Israël-Palestine. « Beaucoup de murs et peu de ponts », un reportage de Jacques Duffaut

 

Je donne ici de larges extraits d’un reportage de Jacques Duffaut publié dans le numéro de ce mois d’avril de la revue Messages, du Secours Catholique. L’article dans son entier décrit aussi le travail de plusieurs associations, de diverses origines et confessions, qui œuvrent pour soutenir la population et les efforts de paix.

 

« Je n’ai jamais parlé à un Arabe », dit Samuel, un adolescent de Kfar Shalem, quartier défavorisé de Tel-Aviv. Dans un centre de loisirs juif, Sadaka-Reut, association qui travaille au rapprochement des différentes communautés, a organisé une réunion de préparation à la rencontre de jeunes Juifs avec de jeunes Palestiniens d’Israël. Ils sont huit, âgés de 15 et 16 ans, autour d’Ori, animatrice du programme, qui vient de leur demander comment ils perçoivent les jeunes Palestiniens La voisine de Samuel déclare qu’il est difficile d’être ami avec eux à cause « de la guerre qui est en cours ». Un autre encore définit l’Arabe comme « un étranger dans mon pays ». L’espoir de paix entre l’État d’Israël et le peuple palestinien, qu’avait fait naître les accords d’Oslo en 1993, s’est dissipé. Le dialogue est rompu. Les Palestiniens se sentent méprisés. Lors des dernières élections législatives israéliennes, c’est tout juste si les candidats à la Knesset ont abordé la question de la paix. Physiquement mis à l’écart par un mur de béton et par une politique ouvertement discriminatoire, les musulmans et les chrétiens de Cisjordanie se résignent, impuissants, à voir leur territoire progressivement confisqué par les colons dont le nombre continue de croître.

À Hébron, pôle économique du sud de la Cisjordanie, la vieille ville est coupée en deux. 500 colons protégés par 2000 soldats sont installés dans les quartiers autour du tombeau des Patriarches. Pour leur sécurité, une centaine de ruelles et 1500 petits commerces ont été fermés, les portes d’entrée des maisons donnant sur les rues sécurisées ont été condamnées. (…) La visite commence. Un soldat, posté en surplomb de la première ruelle, met en joue les touristes avec son arme pour les intimider. Des caméras surveillent chaque recoin d’immeuble. Un fin grillage horizontal protège les commerçants des jets de pierres des colons qui vivent au-dessus d’eux. Le grillage est jonché d’objets divers mais ne peut pas grand-chose contre les sacs plastique remplis de déjections humaines qui éclatent en tombant. « L’agressivité des colons s’explique par la totale impunité dont ils bénéficient, explique Sandrine. Les enfants de colons d’Hébron, élevés dans l’idée que cette terre leur revient de droit divin, jettent des pierres et des insultes depuis les toits. (…)

L’implantation et la protection des colonies privent les Palestiniens des terres qu’ils cultivaient. Antoinette, 78 ans, (…) en parle avec acrimonie. « Ils nous ont volé toute notre terre, dit-elle, 80% de notre propriété. Nous vivions de nos champs d’oliviers, aujourd’hui nous achetons l’huile. Le mur accapare les terres et rejette les hommes. » Un long ruban de béton de 13 mètres de haut encercle sa maison. Depuis 2003, les fenêtres des chambres donnent sur ce mur gris. (…)

Débutée après la seconde Intifada (2000-2002), la construction du mur se poursuit. Pour le franchir, les Palestiniens doivent obtenir une autorisation. Un permis de travail, par exemple. Ceux qui en bénéficient se lèvent très tôt pour faire la queue aux check-points, attendre des heures, accepter une fouille au corps, répondre aux questions. Le mur sépare les troupeaux des pâturages, les familles, les voisins, les amis. Et aussi les couples. « C’est une technique pour diviser, rendre la vie impossible, faire partir », explique Hadil Nasser (…)

