C’est une joie assez comparable à celle des enfants à la recherche d’œufs de Pâques dans le jardin que de parcourir certaines allées du Jardin des Plantes en quête des très gracieux dessins d’Izumi. Son trait élégant et sa vision ravissante mêlant le végétal, l’humain et l’animal réjouissent et même réparent, comme les vertus médicinales de certaines plantes. Sans doute n’ai-je pas vu tous ses panneaux – si j’en trouve d’autres d’ici la fin de l’exposition, le 4 juin, je les ajouterai à cette note.
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Cet après-midi au Jardin des Plantes à Paris, photos Alina Reyes
pour en savoir plus sur cette artiste : aller sur le site d’Izumi
L’Univers de Stephen Hawking est comme cette tarte, en davantage de dimensions. Un univers sans frontières. Je lisais hier soir un compte-rendu d’une interview donnée par lui dans Star Talk : « On peut considérer le temps ordinaire et réel comme commençant au pôle Sud, qui est un point lisse de l’espace-temps où les lois normales de la physique tiennent. Il n’y a rien au sud du pôle Sud, donc il n’y avait rien autour avant le Big Bang ». Apprenant ce matin sa mort en cette journée de Pi (π), j’ouvre son livre Une belle histoire du temps, posé sur mon bureau, dans lequel il rappelle que depuis la théorie de la relativité générale (Einstein, 1915), « L’espace et le temps sont devenus des entités dynamiques : quand un corps se déplace, ou quand une force agit sur lui, cela influe sur la courbure de l’espace et du temps – et, en retour, la structure de l’espace-temps influe sur la façon dont les corps se déplacent et dont les forces agissent. L’espace et le temps affectent, et sont affectés par, tout ce qui se passe dans l’Univers. »
« Néanmoins, si nous parvenons vraiment à découvrir une théorie unificatrice, elle devrait avec le temps être compréhensible par tout le monde dans ses grands principes, pas seulement par une poignée de scientifiques. Philosophes, scientifiques et personnes ordinaires, tous seront capables de prendre part à la discussion sur le pourquoi de notre existence et de notre Univers. Et si nous trouvions un jour la réponse, ce serait le triomphe de la raison humaine – qui nous permettrait alors de connaître la pensée de Dieu. »
Rappelons-nous qu’il disait que cet univers serait peu de choses s’il ne s’y trouvait les personnes que nous aimons, et qu’il espérait laisser un souvenir comme père et grand-père.
Le mot grec polis, (« cité », assemblée de citoyens), nous a donné aussi bien police que politique ou politesse. En Grèce, comme le montre magistralement Cornelius Castoriadus dans la vidéo qui suit, la polis est indissociable de la sophia, la sagesse, et de la philosophie, « amitié pour la sagesse ». (Et je n’écris jamais le prénom Sophie sans y entendre Sagesse – que ce soit avec reconnaissance ou avec ironie). La cité grecque de la démocratie (et du théâtre à la fois philosophique et poétique), c’est Athènes ; et la déesse d’Athènes, c’est Athéna, déesse de la Sagesse, symbolisée par la chouette, oiseau qui voit la nuit, à tous les sens.
« C’est vrai, ça, je ne le connaissais pas, Dom Juan, moi ! », m’a lancé cet élève du fond de la classe le jour de mon départ, juste après avoir dit « On a appris beaucoup de choses avec vous ». C’est un élève très « faible » en français, et je sais qu’il n’a pas plus lu la pièce qu’aucun des autres textes que nous avons étudiés. Cependant, grâce à notre travail en cours, il a pu connaître « Dom Juan, moi ». Une incarnation théâtrale, littéraire, de la liberté humaine, avec son hubris (autre mot grec, interrogeant le sens des limites), sa complexité, sa grandeur. Et un questionnement du rapport au « Ciel », comme le dit la pièce de Molière, qui n’enferme pas, pour peu qu’on ouvre suffisamment le texte, qu’on en fasse une lecture assez profonde. Voilà à quoi doit servir un.e prof de lettres : comme me l’avait écrit un Marocain à propos de mon livre Moha m’aime : « Tout le monde à Sidi Ifni le lit, même les femmes illettrées ». Faire lire même les personnes auxquelles on n’a pas appris à lire. Et ce faisant, leur donner accès à leur propre inconnu, leur propre dignité, leur propre grandeur, leur propre plénitude.
Cornelius Castoriadis/ Chris Marker – Une leçon de Démocratie
En 1989, Chris Marker filmait Cornelius Castoriadis.
