., toutes ces personnes et les autres travaillant manifestement en chœur dans une magnifique vitalité artistique. Le film montre très bien toute l’humanité du projet aussi, avec des artistes issus d’un peu partout, qui font le Paris d’aujourd’hui – la France d’aujourd’hui, jeune et puissante quand on ne l’empêche pas d’exprimer ses talents. Moment émouvant, quand une jeune danseuse fait écouter un chant traditionnel de la tribu amérindienne de sa grand-mère, qui a vécu dans la forêt, et que le réalisateur met en évidence la continuité entre ce chant, cette musique, et celle de Rameau. Moment exaltant, quand après avoir dansé en répétition la scène des « Forêts paisibles », après la fin les danseurs continuent à danser, emportés par leur pure joie. Je me régalais de tout cela, et je pensais après avoir vu ça, je peux mourir avec au cœur la joie de savoir que l’humanité que j’aime est toujours en route. Et puis aussi, je me disais, je vais encore faire quelque chose de grand, je le sens, tout mon corps, tout mon esprit le préparent.
*





*

Simple selfie

Rien n’est meilleur pour l’esprit que le sport. Selfie du jour à la salle après deux heures d’exercices, le corps chaud et bienheureux. Mon rythme maintenant c’est la salle trois fois par semaine, et un running en extérieur par semaine. Les jours où je ne vais pas à la salle – où je termine par vingt à trente minutes de yoga, surtout un yoga d’étirements, je fais à la maison yoga et un peu de fitness, gainage… À la salle je fais essentiellement du cardio, tapis de course, elliptique, rameur, vélo demi-allongé pour travailler un peu tous les muscles en même temps que le cœur, et j’ai l’intention de pratiquer bientôt un peu de musculation.
*

Quelques réflexions autour des manuscrits retrouvés de Louis-Ferdinand Céline

Il y a des écrivains qui ont essentiellement travaillé à se faire du réseau, et qui n’ont pu que recracher leur médiocre jus, leur sempiternelle même recette, de livre en livre ; il y a des auteurs qui sont restés salariés toute leur vie pour s’assurer bons revenus et sécurité, et qui n’ont pu que produire des livres pantouflards ; il y a des auteurs qui ont été libres, qui ont payé le prix pour ça, et qui ont écrit des livres à nuls autres pareils.

Regardé le documentaire sur les 6000 feuillets inédits de Céline retrouvés. Terrible histoire, mais quel autre auteur avons-nous eu, depuis ? Quel autre inventeur de langue ? Ou quel inventeur d’univers ? Comme il disait, les autres, ils se copient les uns les autres – ce qui n’a jamais été plus vrai qu’aujourd’hui, où sont aussi pillés les auteurs de manuscrits, et où les produits que sont les livres sont de plus en plus formatés – du prêt-à-porter bas de gamme, fait pour durer une saison.

(Mon humble travail, du moins, n’en copie aucun autre, n’est pas retravaillé par les éditeurs ; mon style est unique, et ma vision, mon audace, sont uniques aussi. Je suis libre, j’ai toujours été libre, je n’aurais pu me rêver meilleur destin d’écrivain.)

Lucette, la femme de Céline, dit que « sa manière de travailler, c’était de se mettre en transe ». Bien sûr, c’est pour ça qu’il incarne tout le vingtième siècle, toutes ses tribulations, et aussi tout son mal. Je l’ai dit l’autre jour, la transe rend l’homme plus grand que lui-même ; Céline a été grand comme l’Europe, jusqu’à incarner dans l’écriture son mal le plus profond, l’antisémitisme, cette maladie dont un variant est l’islamophobie, cette maladie toujours si vivace aujourd’hui.

Céline est un iel, lui aussi, avec son nom d’auteur féminin. L’énorme médiocrité et le mensonge permanent du monde l’ont poussé au crime moral. Je ne le juge pas, c’est son œuvre pleine de vilenie qui juge l’humanité.

Je ne travaille bien qu’en transe moi aussi, et je connais toutes les forces qui traversent alors l’individu, pour lui ordonner de les coucher par écrit. Les coucher. Les mettre à bas, les mauvaises forces, en les écrivant. Et se relever soi-même galvanisé par les forces bonnes, les forces de vie qui sont passées par soi aussi. Laisser celles-là seules s’y installer. Tendre le miroir de leur saleté et de leur bêtise aux sales, aux imbéciles. Et soi, être lumière.

Ça, Céline l’a raté. Il n’en manquait pas, pourtant, de lumière. Il l’a gâchée, c’est son affaire. Heureusement, ce n’est pas son propre sort qui compte, ce qui compte c’est le génie, son génie, qu’il a mis dans son œuvre.

Je regarde les grands maîtres de la littérature, comme lui, et j’essaie de ne pas succomber aux malheurs divers auxquels ils ont succombé, en « suicidés de la société ». Moi la lumière je la garde, je la garde bien.

*

Iel et les braves gens

Rien que pour faire la nique aux apeurés de tout, à ceux qui ont peur qu’un nouveau pronom ne viennent leur couper leur petit appendice, à ceux qui ont peur que de nouveaux concitoyens ne viennent leur prendre leur identité, à ceux qui ont peur des femmes, des non-binaires, des immigrés, à ceux qui ont peur d’eux-mêmes plus encore que de leur ombre, à ceux que seule la peur de la vie maintient en vie, je pourrais vanter, rien que pour rire d’eux, ce fameux iel entré dans le meilleur dictionnaire de France, leur donnant des vapeurs à n’en plus finir.

