Pendant la fin du monde, le début du monde continue

 

« Et je vois dans mon rêve l’humanité tout entière réunie dans un champ, et mes doigts ouvrir et découvrir avec terreur le coffre empli de lacets de satin fixés sur des lanières de cuir qui doivent très prochainement nous exterminer tous. Strangulation. Car nous nous sommes mis en cage comme nous avons emprisonné les animaux dans les réserves et les zoos, et la ceinture du monde, de plus en plus serrée, viendra à bout de notre souffle. »

extrait de mon roman Lilith (1999)

Le coronavirus a entrepris d’étouffer le vieux monde. Il est 20 heures, j’entends les gens applaudir. Après les trois coups, le rideau va s’ouvrir.

 

Tenir bon, oublier un peu, penser à la suite

 

L’OMS conseille de jouer aux jeux vidéo pendant la pandémie. C’est ce que je disais aussi après l’allocution prétentieuse de Macron dans laquelle il conseillait de lire. « Nous sommes en guerre, lisez ». Radio Paris, les bourges parlent aux bourges.

Comme si la lecture était une distraction, comme si la lecture était accessible à toute la population, et comme si ceux qui doivent vivre le confinement dans les conditions les plus difficiles, les pauvres, et même les autres, avaient forcément la tête à ça, se cultiver, comme ils disent, alors qu’ils doivent lutter pour survivre, garder leur calme face au danger couru par tous ceux qui doivent continuer à travailler, face au danger couru même en allant juste acheter à manger, face à la mort qui s’étend alors que le cynisme des gouvernants éclate à chaque instant, leur cynisme et leur incurie. Leur irresponsabilité, leur culpabilité, nous ne l’oublierons pas, et si nous n’avons pour le moment d’autre choix que de nous confiner pour les pallier, le temps viendra de régler les comptes.

En attendant, oui, jouer aux jeux vidéo, pratiquer des activités comme la cuisine ou l’exercice physique (ou la lecture pour certains, sans doute), des activités qui permettent d’oublier un peu, voilà ce que nous pouvons nous recommander les uns aux autres. Car nous avons à préserver notre santé physique, mais aussi notre santé mentale. Plus le temps passe, plus continuent à manquer masques, tests, respirateurs, etc., plus augmente le nombre de morts et de malades – y compris les malades ordinaires, dont on ignore le nombre (certainement très élevé), ceux qui restent chez eux à attendre que ça passe et à espérer que ça passe, sans aucun secours public (au moins des tests, soit pour savoir si on est contaminé, soit pour savoir si on est désormais immunisé !) – plus l’anxiété monte.

L’OMS insiste pour que les états pratiquent des dépistages massifs, mais rien ne se passe. Des paroles, des promesses, des dénis, c’est tout. Sans doute ça va finir par arriver un peu, quand beaucoup de dégâts auront été faits, beaucoup de vies sacrifiées, vies de malades et vies de soignants et autres travailleurs contaminés dans l’exercice de leur travail mal ou pas du tout protégé. Quand le pays aura été traumatisé par un long confinement et par la dramatique démonstration d’impuissance des pouvoirs publics, et qu’il lui faudra alors affronter de nouveaux dangers, politiques.

Gardons notre lucidité et gardons-nous, par exemple en jouant aux jeux vidéo, qui peuvent être tout aussi nobles que des livres, oui gardons-nous, gardons nous nous-mêmes et les uns les autres, afin d’être prêts à reconstruire.

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Coronavirus : Onfray lamentable et autres puissants détrônés

Le pape quitte la place Saint-Pierre déserte, où il a célébré une bénédiction urbi et orbi sans personne, ce 27 mars

Le pape quitte la place Saint-Pierre déserte, où il a célébré une bénédiction urbi et orbi sans personne, ce 27 mars

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Onfray sombre plus que lamentablement dans le racisme compulsif et la haine, spectacle le plus pitoyable de tous ceux qu’on a vus jusque là déclenchés par la pandémie et la peur de la mort qu’elle suscite. Oubliez les Darrieussecq, Slimani, Dombasle, BHL, Madonna et compagnie, Onfray fait pire qu’elles toutes réunies.