Aujourd’hui c’est l’anniversaire de naissance d’André Breton (en 1896) et celui de la mort de René Char (en 1988). Voici quelques considérations sur le temps dans les langues sémitiques, avant l’évocation de la formation d’Andromède et de sa rencontre à venir avec notre galaxie, la Voie Lactée.
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En hébreu biblique, et dans les langues sémitiques, les verbes ne se conjuguent pas selon des temps, mais changent de forme selon qu’ils expriment le ponctuel (accompli) ou le duratif (inaccompli). En français, le passé simple dit un passé accompli, l’imparfait un passé en train de s’accomplir, inaccompli. Mais il n’existe en hébreu ni passé, ni présent ni futur. Le contexte détermine la compréhension et la lecture que nous faisons du verbe, qu’il soit à l’accompli ou à l’inaccompli. Le verbe à l’accompli se traduit le plus souvent par un passé simple ou passé composé, mais il peut aussi dire un plus-que-parfait ou un futur antérieur, ou encore, pour les verbes d’état, un présent. Un verbe à l’inaccompli se traduit le plus souvent par un futur, ou bien, dans un récit, par l’imparfait, ou encore, quand il s’agit de dire une généralité, par un présent.
Nous voyons déjà combien est souple, riche et libérale, dans une telle langue, la perception du temps. Tout est possible, dit ainsi le verbe de Dieu. Ce verbe non pris dans un temps linéaire, mais ouvrant le temps, le déployant dans un espace où l’esprit peut respirer, jouer, évoluer, grâce à ces formes accueillantes, qui permettent un dialogue en trois dimensions. Dans nos langues indo-européennes, le verbe corseté dans son temps impose sa situation comme un point sur une ligne. Celui qui parle envoie à celui qui écoute un message défini dans le temps. La communication est à deux dimensions, deux protagonistes, celui qui émet et celui qui reçoit. En ce qui concerne le temps, la langue indo-européenne est sans profondeur. La conjugaison place le verbe au croisement d’une longueur et d’une hauteur. En hébreu biblique, sont en conversation non seulement le locuteur et l’auditeur, mais aussi le temps. Le temps, parce qu’il n’est pas fixé, a son mot à dire. Parce qu’il n’est pas capturé, il se meut et vit librement dans le volume de la langue. Quelle que soit la situation dans le temps que le verbe désigne, celui qui le reçoit ou l’émet le vit présentement. Lorsque, au deuxième verset de la Genèse, est évoqué le souffle de Dieu se mouvant sur le visage de l’Eau, nous sentons, à lire ce récit dont les temps ne sont pas figés, que cela eut lieu, de façon durative, dans le passé (et nous traduisons le verbe à l’imparfait), mais aussi, que cela est, de façon absolue : que non seulement au commencement, mais par principe, l’Esprit de Dieu émeut le visage de l’Eau (autre traduction possible), et qu’il en fut, qu’il en est, qu’il en sera ainsi à jamais, tant qu’il s’agit de donner naissance à la lumière, et de créer et recréer le monde.
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Andromède est née de la fusion de deux galaxies, voici quand et comment :
Et voici une image du rapprochement d’Andromède et de la Voie Lactée dans 3,7 milliards d’années :
Crédits de l’illustration : NASA/ESA/Z. Levay/R. van der Marel (STScI)/T. Hallas/A. Mellinger
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Le texte sur l’hébreu est extrait de mon livre Voyage.
Aux mots-clés André Breton et René Char, ci-dessous, vous trouverez des notes dans ce blog sur ces poètes
Un bel article sur le livre d’Andrea Marcolongo, « La Langue géniale, 9 raisons d’aimer le grec », avec notamment des considérations sur le temps en grec ancien : ici sur Slate
« Je ne devais surtout pas prendre de bois sous notre figuier, ni autour, car chez les Kikuyu, le mugumo est l’arbre de Dieu et l’homme n’a le droit ni de l’utiliser, ni de le couper, ni de le brûler…
Je comprendrais par la suite que ces figuiers séculaires indiquaient la présence de réserves phréatiques. Leurs puissantes racines creusent dans le sol des failles et des fissures par lesquelles les eaux souterraines remontent vers la surface. »
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Du tir à l’arc préhistorique comme sport d’avenir. Et deux millions de dessins zoologiques en accès libre sur la Biodiversity Heritage Library : une splendeur de grâce dont voici quelques images, glanées dans cette bibliothèque en ligne où le dessin se fait écriture du vivant, comme toute bonne écriture propre à saisir la beauté du vivant sans l’assassiner, en l’exaltant tout en glorifiant à la fois le rêve et la raison.
