« Van Gogh, le suicidé de la société »


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Il n’est pas sûr que Vincent se soit suicidé, il a peut-être été tué par deux garçons de la bonne société qui avaient pour habitude de le harceler, et qu’il n’aurait pas voulu dénoncer.

Ajout du 1er août 2016 : Voici un article plus détaillé sur la thèse de l’accident par Steven Naifeh et Gregory White Smith dans Vanity Fair.

Pour vérifier s’il y a bien eu une embrouille à l’origine de cette affaire, il faudrait aller chercher des indices dans les paroles des chansons de Gaston Secrétan, l’un des deux frères. Les partitions sont à la bibliothèque Richelieu et si j’en ai un jour le temps, j’irai voir ça.

René Secrétan ayant dit que Van Gogh lui avait volé son arme, il est envisageable, par exemple, que le peintre l’ait prise en effet pour éviter les risques, étant donnée une certaine crapulerie dans leurs rapports. Puis qu’il ait accepté un autre rendez-vous avec les frères et que l’un d’eux, en voulant lui reprendre l’arme, l’ait blessé accidentellement – d’où l’entrée oblique de la balle faite de près mais pas à bout portant. Et que Van Gogh, estimant qu’il l’avait bien cherché en acceptant les embrouilles avec ces garçons, et n’ayant pas envie de raconter ces trafics misérables, en adulte conscient de ses torts se soit accusé de suicide – de façon tout aussi oblique (répondant à la question « vous êtes-vous suicidé ? » : « je crois »).
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« Le Théâtre et son Double » par Antonin Artaud (extraits)

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« Notre idée pétrifiée du théâtre rejoint notre idée pétrifiée d’une culture sans ombres, et où de quelque côté qu’il se retourne notre esprit ne rencontre plus que le vide, alors que l’espace est plein.
Mais le vrai théâtre parce qu’il bouge et parce qu’il se sert d’instruments vivants, continue à agiter des ombres où n’a cessé de trébucher la vie. L’acteur qui ne refait pas deux fois le même geste, mais qui fait des gestes, bouge, et certes il brutalise des formes, mais derrière ces formes, et par leur destruction, il rejoint ce qui survit aux formes et produit leur continuation. (…)
Pour le théâtre comme pour la culture, la question reste de nommer et de diriger des ombres : et le théâtre qui ne se fixe pas dans le langage et dans les formes, détruit par le fait les fausses ombres, mais prépare la voie à une autre naissance d’ombres autour desquelles s’agrège le vrai spectacle de la vie.
Briser le langage pour toucher la vie, c’est faire ou refaire le théâtre ; et l’important est de ne pas croire que cet acte doive demeurer sacré, c’est-à-dire réservé. Mais l’important est de croire que n’importe qui ne peut pas le faire, et qu’il y faut une préparation.
Ceci amène à rejeter les limitations habituelles de l’homme et des pouvoirs de l’homme, et à rendre infinies les frontières de ce qu’on appelle la réalité. » (Préface, Le théâtre et la culture)

« Si le théâtre essentiel est comme la peste, ce n’est pas parce qu’il est contagieux, mais parce que comme la peste il est la révélation, la mise en avant, la poussée vers l’extérieur d’un fond de cruauté latente par lequel se localisent sur un individu ou sur un peuple toutes les possibilités perverses de l’esprit. (…) de même que la peste, le théâtre est fait pour vider collectivement des abcès. (…) Il invite l’esprit à un délire qui exalte ses énergies ; et l’on peut voir pour finir que du point de vue humain, l’action du théâtre comme celle de la peste, est bienfaisante, car poussant les hommes à se voir tels qu’ils sont, elle fait tomber le masque, elle découvre le mensonge, la veulerie, la bassesse, la tartuferie ; elle secoue l’inertie asphyxiante de la matière qui gagne jusqu’aux données les plus claires des sens ; et révélant à des collectivités leur puissance sombre, leur force cachée, elle les invite à prendre en face du destin une attitude héroïque et supérieure qu’elles n’auraient jamais eu sans cela. » (Le théâtre et la peste)

« Faire la métaphysique du langage articulé, c’est faire servir le langage à exprimer ce qu’il n’exprime pas d’habitude : c’est s’en servir d’une façon nouvelle, exceptionnelle et inaccoutumée, c’est lui rendre ses possibilités d’ébranlement physique, c’est le diviser et le répartir activement dans l’espace, c’est prendre les intonations d’une manière concrète absolue et leur restituer le pouvoir qu’elles auraient de déchirer et de manifester réellement quelque chose, c’est se retourner contre le langage et ses sources bassement utilitaires, on pourrait dire alimentaires, contre ses origines de bête traquée, c’est enfin considérer le langage sous la forme de l’Incantation.
Tout dans cette façon poétique et active d’envisager l’expression sur la scène nous conduit à nous détourner de l’acception humaine, actuelle et psychologique du théâtre, pour en retrouver l’acception religieuse et mystique dont notre théâtre a complètement perdu le sens. » (La mise en scène et la métaphysique)