Que dire de tous ceux qui s’en prennent à ceux des jeunes de banlieue qui ne se confinent pas assez mais ne disent rien de ceux des jeunes des villages ou des petites villes de province bien blanches qui font de même, ni des citadins aisés qui sont partis infester des îles, ou qui déambulent en famille dans les beaux quartiers ? Qui ne disent rien non plus du rassemblement évangélique qui a massivement propagé le coronavirus dans toute la France, jusqu’en Guyane ? Qui ne disent rien, non plus, de tous ces gens qui vivent dans des banlieues pauvres et bossent à Paris ou dans d’autres villes pour subvenir, au péril de leur vie, aux besoins vitaux de l’ensemble de la population ? Que dire de tous ceux dont cette crise révèle ou démultiplie l’indignité ? De tous ceux à qui la peur fait perdre toute raison et toute humanité ? De tous ceux qui, s’étant toujours crus maîtres, perdent pied, cœur et tête à l’idée de l’immaîtrisable ?

Si Onfray avait pris le RER régulièrement à six heures du matin pour aller au travail, comme je le fis pendant quelques mois avant d’en tomber malade, il saurait que ceux sur qui il crache sont les mêmes, ou leurs amis ou parents, que ceux qui remplissent les RER à cette heure. Ceux qui accomplissent, pour un pauvre salaire, toutes les tâches ingrates qu’il ne voudrait pas accomplir. Sans eux, il ne pourrait pas vivre. L’inverse n’est pas vrai, pourtant ils ne l’ont jamais agressé, eux. Mais pourtant n’est pas le mot qu’il faut. Onfray insulte les pauvres, il n’y a pas à dire que pourtant ils ne lui ont rien fait. Car dans le monde d’Onfray, dans son monde de dominants, de petits maîtres, il n’y a aucune sorte de réciprocité entre privilégiés et défavorisés. Onfray comme ses pareils a bien de la morgue, mais aucune dignité.

La morgue des puissants en prend un sacré coup, en ce moment. Voyez les gouvernements débordés, les chefs d’État qui n’en peuvent mais, les religieux ramenés à leur juste mesure de petits humains obligés de se plier aux exigences de la survie et d’admettre sans le dire que leur construction de domination ne vaut rien, qu’un virus suffit à vider aussi bien La Mecque que le parvis de Saint-Pierre de Rome, que Dieu ne les préfère ni à d’autres humains, ni à d’autres vivants en cet univers.

 

La-Mecque-vide

Force de l’esprit vs mécanique du crime

Jésus marchant sur les eaux, par Gustave Doré

Jésus marchant sur les eaux, par Gustave Doré

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« Arrachez de votre île ces pestes publiques, ces germes de crime et de misère. Décrétez que vos nobles démolisseurs reconstruiront les métairies et les bourgs qu’ils ont renversés, ou céderont le terrain à ceux qui veulent rebâtir sur leurs ruines. Mettez un frein à l’avare égoïsme des riches ; ôtez-leur le droit d’accaparement et de monopole. Qu’il n’y ait plus d’oisifs pour vous. Donnez à l’agriculture un large développement ; créez des manufactures de laine et d’autres branches d’industrie, où vienne s’occuper utilement cette foule d’hommes dont la misère a fait jusqu’à présent des voleurs, des vagabonds ou des valets, ce qui est à peu près la même chose.
Si vous ne portez remède aux maux que je vous signale, ne me vantez pas votre justice ; c’est un mensonge féroce et stupide. » Thomas More, L’Utopie, trad. Victor Stouvenel

Par la fenêtre de mon ordinateur, j’observe et j’enquête. Comme aux questions « Qui a tué le petit Grégory ? » ou « Qui a tué John Kennedy ? », à la question du crime en lui-même il faut trouver des éclaircissements et des réponses. Le crime est là où sont les appâts du gain, du pouvoir, de la vanité, là où l’on se complaît dans leur bourbier verni.

