Verlaine, Rimbaud, le Panthéon… et Mathilde Mauté, alors ?

Mathilde Mauté (wikimedia)

Mathilde Mauté (wikimedia)

On se chamaille à coups de pétitions à Saint-Germain des Prés à propos d’une éventuelle entrée de Verlaine et Rimbaud, en tant que couple, au Panthéon. Mais personne n’a songé, autant que je sache, à demander ce qu’il advient de Mathilde Mauté, la femme de Verlaine, dans cette affaire. Effacée ! S’il fallait panthéoniser Verlaine en couple, pourquoi avec Rimbaud, amant d’un temps qui aurait de toute évidence eu horreur d’être immortalisé de façon si académique, et qui plus est pour un motif si idéologique, avec un ex dont il ne voulait plus entendre parler ? Pourquoi pas plutôt avec sa femme, mère de son enfant ? Ah mais, ce n’était qu’une femme, bien sûr. L’initiateur de la pétition se plaît à rappeler des paroles peu amènes de Rimbaud sur sa dernière compagne, mais se garde bien de rappeler les tombereaux d’horreur qu’il a déversés sur Verlaine. Et comme ça ne lui suffit pas, il affirme, sans aucune preuve, que Rimbaud après Verlaine a eu une relation homosexuelle avec Germain Nouveau – s’il l’avait lu, il saurait que ce dernier n’a cessé de chanter les femmes, qu’il aimait pleinement. Leur camaraderie au temps de l’écriture des Illuminations fut une aventure littéraire et rien ne prouve qu’elle se serait doublée d’une aventure amoureuse ou sexuelle.

Sacrée Mathilde, si dénigrée et si oubliée par la postérité établie par le vieux patriarcat de tous sexes et de toutes sexualités. Elle non plus, sans doute, n’aimerait pas être enterrée avec Verlaine. Ce n’est pas tant l’homosexualité qui semble qualifier Verlaine que ce qu’on appelle aujourd’hui la pédophilie. Il est tombé amoureux fou de Mathilde quand elle avait 15 ans, l’a épousée quand elle avait 16 ans, et puis ensuite il l’a remplacée dans son cœur par un autre adolescent, Rimbaud (qui lui arrivait vraisemblablement déjà traumatisé, d’après ses propres écrits, par des abus sexuels subis pendant sa scolarité dans une institution religieuse). Verlaine s’est mis à battre Mathilde huit jours avant qu’elle n’accouche, et a recommencé jusqu’à leur séparation. Pour, dans ses saoulographies, battre Mathilde, menacer de la tuer, essayer de l’étrangler, ou tirer au pistolet sur Rimbaud, il ne semble pas avoir eu peur, mais pour le reste, c’était un poltron maladif, effrayé par le contexte de guerre franco-allemande puis par les troubles liés à la Commune – il préfère se terrer chez lui tandis que Mathilde, téméraire, traverse Paris seule au milieu des tirs (une balle atterrit à ses pieds), passe les barricades, pour aller chercher la mère de Verlaine, sur le sort de laquelle ce dernier pleure mais qu’il n’a pas le courage de rejoindre lui-même.

À sa sortie de prison, Verlaine eut une liaison avec un tout jeune homme, Lucien Létinois. Drôle d’époque que la nôtre, qui tout en prenant conscience des abus des Matzneff et autres amateurs de chair très fraîche, tout en prenant conscience des abus commis aussi sur les femmes et révélés par le mouvement MeToo, réclame de faire entrer au Panthéon un Verlaine qui fut certes un bon poète mais certainement pas un grand homme.
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à suivre, la suite de ma traduction de l’Odyssée !

Kundalini, tigre et coquille du verbe

Dans le mot tigre il y a le tigre, « l’autre tigre », « celui qui n’est pas dans le poème », comme dit Borges, qui le craint et le désire. Quand nous étions enfants, mes frères m’appelaient la tigresse. Étaient-ils eux-mêmes des tigres ? Une tigresse n’est-elle pas « l’autre tigre » ? Dans le mot tigresse, il y avait bien sûr aussi « l’autre tigresse ». J’y songe en lisant la fin de la préface de Tara Michaël à la Hatha-Yoga-Pradîpikâ (éd. Fayard), sur le mouvement de descente et de remontée de l’acte créateur :