« L’opération théâtrale de faire de l’or, par l’immensité des conflits qu’elle provoque, par le nombre prodigieux de forces qu’elle jette l’une contre l’autre et qu’elle émeut, par cet appel à une sorte de rebrassement essentiel débordant de conséquences et surchargé de spiritualité, évoque finalement à l’esprit une pureté absolue et abstraite, après laquelle il n’y a plus rien, et que l’on pourrait concevoir comme une note unique, une sorte de note limite, happée au vol et qui serait comme la partie organique d’une indescriptible vibration. » (Le théâtre alchimique)

« Tout ce qui est dans l’amour, dans le crime, dans la guerre, ou dans la folie, il faut que le théâtre nous le rende, s’il veut retrouver sa nécessité. (…) Pratiquement, nous voulons ressusciter une idée du spectacle total (…) Donc, d’une part, la masse et l’étendue d’un spectacle qui s’adresse à l’organisme entier ; de l’autre, une mobilisation intensive d’objets, de gestes, de signes, utilisés dans un esprit nouveau. (…) Sur ce principe, nous envisageons de donner un spectacle où ces moyens d’action directe soient utilisés dans leur totalité ; donc un spectacle qui ne craigne pas d’aller aussi loin qu’il faut dans l’exploration de notre sensibilité nerveuse, avec des rythmes, des sons, des mots, des résonances et des ramages, dont la qualité et les surprenants alliages font partie d’une technique qui ne doit pas être divulguée.
Pour le reste et pour parler clair, les images de certaines peintures de Grünewald ou de Hieronymus Bosch, disent assez ce que peut être un spectacle où, comme dans le cerveau d’un saint quelconque, les choses de la nature extérieure apparaîtront comme des tentations.
C’est là, dans ce spectacle d’une tentation où la vie a tout à perdre, et l’esprit tout à gagner, que le théâtre doit retrouver sa véritable signification. » (Le théâtre et la cruauté)

« La question d’ailleurs ne se pose pas de faire venir sur la scène et directement des idées métaphysiques, mais de créer des sortes de tentations, d’appels d’air autour de ces idées. Et l’humour avec son anarchie, la poésie avec son symbolisme et ses images, donnent comme une première notion des moyens de canaliser la tentation de ces idées. » (Le théâtre de la cruauté, Premier manifeste).

« Avoué ou non, conscient ou inconscient, l’état poétique, un état transcendant de vie, est au fond ce que le public recherche à travers l’amour, le crime, les drogues, la guerre ou l’insurrection.
Le Théâtre de la Cruauté a été créé pour ramener au théâtre la notion d’une vie passionnée et convulsive ; et c’est dans ce sens de rigueur violente, de condensation extrême des éléments scéniques qu’il faut entendre la cruauté sur laquelle il vient s’appuyer.
Cette cruauté, qui sera, quand il le faut, sanglante, mais qui ne le sera pas systématiquement, se confond donc avec la notion d’une sorte d’aride pureté morale qui ne craint pas de payer la vie le prix qu’il faut la payer. » (Le théâtre de la cruauté, Second manifeste)

« L’acteur est un athlète du cœur. »

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Chair à couleur. Van Gogh/Artaud au musée d’Orsay, Doré, d’autres

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au musée d’Orsay cet après-midi, photo Alina Reyes

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Ses chemins sont des rivières, ses arbres des danseuses, ses ciels des océans, ses fleurs des éclaboussures, ses champs des peuples en mouvement, ses bâtiments des grand-parents assis, ses personnages des bouts de peinture, ses visages de la chair à couleur. Tout va et va dans chaque tableau, et chaque tableau est en train de sortir de lui-même, tandis que vous-même êtes happés par le tableau, l’incroyable puissance vitale du peintre.

Avant-hier Auvers-sur-Oise, aujourd’hui le musée d’Orsay. Le génie de Van Gogh au long d’une belle exposition rassemblant de nombreuses œuvres prêtées, et notamment les autoportraits, avec la compagnie splendide d’Artaud. Malgré le monde, on a le temps et la place de contempler, les peintures sont bien accrochées et éclairées, il me semble que Vincent aurait été content. Les extraits du très beau texte d’Artaud sont plutôt bien choisis, mais l’essentiel c’est qu’il soit là, sa présence manifestée aussi par la voix d’Alain Cuny le lisant sur la vidéo du Champ de blé aux corbeaux, et puis l’espace qui lui est consacré, avec une planche contact de portraits de lui à l’époque de la rédaction de son Van Gogh le Suicidé de la société, une vidéo de ses apparitions au cinéma qui fait résonner sa voix, et aussi quelques-uns de ses dessins, notamment des autoportraits, à travers lesquels j’ai vu une proximité avec Basquiat, comme en troisième pièce d’une fraternité d’âmes très singulières dans l’art et le temps.