Ce sont les » surveilleurs et punisseurs » de la littérature, pour paraphraser Michel Foucault (que j’ai appelés « kapos de la littérature », symbolique en accord avec le constat que j’ai fait d’un assassinat de masse de la littérature par les programmes et la pédagogie). Il faut le vivre pour le savoir, et il est important de le savoir. Je transmets donc ce que je sais, en continuant à témoigner sur ce qui se passe à l’Espé, où l’on forme les profs, et dans les lycées ou collèges, du moins pour ce qui concerne ma discipline, la littérature. J’ai relaté hier la visite d’une tutrice, son rapport n’a pas traîné, je le reçois ce soir. Un ramassis de petites notations mesquines, sans aucune vision, sans le moindre essai de compréhension de ce qui se passe. Sachant qu’elle venait, j’avais choisi cette heure pour diffuser à mes élèves des extraits de La classe morte de Tadeusz Kantor (que, m’a-t-elle dit, elle ne connaissait pas – on a beau être prof depuis vingt ou trente ans, si c’est pas au programme, on connaît pas, c’est tout). J’espérais lui donner à penser sur ce qu’était une classe morte, une classe où tout est faux, stupide, dénué de sens, et sur ce qu’était une classe vivante, celle où elle se trouvait. Mais dans les manifestations de la vie, elle a cru voir de « l’enfer ». Ce même enfer, sans doute, où ces éternels bouffons veulent voir Dom Juan, qui leur tire la langue, de la joie où il est, libre et insaisissable. Voici la lettre que je lui ai envoyée en retour :
Bonsoir S,
Il est dommage de faire évaluer les profs de lettres par de zélés […]. Mon élève E, une jeune fille magnifique et magnifiquement pleine de vie (tous mes élèves le sont et j’ai horreur qu’on entre dans la classe pour les critiquer et cafter sur eux – CE QU’ILS FONT NE VOUS REGARDE PAS) a eu raison avec son titre, elle a mieux compris la pièce que vous. Et vous refusez de prendre en compte le fait que je vous ai dit que nous reparlions toujours de ce que nous avions dit tout au long de la séquence et même au-delà, sur toute l’année. Vous ignorez beaucoup de choses que je sais, je suis maître en littérature et vous ne l’êtes pas mais vous vous comportez comme si vous saviez mieux. Ma méthode n’a rien à voir avec votre mécanique. (Et contrairement à ce que vous dites dans votre rapport, j’ai répondu rapidement aux questions de mes élèves pendant la projection, et j’aurai l’occasion d’y revenir avec eux).
Votre façon de faire est grave, elle participe à assassiner la littérature, comme je l’avais déjà constaté lors des cours à l’Espé, les vôtres et ceux de vos autres collègues « formateurs ». Lors de notre entretien, j’ai essayé d’évoquer les ateliers d’écriture que j’ai mis en place et leur succès, mais vous n’avez rien voulu en savoir, pas plus que vous n’avez voulu comprendre la pédagogie générale que je pratique. J’apprends à mes élèves à penser et à être libres. Mais tout ce que vous voulez, c’est voir les gens, profs et élèves, rentrer dans le moule qui vous a vous-même formatée. Ce cadre mesquin qui ratatine la pensée et la vie, ce bouillon de superficiel et de faux qui donne les résultats que l’on sait, des élèves qui sortent du lycée sans savoir lire ni écrire et ont tout oublié (ou bien tout à fait formatés et prêts à reproduire la même mécanique mortifère). Des élèves qu’on livre de plus en plus tard à la littérature pour enfants, c’est-à-dire à une production industrielle de divertissement évidemment dépourvue de la profondeur des grandes œuvres littéraires. Des élèves qu’on n’initie à la littérature qu’au travers d’une pédagogie contraire à l’esprit de la littérature, qui annule la littérature, la pensée, la grandeur de l’humanité, des auteurs que vous bafouez. Et des professeurs le plus souvent eux-mêmes complètement ignorants du sens de la littérature et de l’art.
Je ne vous reconnais aucune compétence pour juger ou évaluer mon travail. Je suis heureuse de pouvoir, au moins pendant quelques mois, donner à des élèves que j’aime absolument et que je respecte tous, en l’incarnant, quelque chose que l’école ne leur a jamais donné.
Remettez-vous en question, s’il n’est pas trop tard. Bon courage,
Alina Reyes
(je publie cette lettre sur mon blog)
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mes autres notes sur l’Espé sont ici ; et sur mon expérience de prof de lettres, là