« Chez l’homme ordinaire, Sakti, la force cosmique, ayant accompli son travail de création, est représentée comme assoupie au niveau le plus bas, dans le mulhadara-cakra à la base du tronc, où elle demeure immobile, comme base et support de la manifestation individuelle.
Comparée à un serpent endormi, elle est appelée Kundalini, « la lovée ». Le but des exercices yogiques est d’éveiller cette énergie, qui alors se déroule et commence à se mouvoir dans la direction ascendante, suivant un mouvement de retour à sa Source, inverse du mouvement créateur. (…)
Au terme de cette résorption (laya), Sakti s’unit à Siva, la Conscience transcendante, dans le « lotus aux mille pétales », qui est la demeure du Brahman (Brahma-sthana) où le Soi est réalisé. Le yogin est alors totalement libéré de tous les liens qui l’attachent au samsara, et il atteint l’état de jivanmukta, libéré vivant. »

Bien entendu je ne prends pas au pied de la lettre cette histoire de kundalini (ce qu’on a trop tendance à faire dans le yoga kundalini en pratiquant la contraction du périnée pour faire remonter l’énergie vers les chakras supérieurs). Mais elle m’intéresse comme m’intéresse le tigre « qui est dans le poème ». Le tigre est lové dans le verbe comme la kundalini est lovée dans le corps, par la grâce d’un acte créateur qui les a placés là comme dans un œuf. Ce que nous avons à faire est de nous développer suffisamment pour pouvoir briser la coquille et en sortir, « autre », « libéré vivant ». Cela vaut pour les individus, et pour l’humanité entière. Briser la coquille du verbe.

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photos Alina Reyes

L’esprit des Yanomami, par Claudia Andujar

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« Malgré la distance, je distinguais parfaitement les xapiri et leurs ornements colorés et brillants. Leurs regards étaient posés sur moi. Leur troupe descendait des confins du ciel, portée par une multitude de sentiers scintillants qui ondoyaient dans les airs ». Davi Kopenawa, chamane yanomami.

Ce qui m’a peut-être le plus impressionnée dans l’exposition « La lutte Yanomami », autour de l’œuvre photographique et militante de Claudia Andujar, ce sont les dessins réalisés par les gens de ce peuple, sur la demande de leur amie photographe. J’étais si impressionnée que je n’ai même pas pu les photographier, comme si c’était tabou (mais vous pouvez en voir dans la vidéo de présentation de l’expo ci-dessous). Parce qu’ils étaient comme sont les dessins d’enfants à l’école maternelle. Ce qui n’est pas du tout le cas des œuvres que nous connaissons des arts dits premiers.

Et puis je regardais ces photos fantastiques, rendant l’esprit des Yanomami, plein de résonances, tel que Claudia Andujar l’a compris après avoir longtemps vécu avec eux, et avant de devenir une militante très active contre l’entreprise génocidaire qu’ils subissent depuis des décennies et contre laquelle ils luttent. De ces photographies comme de ces dessins jaillit la lumière d’un autre monde mental, d’une réalité infiniment riche, vibrante, chaleureuse. Et me venait cette question posée dans la Bible, telle que je la traduis : « qu’est-ce que l’être humain, pour que tu le penses ? »

Je suis repartie à vélo, comme j’étais venue, pendant que l’Amazonie continue à brûler, que la déforestation continue.
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yanomami 4-minAujourd’hui à la Fondation Cartier, photos Alina Reyes
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On peut aussi entendre Claudia Andujar et Davi Kopenawa, entre autres, témoigner de leur lutte lors d’une « Nuit Yanomami » à la Fondation Cartier : ici

Street Art, du canal Saint-Martin au canal de l’Ourcq en 38 images

On a pris nos vélos, traversé Paris (vive la piste cyclable place de la Bastille, où l’on peut désormais rouler sans risquer sa vie à chaque croisement). Et j’ai mis pied à terre pour la photo chaque fois que j’ai rencontré une belle œuvre. Bien entendu j’en aurais photographié davantage à pied, mais à pied je n’aurais pas fait près de vingt kilomètres aller-retour. En voilà déjà une belle collection, avec des artistes souvent différents, comme Vinie ou Da Cruz, de ceux que je photographie régulièrement dans les 13e et 5e arrondissements.
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du canal st martin à l'ourcq 4-min… avec les belles jambes d’O

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Hier à Paris 10e et 19e, photos Alina Reyes
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« Danse des couleurs » et balade autour du parc de Choisy

"Danse des couleurs", gouache et acrylique sur deux cartons collés, 23x33cm

« Danse des couleurs », gouache et acrylique sur deux cartons collés, 23x33cm

J’ai seulement ajouté quelques points-lignes blanches sur ce petit effet de couleurs peint naguère sur un carton ondulé, collé sur un autre carton d’emballage récupéré.

