« Vers le sud », de Dany Laferrière

Je songeais à ce livre il y a quelques jours en contemplant le film d’Olivier Létoile Une journée chez les Masaï. Le film les montre dans la paix du quotidien. Il s’agit bien sûr d’une vision partielle de leur vie – d’autant que de nombreuses heures d’images ont été malheureusement perdues. Une autre réalité de ces villages est que, comme cela se produit aussi dans d’autres pays en voie de développement, il existe un tourisme sexuel qui attire certains jeunes hommes à la ville, où ils peuvent rencontrer des Occidentales plus âgées mais aussi plus fortunées. Vers le sud évoque ce phénomène en Haïti, voici la critique que j’en fis après sa parution :

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Lâchez les chiens de Sade et de Laclos sur une île pleine de jeunes indigènes appétissant(e)s, et imaginez l’ambiance. Vers le sud est davantage encore, puisque cette île est Haïti, avec ses problèmes politiques et sociaux extrêmes, sa très grande pauvreté, ses classes sociales très tranchées, sa violence mais aussi sa capacité d’envoûtement, comme si hommes et femmes n’y étaient que les jouets d’invisibles dieux vaudous.

Ici la question sexuelle se pose noir sur blanc, Blanc sur Noir. Si impitoyablement que s’y exprime le désir, sa mise en oeuvre n’est que le résultat de transactions tellement codées que jamais les partenaires ne songent ni à convenir d’un accord ni à contester l’accord tacite qui les lie, encore moins à se révolter contre ces jeux brutaux où l’emprise exclusivement sexuelle et les rapports de domination semblent exclure toute possibilité d’amour, ou seulement de rencontre véritable.

Voici : les riches ont leur argent, les pauvres ont leur corps. Les uns décidés à prendre leur bien aux autres, et réciproquement. Sans se contenter cependant d’une prostitution élémentaire. Chacun, en somme, en veut pour un peu plus que ce qu’il donne. Ceux et celles qui se font payer veulent aussi pouvoir exercer leur pouvoir de séduction, le déployer comme une arme et faire quasiment de leurs clientes et clients des prisonniers de guerre. Celles et ceux qui vont payer se précipitent avec délices dans ce jeu de soumission, cette occasion facile de rompre leur ennui par une obsession érotique, de se divertir en s’inversant, en reportant leur « chair de maître » dans l’autre, le temps d’une illusion. Sans pour autant perdre, en fin de compte, leur supériorité sociale et les garanties qui en découlent, comme on dit dans les compagnies d’assurance.

Comme chez Sade, comme chez Laclos, nous sommes dans un théâtre aux multiples entrées et sorties, et c’est ainsi que le livre lui-même est conçu. Un théâtre infernal, où nul n’espère jamais la moindre douceur ni une quelconque maîtrise de soi. Les dieux vaudous, à peine évoqués dans le texte mais en sous-main omniprésents, plus immédiats et implacables que ceux de l’Antiquité grecque, maintiennent la scène de ce monde, malgré ses bouffonneries et ses absurdités, dans une indépassable tragédie.

L’étrange est que pourtant cet enfer recèle une lumière cachée, que jamais l’auteur ne décrit mais dont il suggère le caractère irrésistible, un mystérieux et inquiétant paradis dont certaines femmes entendent brusquement l’appel puissant et pour lequel elles quittent tout, vie sociale brillante, enfants et mari, pour entrer enfin dans certain petit tableau de leur enfance, dans un néant où s’assouvit tout désir et s’anéantit toute insatisfaction.

voir aussi l’évocation de Vers le sud dans ma lecture de Kenzaburô Ôé, Le faste des morts

Pierre Teilhard de Chardin, François d’Assise, François Cheng à Notre-Dame des Champs

Pendant que je contemplais cette exposition, un enterrement avait lieu. Ensuite je suis allée dans une petite salle, où les textes étaient dits sur des images vidéo. Je n’y ai pas assisté assise sur une chaise, mais je suis allée m’agenouiller sur le prie-Dieu, au fond, les yeux fermés. J’ai donc prié avec eux, en couvrant ma tête de mon écharpe, car j’en éprouve le besoin maintenant que je suis habituée à la prière islamique. L’islam et le christianisme se sont épousés en moi, c’est ainsi. J’ai été très bienheureuse. Dans l’église, en voyant une peinture où Véronique essuie le visage du Christ, je me suis rappelée que selon la tradition, elle a fondé le christianisme à Soulac, la ville d’où je viens – et je me suis dit que mon livre Voyage était comme le linge imprimé du visage du Christ.

Cliquer pour voir et lire en grand et en diaporama ces quelques photos de l’exposition.

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Paris by day

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La Société des Gens de Lettres

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La maison de Gainsbourg

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Des amoureux au bord de la Seine

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Un peintre au bord de la Seine

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Un saule pleureur au bord de la Seine

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Une parole au bord de la Seine

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Un jeune homme au bord de la Seine

8

Une passerelle pour le pont des Arts

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L’Institut de France, Académie française

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Plus de cadenas d’amour sur le pont des Arts !

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Le bout de l’île de la Cité

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Péniches sur la Seine

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Street Art dans le 6e

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L’un de ces passages qu’Aragon chanta

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Street Art rue de Seine

aujourd’hui, photos Alina Reyes

Russes

« À l’aide un grand couteau, Pavlenski se coupe le lobe de l’oreille alors qu’il est assis nu sur le toit de l’Institut de psychiatrie sociale et légale Serbsky de Moscou.
« Le couteau sépare le lobe de l’oreille. Le mur en béton de l’institut sépare la société saine d’esprit des malades mentaux », annonce le manifeste de l’artiste… » Et il en a fait bien d’autres.

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Ce n’est pas tout un chacun qui peut chanter.
Ce n’est pas à tout homme qu’est donné d’être pomme
Tombant aux pieds d’autrui.

Ci-après la toute ultime confession,
Confession dont un voyou vous fait profession.

C’est exprès que je circule, non peigné,
Ma tête comme une lampe à pétrole sur mes épaules.
Dans les ténèbres il me plaît d’illuminer
L’automne sans feuillage de vos âmes.

Serge Essénine, début de son poème La confession d’un voyou, traduit du russe par Armand Robin