
Les cerisiers sont en fleur ces jours-ci au jardin des Plantes. Photo Alina Reyes
Les chrétiens annoncent aujourd’hui la résurrection du Christ. Très bien, mais je préférerais qu’on annonce la mort du diable, et que ce soit vrai. La vie des humains, comme toute vie, est bien assez difficile, elle n’a nul besoin de ce parasite pour lui compliquer les choses. Les complications sont le contraire de la complexité, qui est un synonyme de la vie et de la simplicité.
J’ai été satisfaite de planter le Cyclope. Dans une vision des choses basique – œil pour œil, dent pour dent -, il s’en tire bien avec seulement l’œil crevé pour avoir mangé des humains. Mais Homère et ses prédécesseurs inventeurs de l’histoire savaient que dans certains cas, laisser en vie le criminel est un plus grand châtiment que de le tuer.
Comme on le répète, si Ulysse s’était abstenu de le narguer en partant, il n’aurait pas eu à subir la vengeance de Poséidon. Mais comme il le dit lui-même, Ulysse n’est pas un lâche. Tous ceux qui le traitent de menteur, confondant mensonge et fiction, sont aussi les mêmes qui le critiquent quand il clame la vérité, quel que soit le prix qu’il ait à en payer. C’est parce que les gens confondent mensonge et fiction que le diable sévit, et c’est parce que le diable s’ingénie à leur faire confondre toujours plus mensonge et fiction que le monde est malade. Le mensonge, c’est le diable ; la fiction, c’est l’esprit sain et saint. Faire passer une fiction pour une réalité, c’est du mensonge, c’est le diable. Dire que la fiction est du mensonge, c’est jeter la confusion dans les esprits, c’est ce que font les esprits soumis au diable, au mensonge – les esprits lâches.
Athéna et sa projection Ulysse incarnent l’intelligence et le courage. Il n’y a pas de courage sans intelligence, et une intelligence sans courage n’est qu’une mécanique infernale, fatalement vouée à se perdre dans le mensonge. Poséidon sait qu’il ne pourra pas perdre Ulysse, qui est protégé par les dieux, c’est-à-dire par son intelligence et son courage. Le Cyclope, fils de Poséidon, incarne le défaut d’intelligence humaine de ce dieu. Le caractère humain des dieux de l’Olympe chez Homère n’est pas un défaut mais un outil de l’Intelligence, un véhicule pour sa manifestation. Qui n’a vraiment pas fini de se produire, Dieu merci.

« … Heidegger pense en terme d’historialité et fonde son autorité sur la volonté de « penser plus grec que les Grecs ». Pensée hautaine, totalement indifférente à tout ce qu’un anthropologue historien des lieux et des formes du politique pourrait d’abord apprendre, ensuite argumenter contre une thèse d’une fragilité si surprenante. Qu’on en juge, le dossier est simple : nul linguiste, aucun helléniste ne connaît l’étymologie de polis, le mot grec qui désigne « la cité ». Heidegger n’a pas l’ombre d’une hésitation : polis vient de polein, une forme ancienne du verbe être. Conséquence évidente : la cité est en soi le lieu du dévoilement total de l’être ; variante : la Polis n’est ni l’État ni le politique au sens trivial, elle est le pôle (polos-polein), l’axe tourbillonnant dans lequel et autour duquel tout se meut. Et la chose politique, le politikon dont parle Hérodote et ses contemporains, la cité, la polis si longuement explicitée par les indigènes dans les inscriptions, dans l’écriture publique qui affirme avec autant d’audace la présence de cette chose abstraite, si malaisée à faire exister dans des lieux, dans des choix, dans des décisions quotidiennes, au nom de quelle révélation seraient-ils déclarés nuls et non avenus ?