Révolution permanente. La ville en jaune

Aujourd’hui des photos de jaune dans la ville, de la musique, et les paroles d’une chanson de Moustaki que je classe dans la catégorie « Poètes du feu de Dieu ». Il a été de ceux qui ont enchanté mon adolescence – je n’imaginais pas alors que quelques années plus tard, il me lirait, mais c’est ce qui se produisit. Ainsi la révolution permanente des Gilets jaunes donnera-t-elle aussi ses fruits. Déjà nous pouvons contempler et humer ses fleurs, la prise de conscience, le réveil qu’elle a introduits dans un pays sous anesthésie, paralysé par les communicants tueurs de pensée depuis des années, processus achevé par l’entièrement faux et sot Macron et son entièrement faux et débile gouvernement.

J’ai repris mon action poélitique #PostIt, avec des post-it jaunes cette fois. Je fais toutes les nuits des rêves fantastiques. Jamais je ne me suis sentie mieux de ma vie.

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jaune 16-minHier à Paris 5e et 13e, photos Alina Reyes

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Sans la nommer

Je voudrais, sans la nommer
Vous parler d’elle
Comme d’une bien-aimée
D’une infidèle
Une fille bien vivante
Qui se réveille
A des lendemains qui chantent
Sous le soleil
 
 
C’est elle que l’on matraque
Que l’on poursuit que l’on traque
C’est elle qui se soulève,
Qui souffre et se met en grève
C’est elle qu’on emprisonne,
Qu’on trahit qu’on abandonne
Qui nous donne envie de vivre
Qui donne envie de la suivre
Jusqu’au bout, jusqu’au bout
 
 
Je voudrais, sans la nommer
Lui rendre hommage
Jolie fleur du mois de mai
Ou fruit sauvage
Une plante bien plantée
Sur ses deux jambes
Et qui traîne en liberté
Ou bon lui semble
 
 
C’est elle que l’on matraque
Que l’on poursuit que l’on traque
C’est elle qui se soulève
Qui souffre et se met en grève
C’est elle qu’on emprisonne,
Qu’on trahit qu’on abandonne
Qui nous donne envie de vivre
Qui donne envie de la suivre
Jusqu’au bout, jusqu’au bout
 
Je voudrais, sans la nommer
Vous parler d’elle
Bien-aimée ou mal aimée
Elle est fidèle
Et si vous voulez
Que je vous la présente
On l’appelle
RÉVOLUTION PERMANENTE
 
 
C’est elle que l’on matraque
Que l’on poursuit que l’on traque
C’est elle qui se soulève
Qui souffre et se met en grève
C’est elle qu’on emprisonne
Qu’on trahit qu’on abandonne
Qui nous donne envie de vivre
Qui donne envie de la suivre
Jusqu’au bout, jusqu’au bout
 
 
C’est elle que l’on matraque
Que l’on poursuit que l’on traque
C’est elle qui se soulève
Qui souffre et se met en grève
C’est elle qu’on emprisonne
Qu’on trahit qu’on abandonne
Qui nous donne envie de vivre
Qui donne envie de la suivre
Jusqu’au bout, jusqu’au bout
 
Georges Moustaki

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Virgile, Les Bucoliques (ma traduction des premiers vers)

henri-rousseau-reve-dreamLe Douanier Rousseau, Le rêve

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J’ai ouvert les yeux ce matin en me répétant mentalement, ravie, le premier vers des Bucoliques de Virgile, remonté de mon adolescence pendant la nuit : Tityre, tu patulae recubans sub tegmine fagi… Nous sommes soucieux des affaires du monde, mais cela n’empêche pas la poésie de continuer à œuvrer en nous, voilà comment j’interprète ce rêve débordé dans le réveil. Du coup, j’ai traduit ainsi ces premiers vers du poème :

 

Tityre, allongé sous l’ample couvert d’un hêtre,

Tu mûris à la flûte une muse sylvestre ;

Nous, nous abandonnons frontières et doux champs,

Quittons la patrie ; toi, à l’ombre lentement,

Tu fais sonner aux bois la belle Amaryllis.

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(Traduction révisée le 19-7-2021. Pour lire davantage de cette églogue, et des suivantes : mes traductions de Virgile

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Le texte en latin :

Tityre, tu patulae recubans sub tegmine fagi,
Silvestrem tenui musam meditaris avena ;
Nos patriae fines et dulcia linquimus arva ;
Nos patriam fugimus ; tu, Tityre, lentus in umbra,
Formosam resonare dotes Amaryllida silvas.

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Pierre noire, roseraie

De même que nous sommes distribué·e·s en ce monde, chacun·e quelque part, en quelque lieu, en quelque temps, puis rapatrié·e·s d’où nous venons, mais pas exactement d’où nous venons et pas tous ni toutes au même endroit ou au même envers, après avoir distribué mes PostIt dans la ville, à mesure que je vois qu’ils n’y sont plus je les rapatrie ici – sinon tous, du moins certains.

postit 28,Pour l’histoire de celui-ci, voir la note d’hier

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postit 27Celui-ci est resté plusieurs jours en place, sur cette pierre autour de laquelle il y a toujours beaucoup de monde.

postit 27,

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Seule
Une statue
Sait où porter
Son pas
Lorsqu’elle décide
De fuir le jardin.

Issa Makhlouf

(trad. N. el-Hazan, A. Laabi, J. E. Bencheikh, éd. José Corti)

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Femme noire. Hommage à Naomi Musenga

naomi musenga*

Je dédie cette note à Naomi Musenga, à laquelle je pense nuit et jour depuis que j’ai appris sa mort, depuis que j’ai compris que le racisme l’a tuée, depuis que je vois que le racisme ordinaire continue à l’assassiner en refusant de reconnaître qu’il l’a assassinée.

