La Joyeuse

la joyeuse-min*

J’appellerais bien cette « Flamme de lettres », dessinée hier dans mon gros cahier-chantier d’écriture, la Joyeuse, en référence à la Joconde.  Je regarde un documentaire d’Arte sur Einstein et Hawking. Mon travail aussi va changer la vision du monde. Tout le travail produit au cours des quinze dernières années, appuyé sur le travail produit pendant les décennies précédentes, depuis l’enfance à vrai dire, et qui continue, alors que je me sens, vraiment, plus légère que jamais.

*

Bonheur

"Bonheur", mon nouveau dessin

« Bonheur », mon nouveau dessin

*

La nuit est ronde comme une orange.
Vertes, ses feuilles étincellent.

 

Dans ses feuilles étincelantes jaillit le jour.
Sèves.

 

Mes doigts qui tracez,
mes pieds qui martelez,
et vous mon cœur, mon cerveau, mon sang,
faites advenir le printemps !

 

Vous mes neurones, mes narines, mes nerfs.
Vous mes trois yeux, vous mes dix bras.
Vous mes mille et une joies, vous mes milliards d’années
riant dans l’univers à ma gorge déployée.
Vous mes rimes cryptées, mes mesures secrètes,
vous mes orteils, toi ma tête,
vous mes chevilles, toi ma lymphe,
vous mes eaux, mes feux, mes chairs, mes airs,
qui n’êtes ni moi ni autre,
moi l’autre, là même,
bonheur.

 

Le jour naît vert de mon sang chlorophile
ma caverne enphyllée tisse
poèmes nervurés autour des fleurs,
des fruits.

*

Le paradis vécu de Miyazaki

Screenshot_2020-03-04 Ep 1 Ponyo est là - 10 ans avec Hayao Miyazaki NHK WORLD-JAPAN On Demand,*

Je regarde le documentaire en 4 parties mis gracieusement à disposition par NHK sur Hayao Miyazaki, l’un de mes cinéastes préférés. Le documentaire commence en 2006 et s’étend sur dix ans, au cours desquels on suit le travail du maître. En 2006, il avait 65 ans, juste un an de plus que moi aujourd’hui, et je peux me retrouver dans certaines de ses préoccupations d’artiste. Comme la nécessité d’accepter la fatigue, qui rend le travail plus lent. Et puis le bonheur, qu’il ne dit pas mais qui est sensible à l’image, à être dans cet âge, d’entrer dans la vieillesse, malgré ses inconvénients. À moment donné, il parle de lui comme d’un vieillard, ce qui est très exagéré pour un bonhomme alerte, bien conservé et à l’allure, à l’expression toujours empreintes d’enfance. Mais s’il dit vieillard, s’il anticipe, n’est-ce pas pour assumer, je dirais presque savourer, cet âge de la vie ? Chaque âge a son bonheur et voici celui qui transparaît chez Miyazaki : celui de la paix, de la nature, de l’innocence jamais perdue. Son studio personnel merveilleux. Comment il y arrive en 2CV. Comment il salue, en entrant, les créatures invisibles qui y habitent. Comment il se prépare un café. Comment il regarde par la fenêtre. La verdure et le banc, les passants de ce quartier très calme. Comment il s’assied à sa table de travail. Comment il songe et réfléchit. Comment il expérimente. Comment il dessine, peint, écrit. Les tribulations de la création. Les moments d’inspiration, les moments de doute, les moments de joie où ça vient vite et bien, bien. Où la pêche est bonne (pour créer, il faut lancer une ligne dans son cerveau, dit-il). La vie. L’univers de Miyazaki ressemble à l’univers de Miyazaki, et c’est ça le plus beau.

Ne croyez pas ceux qui vous racontent que le paradis est perdu. Il y a bien des enfers sur terre, mais le paradis est toujours là aussi, pour les grands petits comme Miyazaki, pour quiconque accepte de vivre, réellement, dans la lumière.

