Forêt profonde, lieu de la résurrection

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chez nous, photo Alina Reyes

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Le « sujet obscur » « organise l’occultation » de « l’événement » de « vérité », dit Badiou. Ainsi le sujet obscur a-t-il organisé l’occultation de Forêt profonde par un tombereau de faux. Mais sur le rocher de Forêt profonde, ces faux ne sont qu’un petit tas de feuilles mortes, que le vent dispersera.

Art pariétal, Livre saint

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« Nous avons assigné un oiseau sur la nuque de chaque homme, et au Jour du Jugement nous lui produirons un livre qu’il trouvera déployé. » Coran, sourate Le Voyage nocturne, verset 13.

 Image : dans la grotte de Lascaux.

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images : main négative dans la plus ancienne grotte peinte, en Indonésie

et fresque du Christ descendu aux enfers ressusciter les morts, à Saint-Sauveur- in-Chora, à Istanbul

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Les dessins et les signes peints ou gravés dans les grottes préhistoriques sont les Écritures saintes avant la lettre de nos ancêtres.

Le Seigneur des mondes et ses prophètes, chamanes

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En lisant Jean Clottes, et les témoignages de chamanes ou d’autres personnes qui continuent aujourd’hui, un peu partout dans le monde, à pratiquer le chamanisme notamment sur les sites de peintures rupestres, préhistoriques ou contemporains, la mauvaise foi de ceux qui nient le lien entre art paléolithique et chamanisme éclate. J’ai longtemps pensé qu’elle était le fait de l’athéisme farouche d’une grande partie de la communauté scientifique, mais il m’apparaît aussi maintenant que cet athéisme est l’enfant du christianisme, de ce christianisme qui par pudibonderie rejeta et rejette, combattit et combat, tout ce qui est de l’ordre de la nature. Parce que le christianisme, ou du moins le catholicisme, en réduisant Dieu à l’homme, a complètement perdu de vue ce qu’est Dieu, et ce qu’est sa création. La nature est la création vivante de Dieu (un fait que les chamanes n’ignorent pas, au contraire, puisque selon eux tout est lié et interagissant, tout est rapport dans l’unique et fluide réel du Dieu créateur), et la nature est bien plus que ce que nous en voyons avec nos yeux de chair. En réduisant Dieu à l’homme, le christianisme, et sa conséquence l’athéisme, ont réduit le monde, l’ont enfermé dans des limites qu’il n’a pas. La nature est le réel, et le réel est le spirituel, le transcendant, l’éternellement vivant. Jésus apaisant la tempête, guérissant les malades, chassant les démons, communiquant avec les esprits des ancêtres Moïse et Élie, se transfigurant, passant librement du monde des vivants à celui des morts et en revenant, n’est-il pas le chamane total ? Dieu ne se réduit pas au monde de l’homme, au monde « humain, trop humain » comme dit Nietzsche. Dieu est le Seigneur des mondes, comme dit le Coran.

Chamane

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Je lis Jean Clottes et je sais dans mon corps qu’il a raison. Parce que ce qu’il dit, je le vis. Depuis très, très longtemps.

« Les recherches de visions restent une pratique vivante et elles sont souvent liées à des sites d’art rupestre, comme on le sait par de nombreux témoignages anciens ou récents. Surtout, l’identification de l’animal présent en tant qu’esprit des lieux illustre la différence d’attitude entre la nôtre, matérialiste, et une culture traditionnelle pour laquelle tout événement est signe et où aucune frontière n’existe entre le domaine naturel et celui des forces et des créatures que nous appellerions surnaturelles. » Jean Clottes, Pourquoi l’art préhistorique ?

Je suis la chamane totale
l’esprit aimé de ma montagne aimée
Elle fut si triste que je parte
elle neigea, elle pleura,
dans son chagrin elle balaya
de son bras d’eau la table
Elle m’appelait, elle voulait
prendre une part de ma peine
Les forces voyagent sur la terre
y portent la nouvelle de tout ce qui est fait,
servantes comme moi du seul Seigneur des mondes
dédiées au sort des âmes et des corps.
Les complices du mal emportent dans leur chair
la mort venue leur dévorer le cœur.
Tandis que les amis des anges
bien au-delà sont occupés à rire.

