À cheval avec Paolo Uccello, Marcel Schwob et Antonin Artaud

300px-Paolo_Uccello_048

*

Paolo, je tournoie sur tes chevaux de bois, le ciel tourne, la terre fuit,

toutes les perspectives se déploient

Paolo mon enfant, maître de ce jour nouveau-né, mon blanc,

efface les siècles vulgaires entassés de nos temps

toi l’Oiseau pur coursier dur

donne-moi du pain

le cœur si simple du secret

donne-moi à courir

immuable sur tes fils tendus le vertige tranquille

Tu sais bien, Uccello, j’ai besoin d’un oiseau,

qui là s’enfonce et chante

mes cuisses chantent dans tes tableaux et tes courbes

qui contournent le temps

donnent à ma chair ses courbes

Je suis ton rouge, Uccello, je suis l’enfant rouge qui tourne

et bouge ma langue

qu’elle dise ce que nul n’a dit

*

*

à lire aussi

le beau texte de Marcel Schwob

Paolo Uccello, Peintre

et les textes d’Antonin Artaud

Paul Les Oiseaux ou la Place de l’Amour

et

Uccello, le Poil

*

A.A. (6)

DSC05251

« L’épicerie d’art », boulevard Saint-Marcel, photo Alina Reyes

*

« Je puis dire, moi, vraiment, que je ne suis pas au monde, et ce n’est pas une simple attitude d’esprit. » Antonin Artaud, Correspondance avec Jacques Rivière

Ce constat à résonance évangélique – « je ne suis pas du monde », dit Jésus selon Jean – écho également de Rimbaud en sa Saison en enfer – « nous ne sommes pas au monde » -, porteur de nuances diverses selon les locuteurs et les situations, dit de toutes façons une non-appartenance au monde, qu’elle soit originelle et assumée ou comme accidentelle et désespérée. Pour Jésus il s’agit de replacer ses disciples, comme lui-même, dans la Vérité, dont ils doivent renaître. Pour Rimbaud, il s’agit d’une dérive poétique et existentialiste. Pour Artaud, il s’agit, dit-il dans la même lettre à Rivière,  d’ « une inapplication à la vie », d’ « une maladie qui touche à l’essence de l’être », et dont il travaille à extraire une pensée.

Antonin Artaud, comme Arthur Rimbaud, comme Jésus de Nazareth, comme tous les prophètes, sont fondamentalement des errants, des « fils de l’homme n’ayant pas où reposer leur tête », comme le dit de lui-même le Christ. L’homme qui est au monde vit dans l’éternelle répétition et capitalisation de lui-même. Ce qu’il vit, il le revit, ce qu’il fait, il le refait, d’un bout à l’autre de son existence, avec des variations qui ne sont que de surface. Sa vie repose sur l’oreiller qu’il s’est fait, qui lui a été plus ou moins fourni par le monde quand il est arrivé au monde et qu’il continue à rembourrer et à entretenir par sa vie cumulative, cumulative de mort. Or seuls ceux qui ont leurs racines au ciel, et non pas dans le monde, sont quittes de l’aliénation de l’homme au monde, et reçoivent du ciel l’autre sève, la source vive que les hommes qui sont au monde ne cessent de vouloir enterrer, par peur de se voir eux-mêmes déterrés, démasqués, avec leurs chaînes au cou et aux chevilles.

Tout poésie n’est pas libératrice, loin de là. Cherchez les libérateurs, ceux qui vous renversent comme Paul fut renversé de son (hypothétique) cheval.

*

A.A. (5)

DSC02568

chez nous à la montagne, photo Alina Reyes

*

« …il faut consentir à brûler, brûler d’avance et tout de suite, non pas une chose, mais tout ce qui pour nous représente les choses, pour ne pas s’exposer à brûler tout entiers.