*

Sur les puissances de la parole

 

Puissante tribune de Virginie Despentes dans Libé sur le césar donné à Polanski.

Une voix bien plus forte et vivante que celle des soutiens, hommes et femmes, largement boomers, de ce système tel qu’il est et auquel ils et elles ont dû se soumettre pour en être et y faire carrière.

À remarquer cependant, comme cela a déjà été fait, que les seules femmes qui ont pu parler et être écoutées jusqu’à présent sont des femmes qui sont elles-mêmes intégrées dans ce monde : Springora, Haenel, Despentes sont des femmes en position de force, qui ont, comme ceux qu’elles peuvent se permettre d’accuser, des réseaux, des relais dans la presse, etc. Pour avoir dénoncé ce système et ce monde, et notamment l’écrasement des jeunes, des femmes et des immigrés par le vieux pays que nous continuons à subir, cela en 2007 dans mon roman Forêt profonde (quelques années après mon Poupée, anale nationale qui avait déjà beaucoup irrité, comme mon Lilith), j’ai été tout simplement bannie de l’édition et des médias, mon livre a été occulté et j’ai été diffamée. 2007, c’était trop tôt sans doute pour que ma parole puisse être admise, il a fallu MeToo pour que cette sorte de parole puisse bénéficier d’une écoute. Mais il y a autre chose, au moins deux autres choses : une parole prosaïque, si virulente soit-elle, est toujours moins difficile à recevoir, plus acceptable, qu’une parole violemment poétique comme la mienne ; et des protestataires malgré tout intégré·e·s sont toujours mieux reçu·e·s qu’une anarchiste asociale et irrécupérable comme moi.

Faut-il qu’il y ait des gens qui parlent pour et dans leur époque, et d’autres, en avance sur leur époque et pour plus tard ? Ainsi fonctionne encore le vieux monde, comme au XIXe siècle où Zola put signer un retentissant J’accuse (qui finit quand même par lui coûter la vie) tandis que Rimbaud, à l’écart, lui, laissa à l’humanité future son génie renversant. Je ne pense pas pour autant qu’il n’y ait pas d’autre société possible qu’une société où les artistes sont soit des assis (socialement), soit des maudits (socialement aussi). Dans un monde autrement construit, il n’y a pas nécessité d’une telle lamentable séparation. Je travaille contre toutes sortes de séparations et tandis que le monde du cinéma comme le reste de la société se fissure, tandis que les agents de cette tour de Babel qu’est notre société se retrouvent de plus en plus privés de parole commune, celles et ceux qui n’y existent pas préparent les outils d’un prochain habitat.

*

Sur la littérature, la vérité et la vie

 TRACÉ DE PÉTROGLYPHES SUPERPOSÉS, CRESWELL CRAGS. Il s’agirait des œuvres rupestres les plus anciennes répertoriées, puisqu’elles datent de l’ère glaciaire (43 000 ans). Photo : stone-circles.org.uk


TRACÉ DE PÉTROGLYPHES SUPERPOSÉS, CRESWELL CRAGS.
Des œuvres rupestres parmi les plus anciennes répertoriées (43 000 ans). Photo : stone-circles.org.uk

*

Peut-être les hommes préhistoriques traçaient-ils dans les grottes des lignes superposées parce qu’ils avaient remarqué, ou senti, le phénomène de la superposition des phénomènes ? Par exemple, quelque chose se passe dans tel espace, et se repasse, de façon décalée mais très comparable, dans tel autre espace, pour un même être situé dans les deux espaces. Si ce quelque chose est chargé de morbidité et si les deux espaces se rencontrent et se renforcent mutuellement, alors le risque mortel devient plus grand. Nos ancêtres préhistoriques, comme nous avaient besoin d’apprendre à réchapper des risques mortels, et la superposition des traits pouvait être, consciemment ou non, une expression conjuratoire du risque, parce qu’elle était d’abord le signe d’une connaissance.