Je fais partie, physiquement, des poètes estropiés comme Rimbaud, Apollinaire, Cendrars, Van Gogh. Mon intérêt pour la dissymétrie dans la symétrie s’est révélé dès l’enfance, le jour où, lors de l’élection de la miss du village, j’ai éprouvé avec force que la beauté de telle belle brune avait un relief tout particulier du fait qu’elle était boiteuse (elle avait eu la polio, voilà ce qui arrivait quand les enfants n’étaient pas vaccinés). Ce détail la rendait plus belle que toutes les autres à mes yeux.
L’une des toutes premières nouvelles que j’ai écrites, bien avant de publier un roman, contait l’histoire d’un homme qui courait avec un pied chaussé, l’autre nu.
Une règle qui ne supporte pas d’exception est une règle triste. La règle de la symétrie supporte l’exception, elle est même tout entière exception, me semble-t-il. La plupart du temps notre regard trop superficiel ne discerne pas le dissymétrique dans la symétrie, mais n’y est-il pas toujours, ne serait-ce que de façon infime ? Ce qui le révèle pleinement agit comme une épiphanie, un renversement, une preuve éclatante de vie, d’interrogation, de pensée.

J’ai marché longuement aujourd’hui, voici quelques images prises au parc de Choisy et dans le quartier alentour.

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Aujourd’hui à Paris 13e, photos Alina Reyes

« Au bois, il y a un oiseau ». Avec Rimbaud, Debussy, Grimaud

"Au bois, il y a un oiseau", acrylique sur bois 75x40 cm. J'ai laissé nus les nœuds du bois

« Au bois, il y a un oiseau », acrylique sur bois 75×40 cm. J’ai laissé nus les nœuds du bois


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Au bois il y a un oiseau, son chant vous arrête et vous fait rougir.

Il y a une horloge qui ne sonne pas.

Il y a une fondrière avec un nid de bêtes blanches.

Il y a une cathédrale qui descend et un lac qui monte.

Il y a une petite voiture abandonnée dans le taillis ou qui descend le sentier en courant, enrubannée.

Il y a une troupe de petits comédiens en costumes, aperçus sur la route à travers la lisière du bois.

Il y a enfin, quand l’on a faim et soif, quelqu’un qui vous chasse.

Arthur Rimbaud, Illuminations

L’heureux et bienvenu sens des réalités

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Enfin une lueur dans cette crise du coronavirus. Anne Hidalgo, contrairement à Macron, prend des mesures. D’ici un mois, des masques pour tous les habitants de sa ville, des tests ciblés, des hôtels pour la mise en quatorzaine des contaminés. Que d’autres villes, d’autres régions prennent aussi les dispositions que l’État est incapable de prendre ! C’est difficile car Macron dans son délire jupitérien les a privés de beaucoup de moyens, mais il ne semble pas y avoir d’autres voies de salut que de passer outre son pouvoir et régler ce qui doit être réglé selon les endroits, pas tous touchés de la même façon par la pandémie.

J’évoquais l’autre jour l’article de Forbes montrant que bien des cheffes d’État dans le monde (Angela Merkel, Jacinda Ardern, etc.) avaient beaucoup, beaucoup mieux géré la crise que beaucoup de leurs homologues masculins. Il ne s’agit pas d’estimer que les femmes sont meilleures par essence. Nous avons assez d’exemples contraires en France, de certaines femmes politiques aussi nulles ou nuisibles que certains de leurs confrères – et Dieu sait si en macronie la stupidité sert de norme-, pour savoir la fausseté d’une telle théorie. Seulement, là où le patriarcat baisse un peu la garde, là où les gens sont assez éclairés pour élire des femmes, et des femmes qui ne soient pas de ces caricatures créées par le patriarcat ou son déchet l’illusionnisme, eh bien le sens des réalités se retrouve aussi bien chez les responsables politiques que chez les citoyens qui les ont élu·e·s.

Vivement la fin du jacobinisme, de la Ve République et de l’imposture macroniste. Espérons que cela attendra 2022, afin de donner du temps à la préparation de la suite et afin que cela puisse se dérouler au mieux. La vie nous attend, ne la décevons pas.
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ces jours-ci à Paris, photos Alina Reyes

ces jours-ci à Paris, photos Alina Reyes