Je dédie cette note à Naomi Musenga et à sa famille, bafouée par l’hôpital après son décès.

Je dédie cette note à l’esprit plein de vie de Naomi Musenga, qu’on a fait taire, et à son corps splendide, qu’on a immobilisé puis laissé pourrir, en totale barbarie.

Nous sommes un seul poète, et les vers de Léopold Sédar Senghor sont aussi les miens, pour Naomi Musenga et pour toutes les femmes noires, femmes royales dont j’admire le courage, la noblesse, la vitalité, la beauté, la joie, l’amour, et que j’aime.

 

Planteurs de signes dans les bois

L’un s’appelle Joachim Martin, l’autre Liam Emmery.

Le premier, menuisier, a écrit sous forme condensée, en 72 phrases, tout un roman vrai, à la fin du XIXe siècle, sous les lattes des planchers qu’il posait, sachant qu’ils resteraient en place environ un siècle, et que son témoignage ne serait donc lu que cent ans plus tard, au moins. C’est ce qui s’est passé, ainsi que le raconte l’historien qui a découvert cette archive pour le moins singulière, Jacques-Olivier Boudon, professeur à Sorbonne Université, dans cette conférence passionnante donnée à l’École des chartes.

Le second est un garde-forestier irlandais, qui a réalisé dans la forêt de Donegal « un exploit d’ingénieur horticole » en plantant des essences d’arbres qui, en poussant, allaient dessiner une croix celtique au milieu des bois, visible seulement en automne et du ciel. Il est mort avant que son œuvre ne soit visible et découverte par hasard en survolant la zone.

Deux immenses poètes.

 


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Illumination d’une Illumination

Selon Verlaine, Rimbaud aurait souhaité intituler son recueil Illuminations dans son sens anglais : enluminures. Nous nous sommes déjà penchés assez longuement sur ce recueil, la part qu’y a pu prendre Germain Nouveau, et nous en avons déchiffré quelques textes (sans caractère définitif bien entendu), ici. Aujourd’hui, dans le cadre de ma thèse en couleurs, j’ai enluminé, avec notamment nos initiales, un fac-similé du poème traditionnellement édité en fin du recueil (quoiqu’il soit incertain que telle fut la volonté de Rimbaud), Génie – son chef-d’œuvre selon Yves Bonnefoy (il me semble me souvenir que Pierre Brunel le rappelle dans un entretien avec Pierre Kerroc’h sur la vie et l’œuvre du poète)

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genie

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Il est l’affection et le présent puisqu’il a fait la maison ouverte à l’hiver écumeux et à la rumeur de l’été — lui qui a purifié les boissons et les aliments — lui qui est le charme des lieux fuyant et le délice surhumain des stations. — Il est l’affection et l’avenir, la force et l’amour que nous, debout dans les rages et les ennuis, nous voyons passer dans le ciel de tempête et les drapeaux d’extase.
Il est l’amour, mesure parfaite et réinventée, raison merveilleuse et imprévue, et l’éternité : machine aimée des qualités fatales. Nous avons tous eu l’épouvante de sa concession et de la nôtre : ô jouissance de notre santé, élan de nos facultés, affection égoïste et passion pour lui, — lui qui nous aime pour sa vie infinie…
Et nous nous le rappelons et il voyage… Et si l’Adoration s’en va, sonne, sa Promesse, sonne : « Arrière ces superstitions, ces anciens corps, ces ménages et ces âges. C’est cette époque-ci qui a sombré ! »
Il ne s’en ira pas, il ne redescendra pas d’un ciel, il n’accomplira pas la rédemption des colères de femmes et des gaîtés des hommes et de tout ce pêché : car c’est fait, lui étant, et étant aimé.
Ô ses souffles, ses têtes, ses courses ; la terrible célérité de la perfection des formes et de l’action.
Ô fécondité de l’esprit et immensité de l’univers !
Son corps ! Le dégagement rêvé, le brisement de la grâce croisée de violence nouvelle !
Sa vue, sa vue ! tous les agenouillages anciens et les peines relevés à sa suite.
Son jour ! l’abolition de toutes souffrances sonores et mouvantes dans la musique plus intense.
Son pas ! les migrations plus énormes que les anciennes invasions.
Ô Lui et nous ! l’orgueil plus bienveillant que les charités perdues.
Ô monde ! — et le chant clair des malheurs nouveaux !
Il nous a connus tous et nous a tous aimés, sachons, cette nuit d’hiver, de cap en cap, du pôle tumultueux au château, de la foule à la plage, de regards en regards, forces et sentiments las, le héler et le voir, et le renvoyer, et sous les marées et au haut des déserts de neige, suivre ses vues, — ses souffles — son corps, — son jour.

Arthur Rimbaud, « Génie »

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La Harpe éolienne, de Coleridge (passages, dans ma traduction)

(…)

Apesanteur sauvage, oiseaux de Paradis,

Sans se poser planant sur une aile indomptable !

Unique et même vie en nous et hors de nous,

Ralliant tout mouvement et devenant son âme,

Lumière dans le son, sonnant dans la lumière,

Rythme dans la pensée, jouissance partout –

Oh, j’y songe, comment eût-il été possible

De ne pas aimer tout dans un monde si plein ?

Où la brise chantonne, où, calme et muet, l’air

Est sur son instrument Musique ensommeillée.

(…)

Et si, toute animée, la nature n’était

Que formes variantes de harpes organiques,

Frémissantes, pensantes, tandis que les effleure,

Ample et souple, une même intelligente brise,

Âme de chacune autant que Dieu de toutes ?

 
Samuel Taylor Coleridge, La Harpe éolienne (trad. Alina Reyes). Texte original : ici sur wikisource

Mes autres traductions, par langues et par auteurs : ici

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