Tout ce qui ne sera pas brûlé par Nous Tous, et qui ne fera pas de Nous Tous des Désespérés et des Solitaires,

c’est la TERRE qui va le brûler. » Antonin Artaud, Les Nouvelles Révélations de l’Être

Qu’est-ce que cela signifie ? Qu’il nous faut, avant que la TERRE où nous serons mis au tombeau ne se charge de nous réduire à néant, atteindre le noyau de l’être, ceci en se déchosant comme écrivait la petite sainte Bernadette (« je me suis déchosée », pour dire « je me suis déchaussée », juste avant l’Apparition, tel Moïse au Buisson Ardent). Se déchoser par le feu qui brûle sans consumer, le feu de la Parole qui brûle tout ce qui pour nous représente les choses – non tant les choses en elles-mêmes que notre idolâtrie, qui nous encroûte, nous momifie. C’est une opération que chacun doit faire, mais dans le sens de la communion avec tous, afin que nous soyons Nous Tous, tous en Un. Ayant atteint, par la brûlure volontaire, par l’abandon à la brûlure, le point dernier, celui du désespoir et de la solitude, celui du face à face avec le désespoir et la solitude, ce point en forme de chas d’aiguille par où nous pouvons passer, une fois réduits à notre plus grande petitesse par notre déchosification, notre connaissance lucide et sereine du désespoir, notre acceptation entière et bienheureuse de notre solitude, passer de l’autre côté du monde, où notre être épuré de ses représentations idolâtriques se remplit d’espérance et de communion, où nous entrons pour toujours dans la Vie de plénitude et d’amour.

 *

A.A. (4)

DSC06905

chez nous à la montagne, photo Alina Reyes

*

« Le reclassement de toutes les valeurs sera fondamental, absolu, terrible.
Mais comment s’opèrera ce terrible reclassement des valeurs ?
Par les 4 Éléments, avec le Feu au centre, c’est entendu ! Mais où, quand, comment, par quoi, à travers quoi ?

« PAR LA FEMME. À TRAVERS LA FEMME. » Antonin Artaud, Les Nouvelles Révélations de l’Être

*

1.     La Battante.
2.     Quoi, la Battante ?
3.     Mais qui t’apprendra
ce qu’est la Battante ?
4.     Un Jour, les humains
seront comme des papillons éparpillés,
5.     les montagnes comme des flocons effilochés.
6.     Celui dont la pesée sera lourde
7.     sera agréé pour la Vie.
8.     Celui dont la pesée sera légère
9.     aura l’abîme pour mère.
10.     Mais qui t’apprendra ce qu’il est ?
11.     Un Feu torride !

Coran, sourate 101, trad André Chouraqui

*

Artaud le Mômo ? Non, Artaud le Mohammed.

*

A.A. (3)

DSC05270

Jardin des Plantes, tout à l’heure, photo Alina Reyes

*

« LE CIEL A APPELÉ LE FÉMININ OUBLIÉ DE LA FEMME. IL S’EST SERVI D’UNE FORCE QUE LA FEMME AVAIT NÉGLIGÉE.

IL A FORCÉ LA NATURE À RÊVER DES OPÉRATIONS QUE LA FEMME NE PEUT PLUS RÊVER.

IL A FORCÉ LA NATURE À SE RETOURNER à la place DE LA FEMME POUR RÉALISER UNE OPÉRATION QUE LE MÂLE AVAIT PRÉPARÉE. » Antonin Artaud, Les Nouvelles Révélations de l’Être

Bien sûr que cela s’est passé, se passera encore. « C’est par les quatre Éléments réunis ensemble que la transmutation sera opérée », écrit ensuite Artaud. Dans la Révélation de Jean, Eau vive, arbre de vie entre Terre et Ciel, Lumière, les voilà, les quatre Éléments, ceux dont est constitué Adam, l’Adam entier, avec son féminin, les voilà, transfigurants, transfigurés, quand « le féminin oublié de la femme » revient. Par la faille d’Artaud entre, liquide, de la parole du ciel, par sa bouche d’Adam sort, aérienne, au milieu de l’eau la parole du ciel. Ce qui descend et ce qui monte croise dans les eaux mêlées du mâle et de la femelle homme, réuni, et c’est toute l’humanité qui communie.

*