Le lion va se lever

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C’est mon premier Ramadan, et il est bon. J’aime ces longues journées, rendues plus longues de n’être pas rythmées par les repas, de conférer au corps et à l’esprit un ralentissement dû à la brièveté des nuits, à la chaleur de l’été, au fait de jeûner. J’aime ces longues nuits, plus longues parce que les veilles y sont longues, les réveils plus précoces et suivis d’encore un grand temps avant le lever du soleil. Jour après jour, nuit après nuit, la paix du cœur s’approfondit, la joie se fait toujours plus douce. Je suis la seule de ma famille à faire Ramadan et cette année je ne suis pas allée chercher de contacts à l’extérieur, avec d’autres musulmans, mais même de cette façon minimale, c’est très bien, très bénéfique, aisé, léger. J’ai rompu mon jeûne une fois où j’ai été déshydratée, je rattraperai ce jour dans l’année avec plaisir. J’ai passé du temps à lire le Coran, comme il se doit, par les sourires et par les dons j’ai essayé de ne pas oublier les gens dans le besoin, comme il se doit aussi. La prière rituelle du matin a toujours été faite avec les anges et les hommes, dans une immense grâce. J’ai expérimenté la nuit du destin, je la connaîtrai sûrement encore. Elle vient en veillant, mais pas seulement. À force d’être dans la grâce, elle vient en dormant aussi, vous apportant rêves et visions venus du Ciel. Encore une semaine, et le nouveau croissant de lune marquera la fin de ce temps. Je sens que toutes mes forces de lion me reviendront, pour les tonnes de choses que je veux faire. La vie est inlassablement fantastique et bonne.

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Et cette nuit, même à Paris, on voit les étoiles ! Par ma fenêtre, la Grande Ourse et Cassiopée !

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Bonne vie

Il y a toujours le danger, pour les déportés et autres victimes de violences, qu’on leur demande d’un ton accusateur pourquoi ils se sont laissé faire ; et qu’ils se laissent eux-mêmes entraîner dans le soupçon qu’ils sont coupables. Il est bon de se battre contre cela, fût-ce en griffant et en mordant. Que la vérité ne soit pas abandonnée.

Stéphane Zagdanski a mis en ligne une vidéo du temps où nous travaillions ensemble à notre livre de dialogue La Vérité nue. Nous rions, nous sommes vivants, c’est bon.

Restons vivants.

… [hélas l’exercice de Zag a mal tourné, voir ici ]

 

Retour de Rio

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J’ai mis autour de mes épaules le tissu qu’un jour O m’a ramené de Rio, avec l’inscription « Copacabana » et les motifs en forme de vagues qui pavent la ville. J’ai écouté l’interview que le pape a donnée dans l’avion, à son retour. À force de le voir porter sa main à son front avant de parler, eurêka ! J’ai vu qu’il s’agissait du même geste que celui de l’inspecteur Columbo, vous savez, quand il prend son air de candide, un peu avant d’asséner la révélation fatale. Je me suis dit qu’ils partageaient aussi le goût des humbles voitures, mais que contrairement à Columbo, François, lui, et pour cause, ne mentionnait jamais son invisible femme. Cela m’a si bien réjouie que, n’eût été mon respect pour le pape, je l’eusse bien rebaptisé Lieutenant Columbo. Après tout c’est un beau nom, et un si sympathique héros.

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Trois caravelles

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À vingt ans, dans la maison sur la dune, aux pieds de l’océan, des semaines durant je construisis minutieusement, en bois, puis peignis et équipai de voiles, l’une des trois caravelles dans lesquelles Christophe Colomb aborda le Nouveau Monde. Elle devait faire une trentaine de centimètres, j’aimais beaucoup faire de mes doigts des choses toutes petites, voire minuscules – des pliages en papier, de la dentelle au crochet extrêmement fine… toutes choses faisant ressentir l’immensité de l’univers dans sa fractalisation. Pour exercer ma sensibilité je fermais les yeux et parcourais de l’index les grilles de mots croisés dans les journaux afin d’identifier, au toucher, les cases noires. Et je marchais sans me lasser le long de la plage sans fin, les pieds sur le sable mouillé. En ce temps-là j’étais avec un nouveau-né, l’aîné de mes quatre fils. Je vivais dans un grand dénuement, absolument bienheureuse. Comme lorsque, enfants, mes frères et moi, preux chevaliers aux épées de bois faites de nos mains, courions à travers les hautes herbes du pré de monsieur Dieu, notre voisin, nous retrouvant pour faire le point sur nos aventures au creux du château fort qu’était le vieux hangar vide au bout du terrain. Comme, plus tard, je trouvai partout le paradis, du balcon du HLM d’où je contemplais les oiseaux à la montagne où j’eus ma grange. Voilà la joie que je veux rendre aux hommes, la joie des pauvres, voilà la joie des Pèlerins, qui n’ont rien et ne manquent de rien, puisqu’ils ont tout en Sa béatitude. Irénée le bien-nommé l’a dit, la gloire de Dieu, c’est l’homme vivant. Traversons les apparences, un autre monde nous attend.

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