Les habitants de Jérusalem-Est, territoire palestinien occupé, se sentent menacés par la confiscation de leurs biens. Dans plusieurs quartiers et depuis plusieurs années, des projets d’extension des colonies servent de prétexte à la confiscation ou à la démolition des maisons des Palestiniens. Dans ce dernier cas, les propriétaires doivent démolir eux-mêmes leur maison ou payer une somme exorbitante l’intervention israélienne. (…)

La population arabe croît sur des territoires qui rétrécissent. (…) Tout jeune Palestinien de Cisjordanie est susceptible d’être arrêté par l’armée ou la police israélienne à tout moment, surtout s’il est étudiant et membre d’un parti politique. L’appartenance à un groupe politique palestinien est puni de deux à trois ans de prison. C’est le cas d’Ismaël, 22 ans, arrêté il y a un an et demi alors qu’il était en seconde année de droit. Interrogé pendant cinquante jours, il n’a pu recevoir aucun soutien de l’extérieur. Son père, journaliste au quotidien palestinien Al-Quds (Jérusalem en arabe), raconte qu’il a passé ces journées d’interrogatoire dans une cellule d’un mètre carré. En attendant son jugement, il n’a le droit ni d’écrire ni de recevoir du courrier, ni de poursuivre ses études.

À Jérusalem-Est, l’éducation des enfants est une des premières préoccupations des Palestiniens. Les écoles ont peu de moyens et les classes sont surchargées. Les manuels d’histoire, sous le contrôle du ministère israélien de l’éducation, font l’impasse sur le passé des Palestiniens. La plupart des élèves ignorent pourquoi ils ne peuvent pas vivre comme les Israéliens de leur âge. Ils sont nombreux à décrocher, souvent poussés par la nécessité de travailler tôt pour rapporter un peu d’argent au foyer. (…) Avant 1967 (année de l’annexion de Jérusalem par Israël), il y avait 165 écoles à Jérusalem. Depuis lors, la population a triplé et la municipalité dirigée par les Israéliens n’autorise plus l’ouverture de nouvelles écoles palestiniennes. Celles qui existaient sont devenues surpeuplées, l’éducation s’est dégradée et le décrochage scolaire s’est amplifié. (…)

La désespérance trouve également refuge dans les drogues. (…) La toxicomanie est souvent contractée en détention. Comme l’indique Abdallah, Palestinien de 32 ans en désintoxication, marié, trois enfants, « il y a plus de drogue en prison que dehors ». De là à conclure que la drogue est un autre moyen d’affaiblir la jeune génération palestinienne, il n’y a qu’un pas que de nombreux observateurs franchissent. (…)

Le mur est aussi un obstacle infranchissable en cas d’urgence. Il faut une autorisation. Du côté israélien, les patients juifs ont la priorité. Nombreux sont les drames provoqués par les check-points. À Jérusalem, le principal hôpital catholique de la ville est l’hôpital Saint-Joseph. Créé en 1956…, il répondait aux besoins des 10 000 chrétiens d’alors. Aujourd’hui, ceux-ci ne sont plus que 1500. (…)

Les moyens de sécurité à Jérusalem impressionnent. Les ruelles de la vieille ville sont hérissées de caméras, des patrouilles quadrillent tous les quartiers, les colons sont autorisés à porter une arme automatique pour se défendre. Ces moyens rendent permanent l’état de guerre dans les esprits. Des associations interconfessionnelles refusent cette situation. (…) Daniela Yoel…, Israélienne née en Palestine avant la création de l’État d’Israël, condamne les violations des droits de l’homme dans un pays où les journaux s’indignent qu’un juge israélien ait giflé son fils, tandis que la presse passe sous silence l’adolescent palestinien de 14 ans attaché par la police israélienne, les mains dans le dos, toute une nuit à un arbre. Cette femme très religieuse dit aussi : « Chacun a été créé à l’image de Dieu et tous ont les mêmes droits ».