Ce que je dis là peut paraître obscur. C’est en cherchant des exemples concrets correspondant à la situation que j’indique qu’on peut le comprendre. Que chacun peut le comprendre en le rapportant à quelque chose qui se serait passé, dans son existence ou dans celle d’un autrui, et dont il aurait connaissance. Par exemple, le texte de ma précédente note pourrait être écrit de façon similaire avec un il à la place du elle et d’autres indices factuels, sans que le sens général, sans que la nature profonde du phénomène en question ne change. La littérature repère des trajets, des lignes existentielles et inter-existentielles, et les transpose en lignes tracées. Jacques Bouveresse écrit :

« Si on a souvent parlé de « littérature pure » à propos de Proust, on aurait tout aussi bien pu parler de la Recherche comme d’une entreprise de « connaissance pure ». Le terme « pur » renvoie ici à ce que Thibaudet voulait dire quand il a écrit qu’ « il y a chez Proust une fusion d’éléments pareillement rebelles à tout pli professionnel : vie mondaine pure, psychologie pure, littérature pure ». La connaissance pure est une connaissance qui, comme c’est le cas justement de celle de l’écrivain, ne comporte rien de spécialisé et de professionnel, ne raisonne pas en fonction des conséquences et des applications pratiques, et ne se préoccupe que de la vérité. Se détourner de la recherche de celle-ci revient, pour Proust, à se détourner de la littérature elle-même ; et c’est ce que font ceux qui s’efforcent de la mettre au service d’objectifs qui, en réalité, ne constituent que des prétextes pour s’éloigner d’elle et échapper à ses exigences, comme la description exacte des faits ou de la réalité, le triomphe du droit, l’intérêt de la nation, etc. L’artiste ne peut servir sa nation qu’en tant qu’artiste, par la contribution qu’il apporte à la connaissance, au sens indiqué, « c’est-à-dire qu’à condition, au moment où il étudie ces lois, institue ces expériences et fait ces découvertes, aussi délicates que celles de la science, de ne pas penser à autre chose – fût-ce à la patrie – qu’à la vérité qui est devant lui » [Bouveresse cite ici Thibaudet in Réflexions sur la littérature]

Jacques Bouveresse, La connaissance de l’écrivain. Sur la littérature, la vérité et la vie, éd Agone, 2008

*

Vérité et mort

 

La vérité peut faire si peur que certaines personnes préfèrent affronter la mort.

Pourtant ce n’est pas une bonne façon de mourir que de mourir sans avoir fait la vérité. Ni pour soi, ni pour les autres.

Et ce n’est pas non plus une bonne façon de vivre que de continuer à vivre en continuant à occulter la vérité, aux dépens d’autrui. Ce n’est pas une bonne façon : d’une part parce qu’on fait ainsi du mal, à autrui et à soi ; d’autre part parce que c’est du temps où nous sommes vivants qu’il faut apprendre à bien mourir. Dans quel autre temps que celui où nous sommes vivants apprendrions-nous à être justes, ou simplement honnêtes, dans quel autre temps apprendrions-nous à quitter honnêtement notre carrière sur cette terre ?

Ce matin j’ai fini ma séance de yoga, une fois relevée de shavasana, la « posture du cadavre », une fois revenue en siddhasana, « posture parfaite », en prononçant le mantra Sat nam, qui signifie, en sanskrit, une identification avec la vérité. La mort ne fait pas la vérité. Seule la vie la fait.

*

Haïkus du yoga

« Il y a un moment où le langage cesse (moment obtenu à grand renfort d’exercices), et c’est cette coupure sans écho qui institue à la fois la vérité du Zen et la forme, brève et vide, du haïku ». Roland Barthes

*

Tapis de yoga.

Assise en siddhasana

je n’ai pas de poids

*

Couchée sur le dos

en shavasana, yeux clos.

Paix fluide de l’eau.

*

Changement de forme.

Relevée, mon âme

fait vibrer le Aum.

*

*

*