Devant l’une des toiles de Vincent, j’ai entendu une grande bourgeoise qui accompagnait un vieux et fameux plagiaire lui dire, vraisemblablement en réponse à une remarque qu’il avait faite : « c’est peut-être parce que nous, nous le regardons avec un esprit sain ». Mais la vérité est que, comme l’a dit Artaud, Van Gogh est très sain, très lucide, plus sain que ceux qui le croient fou. Dans l’œuvre intitulée « Le fauteuil de Gauguin », voici ce que j’ai vu : dans sa chambre d’Arles, l’humble Vincent n’a que deux petites chaises de paille. Mais Gauguin, lui, trône dans un fauteuil. Un fauteuil rouge chair, dans lequel est posée une bougie allumée, comme si Van Gogh se disait que Gauguin avait un peu trop le feu aux fesses. Et qu’à cause de cela, il a peint en bleu froid les barreaux qui lui font face, afin que cette sorte de feu soit tenue à distance. Et peut-être cela signifie-t-il aussi que Gauguin était en vérité glacé, glaçant.

Nous avons visité aussi l’exposition Gustave Doré. Ses dessins fascinants, novateurs – plus d’une planche de Bilal en semble directement issue, mais son influence notamment au cinéma est toujours vivante, comme le montrent des vidéos. Ses peintures, que l’on connaît moins, m’ont fait penser à ces fresques ou figures géantes réalisées par des street artists, ce qui s’accorde bien avec son esprit d’illustrateur – notamment dans une toile intitulée Les mendiants de Burgos, qui m’a évoqué, plutôt qu’un mur devant lequel se tiennent des personnages, un mur sur lequel auraient été tagués des pochoirs de personnages.

Avant de repartir nous sommes allés revoir les impressionnistes. Même les plus forts, Manet, Cézanne, Gauguin, Monet, et tous les autres que j’aime (sauf Renoir, avec ses couleurs horribles qui m’obligent à détourner le regard), ne possèdent pas l’extraordinaire singularité de Vincent van Gogh.

À cheval avec Paolo Uccello, Marcel Schwob et Antonin Artaud

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Paolo, je tournoie sur tes chevaux de bois, le ciel tourne, la terre fuit,

toutes les perspectives se déploient

Paolo mon enfant, maître de ce jour nouveau-né, mon blanc,

efface les siècles vulgaires entassés de nos temps

toi l’Oiseau pur coursier dur

donne-moi du pain

le cœur si simple du secret

donne-moi à courir

immuable sur tes fils tendus le vertige tranquille

Tu sais bien, Uccello, j’ai besoin d’un oiseau,

qui là s’enfonce et chante

mes cuisses chantent dans tes tableaux et tes courbes

qui contournent le temps

donnent à ma chair ses courbes

Je suis ton rouge, Uccello, je suis l’enfant rouge qui tourne

et bouge ma langue

qu’elle dise ce que nul n’a dit

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à lire aussi

le beau texte de Marcel Schwob

Paolo Uccello, Peintre

et les textes d’Antonin Artaud

Paul Les Oiseaux ou la Place de l’Amour

et

Uccello, le Poil

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A.A. (6)

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« L’épicerie d’art », boulevard Saint-Marcel, photo Alina Reyes

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« Je puis dire, moi, vraiment, que je ne suis pas au monde, et ce n’est pas une simple attitude d’esprit. » Antonin Artaud, Correspondance avec Jacques Rivière

Ce constat à résonance évangélique – « je ne suis pas du monde », dit Jésus selon Jean – écho également de Rimbaud en sa Saison en enfer – « nous ne sommes pas au monde » -, porteur de nuances diverses selon les locuteurs et les situations, dit de toutes façons une non-appartenance au monde, qu’elle soit originelle et assumée ou comme accidentelle et désespérée. Pour Jésus il s’agit de replacer ses disciples, comme lui-même, dans la Vérité, dont ils doivent renaître. Pour Rimbaud, il s’agit d’une dérive poétique et existentialiste. Pour Artaud, il s’agit, dit-il dans la même lettre à Rivière,  d’ « une inapplication à la vie », d’ « une maladie qui touche à l’essence de l’être », et dont il travaille à extraire une pensée.

Antonin Artaud, comme Arthur Rimbaud, comme Jésus de Nazareth, comme tous les prophètes, sont fondamentalement des errants, des « fils de l’homme n’ayant pas où reposer leur tête », comme le dit de lui-même le Christ. L’homme qui est au monde vit dans l’éternelle répétition et capitalisation de lui-même. Ce qu’il vit, il le revit, ce qu’il fait, il le refait, d’un bout à l’autre de son existence, avec des variations qui ne sont que de surface. Sa vie repose sur l’oreiller qu’il s’est fait, qui lui a été plus ou moins fourni par le monde quand il est arrivé au monde et qu’il continue à rembourrer et à entretenir par sa vie cumulative, cumulative de mort. Or seuls ceux qui ont leurs racines au ciel, et non pas dans le monde, sont quittes de l’aliénation de l’homme au monde, et reçoivent du ciel l’autre sève, la source vive que les hommes qui sont au monde ne cessent de vouloir enterrer, par peur de se voir eux-mêmes déterrés, démasqués, avec leurs chaînes au cou et aux chevilles.

Tout poésie n’est pas libératrice, loin de là. Cherchez les libérateurs, ceux qui vous renversent comme Paul fut renversé de son (hypothétique) cheval.

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