Par la fenêtre de mon appartement, j’écoute crier un invisible vol de mouettes. Grâce au yoga, ma respiration est lente et calme (12 à 13 cycles à la minute assise à mon bureau, 9 la nuit couchée dans mon lit), ma tension basse (11), mon esprit, dans tout cet espace-temps libéré, rapide et paisible. « Le yogi, dit Iyengar, mesure la durée de sa vie non pas en nombre de jours mais en nombre de respirations. Puisque dans le pranayama la respiration est allongée, cela prolonge la vie. »

Le monde est l’un de ces Titanic dont nous ne voulons plus, pollueur et vain, insuffisamment pourvu en canots de sauvetage, sauf pour les plus riches. Et ce sont les pauvres, les travailleurs, toutes celles et ceux qui, au péril de leur santé ou de leur vie, sont à l’œuvre sur de petits bateaux, qui sont en train de l’empêcher de couler. Que celles et ceux qui sont confinés renforcent leur esprit pour le jour de chaque jour et pour celui du retour. Car les riches, les gâtés, n’ont pas de force d’esprit, ils ne peuvent sauver qu’eux-mêmes, ou même pas eux-mêmes. Pour que leur pesanteur ne fasse pas couler l’humanité, nous avons à rassembler toute notre vitalité.

Le yoga est une danse, dit Travis Eliot. Par la danse de l’esprit et du corps, nous avons pouvoir de marcher sur les eaux.

 

 

Coronavirus et autres dangers mortels. Le yoga, la guerre et la paix.

 

J’en témoigne parce que cela peut servir à d’autres : O, qui me connaît bien et pas seulement au sens biblique du terme, dit toujours que le yoga m’a métamorphosée, après que je m’y suis mise l’année dernière, en sortant de plusieurs opérations et d’un cancer récidivant. Et maintenant que nous avons eu le coronavirus à la maison, et qu’il m’a très peu atteinte, il dit aussi que le yoga m’a sauvée. Je ne dirai pas que le yoga est une panacée mais il aide, beaucoup. Physiquement et psychiquement. Sans avoir les effets secondaires néfastes des religions, même s’il peut être plus ou moins récupéré par les nouvelles religions new age, de coaching, etc., ou par certains gourous fort douteux.

J’encourage celles et ceux qui voudraient tenter l’aventure à le faire. Il est bon de suivre d’abord quelques cours en salle, mais il est possible de s’en passer, surtout si on a déjà pratiqué d’autres formes de gymnastiques ou danses et qu’on connaît la nécessité d’être attentif à éviter les fautes dans les mouvements, qui peuvent blesser. Et avant de vouloir suivre des cours gratuits en ligne, je conseillerais de se procurer, soit en librairie soit en bibliothèque soit chez le marchand de journaux, des livres et des magazines dans lesquels les mouvements de hatha yoga sont détaillés précisément. De les étudier, patiemment. Après avoir pratiqué un peu en salle, c’est ce que j’ai fait. Pendant plusieurs semaines, j’ai étudié et pratiqué seule les postures à la maison, chaque jour. Puis, quand je me suis sentie prête, j’ai exploré les cours en ligne, différentes formes de yoga. Et maintenant, selon les jours, selon ce que réclament mon corps et mon esprit (qui ne font qu’un dans le yoga), soit je suis tel ou tel cours, soit je construis mes séances moi-même. Séances qui sont à la fois exercice physique et exercice psychique.

Le yoga n’est bien sûr pas seulement une gymnastique, et j’ai accompagné mon étude des postures d’une étude des textes sur le yoga (j’en ai parlé à plusieurs reprises). Jusqu’à ce que, comme le corps finit par intérioriser les postures, l’esprit finisse par intérioriser l’esprit du yoga. Un esprit d’apaisement dont nous avons grand besoin, spécialement par temps de pandémie et de confinement. Mais aussi un esprit de guerre calme, claire et déterminée (contrairement à la « guerre » indéfinie, pleine de confusion et de carences, menée par Macron et son gouvernement). L’esprit de la Bhagavad-Gita, où le dieu active l’esprit du yoga chez le guerrier comme notre dieu intérieur active nos défenses immunitaires. Ce sont elles qui font réellement la guerre, et ce n’est pas nous qui les commandons. Notre rôle est de les seconder, en suivant le principe de vie qui les anime, en apprenant à connaître et respecter notre propre corps et en étendant cette connaissance et ce respect à tout le corps social, et par-delà encore, à tout le corps vivant.

La guerre et la paix. La guerre pour vaincre (même si la victoire ne peut être assurée), la paix pour accepter la bonne règle.

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