Vers l’accomplissement

« Tu guides les masses, long et mince commandant, guide donc les désespérés à travers les défilés de la montagne que personne d’autre que toi ne découvrirait sous la neige. Et qui te donnera la force ? Celui qui te donne la clarté du regard. » Franz Kafka, Journal, 10 février 1922

Étudier encore, et mener Voyage à son accomplissement dans l’islam.

Je réécrirai la Règle et ferai les Pèlerins d’Amour avec des musulmans, et ceux qui voudront nous suivre. Nous prierons dans les mosquées, dans les autres temples aussi comme seul y autorise l’islam, et en tout lieu propre : notre mosquée sera la terre entière.

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Un matin la montagne s’est fendue

mille papillons blancs ont jailli de la roche

où les avait conçus le désir du Seigneur

mille papillons blancs dans l’aube blanche

ont traversé l’espace et pèlerins

sont venus à la porte de ma maison de Dieu

mille papillons blancs, prières sur la pierre

 

c’est le cri de mon sang

 

Un matin j’ai tenu

dans mes paumes les cornes d’un taureau

furieux et je l’ai libéré.

Il m’a suivie puis s’est couché

devant la porte de ma maison de Dieu.

 

Un matin vous verrez

les montagnes se changer en taureaux

déchaînés, se disperser comme brassées

de papillons peureux,

et vous serez heureux alors si vous avez trouvé,

monture pour le ciel, la parole née dans ma maison de Dieu.

 

(extrait de Voyage)

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De l’Océan à l’Islam, le cours du torrent


chez nous, photo Alina Reyes

 

J’ai grandi dans la nature, entre océan, dunes et forêt, sans religion, puis dès le collège dans la langue et la pensée latines et surtout grecques. Puis je suis allée vers le judéo-christianisme, puis vers l’islam. Je ne renierai aucune des étapes de mon parcours (ni de mon écriture), car sa cohérence est pareille à celle de l’histoire de l’homme, et je crois que l’homme doit avoir connaissance de ces stades pour pouvoir avancer vraiment vers son accomplissement.

Je ne pense pas que le christianisme actuel doive céder la place à l’islam, je crois qu’il doit demeurer comme demeure le judaïsme, comme trace de ce qui fut et contenait, contient ce qui vint après, est et sera. Je crois que le Christ est maintenant dans l’islam, comme Moïse était dans le Christ. Je crois que l’islam est la continuité du chemin, et je ne cesse jamais d’avancer.

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Anges, Éléments et Prophètes

 

L’eau a été là ce vent qui frappe sans souffler, pensai-je en lisant que la gare et des rues à Lourdes sont bloquées par le flot tumultueux qui a frappé la ville, et en me rappelant ma vision, écrite lundi dernier sur ma page facebook :

« Vu des gens tomber.  Dans une gare. Dans la rue.

Le vent frappant sans souffler.

La verdure vivante. »

Le travail n’est pas fini. Dieu emploie les éléments (et certains êtres) pour prophétiser quand et comme Il veut, je l’ai vu plusieurs fois de mes propres yeux de chair, et notamment une autre fois à Lourdes lors de la visite du pape, où cela s’est produit par la nuée. Personne ne l’a vu ni ne veut le croire, parce que personne ne sait plus ce qu’est réellement Dieu. Comment ses anges agissent. Comment croire qu’Il est le Créateur de l’univers et en même temps qu’il ne peut pas le diriger, agir par lui quand il le veut ? Je ne dis pas que toutes les manifestations naturelles viennent volontairement de Lui, pas plus que tout ce que nous faisons ne vient de Lui. Il en est de Dieu avec nous et avec l’univers comme de nous avec notre corps. Tout le travail de notre corps pour nous maintenir en vie, respiration, circulation sanguine etc, se fait de lui-même – mais n’empêche pas que nous puissions aussi agir volontairement par notre corps, faire des gestes délibérés. Il faut lire les Livres sacrés dans l’esprit et non à la lettre, mais il faut les lire comme Révélations et non comme récits légendaires.

Je reviens bientôt avec une lecture de la sourate 17, promise hier et depuis notre dernière lecture du Coran, où Dieu parle vraiment, avec cet élément vivant et lié à l’eau qu’est la langue.

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Ma première prière du vendredi à la mosquée

photo Alina Reyes

 

Il est bon d’aller à la mosquée voilée. Jusqu’au cœur du temple les insinueurs veulent vous arracher le voile mais Dieu rend leur voix inaudible et vous ouvre de Son chant le ciel.

 

« Aux grandes heures de prière, pendant la célébration des mystères cosmiques, bien que les hiérogrammes sacrés ne soient murmurés qu’à voix basse dans l’immense coupole souterraine, il s’accomplit à la surface de la terre et dans les Cieux un phénomène acoustique étrange.