Que fleurissent cent Bab al-Shams, par Bradley Burston

le camp de Bab al-Shams vendredi dernier, photo Olivier Fitoussi

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Un acte de non-violence est un fusible qui joue le rôle d’une bombe. Si l’acte de non-violence est assez créatif, approprié, résonnant et choquant, et par conséquent assez dangereux, il fera ce que nulle bombe ne peut faire : changer les choses en mieux. Persuader. Exposer le mensonge au menteur. Et conduire un homme comme Benjamin Netanyahou à la panique.

Vendredi, près d’une centaine d’hommes, de femmes et d’enfants, ont dressé des tentes sur un terrain appartenant à des Palestiniens, dans le morceau de Cisjordanie appelé E1, un champ de mines politique et diplomatique où Netanyahou a promis de construire, alors que Washington l’a averti de n’en rien faire. Un nouveau nom a été donné à l’endroit : Bab al-Shams, la Porte du Soleil.

Les Palestiniens qui ont planté les tentes ont été explicites en nommant village leur campement sur un promontoire rocheux. Mais la façon dont ils l’ont fondé n’a fait que rendre trop clair aux Israéliens ce qu’il était aussi : un ma’ahaz, un avant-poste colonial, ni plus ni moins illégal que les dizaines et les dizaines de fermes voyous, de campements, de cabanes grossières et de proto-banlieues dont les colons israéliens ont jalonné la Cisjordanie et Jérusalem-Est.

Nous le savons dans nos os, Israéliens et Palestiniens sont un. C’est ainsi que le mouvement de colonisation a commencé. C’est ainsi qu’il se développe. C’est le moteur même de l’occupation. C’est le cœur et la main de la bête.

La fondation de Bab al-Shams fut géniale. Et personne ne le comprit mieux que Netanyahou. Le campement a envoyé un message qui était clair, perçant, et entièrement non-violent. La preuve : Netanyahou dit qu’il fallait le détruire immédiatement.

Il fallait le détruire, en dépit d’un ordre de la Haute Cour qui parut donner aux nouveaux villageois six jours pour rester sur le site. Mais dans une réinterprétation singulièrement contemporaine de la Naqba, la police annonça que l’ordre s’appliquait seulement aux tentes. Quant aux gens, on pouvait les retirer.  Au milieu de la nuit.

Si désespéré était le besoin de détruire ça rapidement, que le chef de la division de la Haute Cour du ministère de la Justice a dû reprendre du service samedi à minuit, pour signer une déclaration à la cour, disant: « il y a une nécessité de sécurité urgente d’évacuer la zone des personnes et des tentes ».

Le gouvernement a aussi encoyé une note cachetée à la cour, contenant davantage d’ « information de sécurité » – classée Secret, et pour cette raison gardée cachée au public – justifiant la nécessité de donner l’ordre de détacher immédiatement cinq cents policiers.

Mais tout le monde ici connaissait déjà le secret.

Bab al-Shams devait être détruite parce qu’elle combattait des faits sur le terrain avec des faits sur le terrain. Elle devait être détruite pour la même raison que cent similaires, manifestement illégaux avant-postes israéliens en Cisjordanie sont choyés, honorés par les visites de ministres, et rendus permanents avec l’apport de l’État en électricité, eau, routes d’accès, protection de la sécurité et permis de rénovation.

Bab al-Shams n’a pas seulement touché un nerf. Bab al-Shams a dû être détruite parce que là où l’occupation est en jeu, c’est le système nerveux central qui est touché.

En entrant dans le bureau de vote la semaine prochaine, je prendrai un petit morceau de Bab al-Shams avec moi ; mon respect et mon admiration pour les gens qui ne peuvent pas voter à cette élection, mais dont chacun a lancé un extraordinairement puissant bulletin de propriétaire absent dans les tentes où ils se sont déposés eux-mêmes, à E1.

Ils se battent contre le gouvernement de Netanyahou avec la seule arme contre laquelle le gouvernement est sans défense : l’espoir. L’espoir est le pire ennemi de ce gouvernement, de loin plus menaçant que l’Iran.