De l’anti-sémitisme intrinsèque d’Heidegger

1photo Alina Reyes

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Après la publication des Carnets noirs, le débat continue sur l’antisémitisme d’Heidegger, sur le mode : son antisémitisme a-t-il influencé sa philosophie, ou ne faut-il y voir qu’un trait commun à tant d’hommes, et notamment de philosophes qui l’ont précédé ? Parmi tous ces débatteurs, philosophes de formation ou philosophes autoproclamés, aucun n’arrive à voir que toute la philosophie d’Heidegger est antisémite, au sens précisément de anti-sémite, à l’opposé de l’esprit sémitique, de l’esprit du déplacement permanent, à l’œuvre au cœur même des langues sémites – arabe autant qu’hébreu. Heidegger a cherché sa pensée dans le grec et dans l’allemand. Or ces langues constituent trois mondes clairement à part. D’un côté le monde des langues sémitiques, de l’autre le monde grec, de l’autre encore la structure latine. Il n’est pas impossible de penser en allemand ou en latin sans être antisémite, mais cela implique de sortir de sa langue. En fait Heidegger a peu emprunté de sa pensée à la langue grecque, sinon un idéalisme qu’il a voulu ramener à tout prix dans le giron de l’allemand, alors que ces deux langues, et donc la structure de pensée qu’elles portent, sont très différentes. Heidegger hanté par la peur de la bâtardise raciale et culturelle a pourtant lui-même abâtardi sa pensée dans cette confusion illusoire, cette volonté cachant une honte secrète, un sentiment d’infériorité non assumé, de justifier l’allemand par le grec. Quête d’originellité qui a pourtant donné quelques résultats intéressants, pourvu qu’on n’oublie pas de retirer ces pépites du fossé boueux dans lequel ce terrien les a jetées et où elles ne peuvent pousser. La philosophie d’Heidegger est massivement néfaste et dangereuse, d’autant plus qu’elle est séductrice et flatteuse, fonctionnant comme un miroir aux alouettes, donnant à son lecteur le sentiment de sa propre supériorité, de sa propre intelligence ; cela de façon aussi illusoire que le fait de refléter l’allemand par le grec.

La passion d’Heidegger, c’est le fixe. L’être du sémite, c’est le passage. Le déplacement permanent. L’utopie comme art de n’être pas dans la place. De n’être pas assis, mais en marche. En mouvement, même immobile. De ne s’installer que pour partir. D’être insaisissable, c’est-à-dire bien plus éternel qu’en étant là. Être d’ailleurs, aller ailleurs et par ailleurs. C’est-à-dire, dans l’être même du vivant.

mes autres textes sur Heidegger : ici

La peur de la vie

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tout à l’heure au Jardin des Plantes

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À l’occasion de la publication de ses Cahiers noirs, on reparle de Heidegger. Dommage qu’il y ait besoin de découvrir son antisémitisme écrit noir sur blanc pour le critiquer, sans se rendre compte que le fond de sa pensée est morbide, extrêmement dangereux, nihiliste. D’ailleurs le sionisme la rejoint tout à fait, dans le sens où la hantise de Heidegger, c’est le nomadisme, et son idole, la terre. Et les nationalismes, les impérialismes quels qu’ils soient, y compris islamistes, tiennent de la même hantise morbide de contrôle.

Le nomade échappe à l’ordre bourgeois, il n’est pas assis, il a très peu de biens, il est en mouvement, il est insaisissable. Ce n’est pas pour rien que Dieu a été inventé (découvert) par les Hébreux, un peuple nomade. Ce n’est pas pour rien que Jésus marchait tout le temps. Ce n’est pas pour rien que Dieu a trouvé son dernier prophète en Mohammed, au milieu des tribus nomades. Dieu se trouve dans les traces de pas, les écritures qui vont et viennent ; non dans les tours de Babel, les constructions pharaoniques, qu’elles soient de béton ou de pensée. Quel énorme réseau de parole a dû tisser Heidegger pour essayer d’y prendre Dieu, de le neutraliser. Aussi énorme que sa peur, et celle de ses suiveurs. Et bien sûr il n’y a là rien à récolter, sinon la mort.