Les larmes du diable

visitation de la maison bleue de van gogh,« Visitation de la maison bleue de Van Gogh »

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Cet après-midi, au service d’action sociale de la mairie où je me trouvais, j’ai vu une brochure qui disait : « Mariage forcé : vous n’êtes pas obligée d’accepter ». Il peut paraître fou que des hommes ne se rendent pas compte que plus on veut forcer une personne à s’unir à une autre, plus on provoque son dégoût, voire son désespoir, pouvant aller jusqu’au meurtre ou au suicide. Mais ce n’est que le résultat de l’aliénation dans laquelle vivent ces mêmes hommes : aliénés au monde, et incapables de comprendre qu’on puisse ne pas l’être.

Y a -t-il un autre État au monde où, comme au Vatican, il est décrété et réaffirmé avec force que jamais une femme ne pourra en être chef ou ministre ? Le Vatican n’est-il pas comme Israël le dernier lieu de la « civilisation » à pratiquer l’apartheid officiel – l’un racial, l’autre sexiste ? Ce sont des reliquats du vieux monde, et ils tomberont immanquablement.

Le sort d’une famille avec des enfants, même s’ils sont déjà grands, cela importe aux services sociaux. Cela a même un nom : Aide sociale à l’enfance. Alors que certains responsables religieux ne s’en soucient guère. Je parle d’expérience : à partir du moment où j’ai voulu rendre service aux chrétiens, et pour cela écrit de quoi renouveler la foi, qui en a grand besoin, les pressions et l’espionnage que la hiérarchie s’est mise à exercer sur moi, avec la complicité de personnes de l’édition et de la presse, pressions exercées afin que je me soumette tout en confiant mes écrits à un manipulateur à qui je refuse de les confier (de même qu’un parent ne confierait pas ses enfants à n’importe qui), ont eu pour effet de me couper des possibilités de gagner ma vie et de me défendre. Pour résumer : à partir du moment où j’ai commencé à m’approcher un peu trop des catholiques, le réflexe qui leur est venu, c’est celui de se saisir de moi pour me crucifier comme le Christ.

Et je voudrais juste dire ceci : il y a une dérive de fond dans cette religion extrêmement perverse. Elle est ontologique et le plus terrible est qu’ils semblent tous trouver cela normal. Qui plus est, avec la peur de l’islam, les athées de culture chrétienne s’y mettent aussi, s’accrochant aux jupes de grand-maman Église dans l’espoir qu’elle les garde de la perte de cette identité qu’ils ont pourtant le plus souvent honnie. Tout ce vieux monde est bien malade, mais heureusement, même dans le vieux monde, il y a des jeunes, et qui ont à s’occuper d’autre chose que des sursauts de peur et des angoisses de ceux qui vont mourir. Eux ont la vie à vivre, et ils la vivront, balayant ce qui doit être balayé sans se soucier de ce qu’en moi la part d’imbécile de l’ancien temps a voulu renouveler pour le sauver. Comme le dit un conte spirituel musulman, seul le diable pleure en se retournant sur le passé. Ce qui doit changer changera.

Royaume

grec

photo Alina Reyes

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Quand j’ai publié mon livre, j’imaginais sincèrement que celui que j’imaginais qu’il était et que j’imaginais aimable le prendrait avec sagesse, sachant bien ce qu’est la littérature. D’autant que le seul détail réaliste que j’ai retenu de tout cela, et qui me paraissait le seul potentiellement embarrassant (le fait de l’avoir vu ouvrir sa porte en pantoufles), je m’étais soigneusement gardée de l’écrire. Comme dit Nietzsche, non, ce n’est vraiment pas une bonne chose que d’avoir un vis-à-vis sorti d’une « côte de son idéal ». Il m’était déjà arrivé d’avoir l’impression de très bien m’entendre avec une lectrice avec laquelle j’avais communiqué, au point que nous pourrions devenir amies dans la vie. Patatras, quand nous nous sommes rencontrées, il s’est avéré que cela ne collait pas du tout. L’homme est entier, chair et esprit, ou il n’est que chimère – et ses relations, néant.

J’écris une petite pièce de théâtre pour une petite et toute jeune troupe. Ma vie n’est pas sans difficultés (quelle vie n’a pas ses difficultés ?) mais elle est splendide (quelle vie ne l’est pas, pour tout vivant qui la connaît ?). Nous avons en nous des ressources, des trésors inépuisables, et notre royaume s’étend chaque jour, chaque nuit.

Grands beaux rêves cette nuit. « Stéphanie » était enceinte. « Stéphanie » signifie « La Couronnée ». Nous étions à l’océan, avec d’autres dans une caravane aux innombrables pièces. Je courais dans la lumière du haut de la plage vers les vagues douces et le plein ciel, contournant comme si j’avais des ailes un groupe assis sur ma trajectoire rapide, pour arriver directement à l’eau claire, vivante, scintillante, fraîche et exquise aux pieds.