Les voyageurs et les caravanes qui errent au loin dans les rayons du jour ou dans les clartés nocturnes s’arrêtent, hommes et bêtes, anxieux écoutant. »

Saint-Yves d’Alveydre

 

Je suis allée hier pour la première fois à la grande prière du vendredi. À deux pas de chez moi, portée sur un tapis volant. La Grande Mosquée de Paris est fermée au public ce jour-là. J’y suis entrée mon voile déjà posé sur mes cheveux. Je suis descendue à la salle des ablutions, j’ai dit salam alaykoum aux femmes qui se trouvaient là, beaucoup de bonheur se faisait déjà sentir. J’ai retiré mon imperméable, mon voile et mes chaussures, j’ai invoqué le nom de Dieu, j’ai procédé aux ablutions (les mains, la bouche, le nez, le visage, les avant-bras, les cheveux, les oreilles, les pieds), j’ai prononcé l’attestation de foi, j’ai remis mes chaussures, mon imperméable et mon voile, mon foulard de danse noir trouvé à Istanbul, en l’arrangeant de mon mieux pour qu’il tienne correctement pendant la prière. Toutes les femmes faisaient de même, c’était sensible et beau. Je suis remontée, j’ai suivi le mouvement vers le jardin du patio. À cause de la foule du vendredi, la prière avait lieu là, au lieu de la salle des autres jours. Beaucoup de femmes étaient déjà installées sur les tapis disposés dans les déambulatoires autour du jardin, beaucoup ont continué à arriver, certaines même pendant le prêche de l’imam, qui a lieu avant la prière commune. Les plus jeunes sont volontiers plus strictement voilées que les plus anciennes, lesquelles sont vêtues de façon plus souvent colorée, et portent des foulards encadrant plus souplement le visage, certaines même l’ayant remplacé par un autre couvre-chef. J’ai marché jusqu’au fond, je me suis déchaussée, installée dans un carré à ciel ouvert. Le temps était humide, gris et doux, un léger vent agitait les palmes des palmiers, des femmes priaient à voix basse, tout était splendide à crier de joie.

J’ai commencé à faire ma prière, les deux rekâas personnelles que chacun doit faire en arrivant à la mosquée, avant la prière en commun. Maintenant je connais bien l’enchaînement des gestes, je récite aisément Al-Fatiha et Al-Ikhlas, je ne connais pas encore bien toutes les formules ni Attachaoude alors je remplace cette dernière par la répétition de l’Achada. Les ablutions,  les gestes, les postures – debout, inclinaisons, prosternations, les récitations, tout cela rend la prière très physique, met le corps au service de l’esprit et rend le corps spirituel, oui, comme si le tapis était tout à la fois bien au sol et en train de léviter, avec votre être en joie porté vers le Très-Haut.

Des femmes continuaient à arriver, remplir l’espace, prier. Du côté des hommes la place devait être pleine car certains arrivaient maintenant devant nos rangs, s’installaient dans le jardin, dans les espaces qui restaient. Le temps passait lentement, merveilleusement, avec les oiseaux qui voletaient ou se perchaient et observaient notre assemblée recueillie. L’imam invisible a commencé son prêche, en arabe, entrecoupé de quelques phrases en français. Il a parlé du pèlerinage, dit que les rites n’étaient pas instaurés par les hommes mais venaient de Dieu – j’ai trouvé cela si juste. Contraste musical intéressant entre l’expression vigoureuse de son prêche et les lectures déchirantes qui l’entrecoupaient.

Appel à la prière, répété. Prière commune, dite en ce jour à voix haute par l’imam. Des ablutions jusqu’à la dernière formule, au dernier geste, c’est une montée splendide, montée vers Dieu et montée dans la communion de l’assemblée. L’islam déchire le ciel, il descend dans chaque cœur et le fend, l’arrose comme une petite graine, et voici que de la terre éclot la très fraîche verdure.

 

Douceur du cœur

rue du Puits-de-l'Ermite, photo Alina Reyes

 

La nuit nous avons parlé doucement jusqu’à trois ou quatre heures. Aujourd’hui il y a eu une tempête de sable à Marrakech, me dit-il. Il me rappellera pour me faire entendre le muezzin.

À la mosquée A m’a apporté de nouveaux petits livres, dont un sur le Paradis, auquel elle est particulièrement attachée. Et nous y étions déjà, au paradis, assises sur le tapis après la prière, à parler de prière et de choses de Dieu et de petits projets.

C’est étrange de changer de façon de prier, mais au fond cela ne change pas vraiment, j’étais pareille la première fois que je suis allée au carmel et qu’il m’a fallu apprendre les gestes et la diction. Et bien sûr une fois qu’ils sont intégrés ils deviennent tout naturels. Être musulmane cela ressemble à être carmélite, j’étais si heureuse au carmel ! Prier cinq fois par jour dans les formes je n’y suis pas encore, je ne me presse pas mais cela viendra vite et je sais que c’est bon, c’est comme soutenir le temps ensemble, chacun, chacune avec ses cinq bras.

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Le premier jour

Après le jardin, la bibliothèque et le jardin,

je suis allée à la mosquée pour la prière de l’après-midi,

ne sachant trop comment faire – c’était la première fois.

Mais justement j’y ai rencontré un ange, une toute jeune femme fraîche et calme et souriante, qui m’a complètement guidée. Nous avons prié côte à côte, serrées, afin que le diable ne puisse entre nous passer. Nous nous sommes embrassées et de nouveau embrassées et dit à bientôt as-salam alaykoum incha’Allah, voilà, je suis restée encore puis repartie avec ses conseils, le petit livre qu’elle m’a offert et le cœur bienheureux, c’est ma première petite sœur en islam et j’ai tout à apprendre, c’est l’aube de nouveau, le premier jour du monde.

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tout à l’heure au Jardin des Plantes, photos Alina Reyes

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