Mais la vérité c’est que je l’aime bien, moi, ce iel. Je parie que Rimbaud aujourd’hui dirait : Je est iel. Moi en tout cas, je le dis. Tous les humains sont plus ou moins bigenre, et dès l’enfance j’étais au moins autant du genre masculin que du féminin, d’après les assignations sociales faites à ces genres. Je ne jouais jamais à la poupée ou à je ne sais quels autres jeux on assigne aux filles, je jouais au foot dans la ruelle avec les petits voisins et mes frères, je jouais à la bagarre avec les voisins, je jouais seule à grimper aux arbres et sur les toits, j’étais l’aînée de ma fratrie et c’était moi qui décidais de ce que je voulais faire, que les autres me suivent, ou non. Et ça n’a jamais changé.

N’étais-je pas une fille pour autant, ne suis-je pas devenue une femme, ne suis-je pas une femme ? Aussi ? Mais si bien sûr, et la plus femme des femmes, comme le plus homme des hommes. Une telle nature, vécue sans hésitation ni problème, suscite beaucoup l’adversité des apeurés. Enfant, je n’hésitais pas à affronter ni ma mère, ni mon père, et j’en eus bien des problèmes, surtout avec ma mère, que je finis par envoyer complètement promener alors qu’elle reprenait ses attaques contre moi, dans les dernières années de sa vie. Bien des gens se sont comportés comme elle avec moi, avec le même dépit et la même insatisfaite volonté de domination. D’Annie Ernaux, écrivaine de papa-maman-monavortement-mesamants, qui me fit une leçon de morale en prétendant que je ne devrais pas écrire de littérature érotique, jusqu’aux cathos complices de violeurs d’enfants qui s’acharnèrent à tenter de me convaincre que j’étais pécheresse, en passant par un tas d’autres gens de tous milieux, j’ai entendu toujours la même rengaine sans grâce ânonnée ou criaillée par des voix aigres. Les mêmes qui maintenant s’en prennent à iel, comme à tout fauve qu’iels voudraient mettre en cage. Raté, comme tout ce qu’iels font.

Comme quoi, iel a plus d’un tour dans son sac. Longue vie à ce pronom ! Et si elle doit être courte, eh bien elle n’aura pas été vaine, à foutre ce beau bordel parmi ces braves gens.

*

Récupération : la chair, les os, les fringues et l’art

Encore deux bonnes heures à la salle aujourd’hui. Je m’y sens tellement bien. Je commence toujours par le tapis de course, qui demande le plus d’effort, puis je travaille sur deux ou trois autres machines, puis à la fin gainage et yoga. La sensation merveilleuse de légèreté en sortant, elle est fondée sur quelque chose de réel, le fait d’avoir bien éliminé. Ce qui était à éliminer dans le corps, et ce qui était à éliminer dans la tête. J’ai le choix entre plusieurs salles, je peux en changer, mais celle où je me suis inscrite au départ occupe les locaux précédemment occupés par une maison d’édition – qui me refusa un manuscrit. Tout un symbole, et même plus d’un. Les machines de sport occupent très avantageusement, à mon sens, le lieu : voilà de la belle et bonne récup.

Ce matin j’ai commandé un jeans et une jupe sur un site de vente en seconde main. Presque tous mes vêtements sont des vêtements de seconde main, soit achetés en friperie, soit trouvés (quelqu’un qui les dépose quelque part pour les donner à qui veut), soit donc achetés en ligne ; ou bien des vêtements que j’ai depuis très longtemps, parfois depuis vingt ans, et qui sont toujours en bon état – c’est l’avantage de garder les mêmes mensurations au fil des ans, en vieillissant pas besoin d’acheter du vintage. Je fais toujours du 36, même si j’ai porté aussi, jadis, du 34 (je suis petite) que je ne peux plus porter ; ceux qui étaient en 36 continuent d’aller. La preuve que j’ai gagné en force, et non en gras, c’est que certains bracelets que je mettais me serrent maintenant trop au poignet, là où il n’y a pas du tout de gras. Et puis les muscles je les sens très bien ; pour les os et les articulations ça ne se voit pas mais je pense que ça s’est amélioré aussi, à la fois grâce à l’entraînement qui leur apporte renouveau et vitalité, et grâce à la musculation qui les soulage et les protège. Je me récupère moi-même. La recette du bonheur est bien simple.

J’aime beaucoup le fait de porter des vêtements récupérés, non seulement parce que c’est plus écologique, mais aussi parce que c’est plus original et, souvent, plus élégant que d’être fringué de neuf. Les dandys n’aiment pas porter du neuf, ou bien ils font en sorte qu’il n’ait pas l’air d’être porté pour la première fois. Et puis on peut aussi faire des associations plus inventives avec des vêtements trouvés çà et là, comme on peut lire des livres plus originaux en se fournissant çà et là chez les bouquinistes, dans les bibliothèques, les boîtes à livres… La mode, il faut l’inventer et non la suivre. Comme le reste. La circulation des vêtements déjà portés, comme celle des livres déjà lus, a la grâce de l’amour, de l’échange, de l’humain.

S me dit que des amis, de jeunes intellectuels, qui ont vu Illusions perdues, lui ont dit que le film était habile mais plutôt foutage de gueule par rapport au roman (voir ce que j’en disais hier). La récup d’œuvres (dont la traduction fait partie), en art, est aussi un art. À pratiquer avec élégance. Le manque d’élégance, c’est de transformer une œuvre ancienne en œuvre clinquante, flambant neuf. Si l’on habille de neuf une œuvre qu’on a décharnée et désossée, au premier coup d’œil ça peut en jeter, mais au deuxième on voit tout s’effondrer. Ne reste plus que le commerce. Préférons la chair, le vivant, l’humain.

*