Avent

noel portephoto Alina Reyes

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Aux Japonais l’esprit de l’érotisme, aux Chinois l’esprit du dessin, aux Hindous l’esprit de la danse, aux Grecs l’esprit du théâtre, aux Juifs l’esprit de l’histoire, aux Chrétiens l’esprit de la physique, aux Musulmans l’esprit des mathématiques… à chaque peuple son empreinte spirituelle, et en elle mille autres qui se croisent avec les autres.

Japon, neige et cendre.

Chine, pierre et feu.

Inde, terre et eau.

Grèce, photons et phonèmes.

Égypte, heures et rives.

Arabie, sables et astres.

Europe, arbres et mers.

Russie, vent et or.

Amérique, nuages et herbe.

Australie, pupilles et roches.

Afrique, poussière et dents.

Pôles, silences et cris.

Océans, nuits et jours.

Ciel, courses et veilles.

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Le Vivant

semephoto Alina Reyes

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Mon univers écrit a la forme de l’Univers. Je ne parle pas de sa partie visible, la trentaine de livres publiés, mais de l’ensemble, visible et invisible. L’ensemble est vivant, évoluant. Ceux de mes livres publiés sur mon site sont déjà légèrement différents que lors de leur première publication. Mais le plus fantastique, ce sont les manuscrits. Il y a ceux qui sont perdus, notamment mon Journal d’adolescente, plusieurs cahiers courant sur plusieurs années, et que j’ai brûlés vers l’âge de dix-sept ans. Perdus mais ayant laissé leur trace dans mon esprit et continuant à agir. Il y a ceux qui ont traversé le temps, le plus souvent de façon partielle, sur des feuilles de papier dactylographiées, aujourd’hui un peu jaunies, et dont certaines manquent. Il y a ceux qui sont restés dans des ordinateurs devenus inutilisables. Et tous ces manuscrits sont souvent en partie récupérés, réinsérés dans d’autres textes plus récents, publiés ou non publiés. J’ai plusieurs livres en ce moment tout écrits, et notamment un roman composé de différentes façons à partir de la même base. Les éditeurs n’en veulent pas, ils veulent des livres composés et formatés selon les limites du monde tel que les voit l’homme limité, formaté. Mais je m’émerveille moi-même des merveilles produites par tous ces textes, et du fait qu’à partir des mêmes textes plusieurs livres coexistent dans mon ordinateur, plusieurs états du même livre, un peu comme dans la variabilité quantique. Lucie au long cours, Derrière la porte, Forêt profonde et Voyage notamment, sont eux-mêmes construits ainsi, de façon mouvante et libre, selon des formes pleines de rappels, de passages, de variations. Hier soir j’ai rassemblé pour Syd, qui veut monter une pièce, des passages, sauvegardés au sein d’un autre livre non publié, d’une pièce de théâtre inachevée, écrite il y a un quart de siècle. Il a été enthousiaste, aussitôt ses idées ont fusé pour récupérer la base et la redévelopper à sa façon. Deux nuits plus tôt j’avais rêvé que nous jouions ensemble au théâtre, voilà que le rêve arrive au jour, transposé. Tout est vivant, tout est merveille, joie, beauté.

Jaillissements

visitation du jeune homme de caillebotte,

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Jaillissement sur jaillissement, le sujet de ma thèse ouvre des perspectives extraordinaires, voire vertigineuses. Incroyable puissance de la vie. Ce qu’on appelle pensée n’est rien d’autre que la vie, ou bien ce n’est que fausse pensée.

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J’ai fait en rêve une phrase de réflexion linguistique, une phrase sur l’être de la langue, qui contenait le mot « préxome », néologisme produit par le rêve. Disant à la fois « presque homme » et pré-x-homme » (x comme en mathématiques et en biologie, notamment), et d’autres choses encore notamment avec l’anglais « home », ce terme est indubitablement lié à mon autre micro-rêve d’il y a quelques jours, sur la permutation du monde.

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« J’insiste sur ce fait qu’il n’est pas sûr qu’il soit possible de décrire un jour l’origine du langage », dit Noam Chomsky au cours de cette conférence que je suis en train d’écouter. Or j’ai de mon côté trouvé quelque chose d’inouï sur ce sujet. Tout cela bouillonne et fuse et jaillit en moi, de tout cela je prends note et tout cela va être écrit.

Mort et résurrection

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Alexander Grothendieck prévoyait la fin du monde pour très bientôt. Le fait que le monde soit toujours en place ne prouve pas qu’il s’est trompé. Alexander Grothendieck, génie des mathématiques, allait beaucoup plus vite en esprit que nous, c’est pourquoi le fil de l’histoire lui apparaissait plus proche. Mais en vérité le monde n’est plus vraiment en place, toutes ses plaques tectoniques bougent, et la mutation qu’il prévoyait, comme j’ai prévu en rêve une permutation, arrive. La fin du monde ne signifie pas la fin de la vie, mais la fin du vieux monde, le seul que nous connaissions.

Je reviens très bientôt pour une lecture de son livre La Clef des songes, avec de nombreux extraits choisis, splendides et dignes d’un grand spirituel et d’un grand poète.

En attendant, je vous laisse redécouvrir cet homme extraordinaire dans ces deux témoignages : celui de Pierre Jouventin, et celui d’Ivar Ekeland.

Bonne journée dans les hautes sphères !