Pendant des années et des années on nous a appris à croire que l’occupation était irréversible, inattaquable, si permanente qu’il n’y avait pas d’occupation, seulement cet Israël qui est aussi nôtre – comme son premier ministre, aigre, anxieux, enflé, contradictoire… mais Nôtre. On nous a dit que croire à travers les colons et leurs champions dans des endroits comme Ra’anana. Qu’il ne pouvait y avoir deux États, un pour les Israéliens et un pour les Palestiniens. Que nous, les Juifs, avions toujours été et resterions à Jérusalem-Est et en Cisjordanie, toujours et à jamais.

Il s’avère, cependant, que d’autres gens, aux sommets d’autres collines, des Palestiniens, ont autre chose à nous apprendre. Puissent-ils réussir.

Le jour des élections la semaine prochaine, et quelque soit l’avenir dans lequel ce jour nous propulsera, je prendrai un petit morceau de leur espoir avec moi. Je prendrai de la force dans leurs mots à la fondation du village qui – comme son homonyme, le roman épique de l’histoire palestinienne d’Élias Khoury – existe à la fois seulement dans l’imagination et dans une profonde, inattaquable réalité :

« Nous le peuple, sans autorisation de l’occupation, sans autorisation de personne, sommes assis ici aujourd’hui parce que ce pays est notre pays, et c’est notre droit d’y habiter. »

Que fleurissent cent Bab al-Shams. Un avant-poste pour un avant-poste. Un œil aveugle pour un œil aveugle. Une moquerie pour une moquerie. C’est ce que notre peuple au sommet des collines appelle une réponse appropriée au sionisme.

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traduction d’un texte paru dans Haaretz le 15 janvier 2013

Et du même auteur, sur ce site, ma traduction de sa prière pour les enfants de Gaza.

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Appel à l’aide des Rohingyas à la communauté internationale

 

Traduction d’un appel paru aujourd’hui sur Globalia Magazine :

Après la violence meurtrière de juin 2012 dans l’Arakan, la situation en terme de droits humains des Rohingyas a dégénéré en histoire de « morts et mourants ». Des expéditions génocidaires et d’extermination sont menées contre eux jour après jour. Viols, meurtres, arrestations arbitraires, pillages, extorsions, atrocités criminelles, faim et maladies persistent et s’étendent. Leurs villages brûlés et dépeuplés sont peuplés par des colons bouddhistes chaleureusement invités de l’intérieur du pays [Birmanie] et du Bangladesh. Tels sont les principaux « facteurs d’incitation » qui poussent les Rohingyas à migrer vers les pays voisins, ce dont le gouvernement birman et le Parti de Développement des Nationalités Rakhine (RNDP), avec le Dr Aye, sont pleinement responsables.

La plupart des Rohingyas, y compris les quelque 140 000 déplacés pendant le carnage, n’ont rien à manger et nulle part où aller, et sont en train de mourir de faim, de malnutrition et de maladies. Les aides humanitaires pour les camps et les zones de Rohingyas déplacés ont été systématiquement bloquées par l’administration locale dominée par le RNDP, avec des bandes organisées de bouddhistes rakhines et les forces de sécurité. Fait quasiment sans précédent, quelque 50 bassins d’eau potable des villages rohingyas ont été empoisonnés par les bouddhistes rakhine et les forces de sécurité.

Les enfants rohingyas ne disposent d’aucune école ni madrassa pour leur éducation, dans les villages et les camps de déplacés. La plupart des mosquées restent fermées, et les prières funéraires pour les personnes décédées sont interdites sans paiement. Des villageois et des Maulvis (religieux) ont été torturés pour avoir exécuté des services funéraires. À Shweza, village de Maungdaw, l’officier de renseignements Nasaka Aug Naing, avant-poste n°14 section 6, extorque entre 10 000 et 25 000 kyats pour chaque enterrement.

Les forces de sécurité Nasaka mènent des enquêtes sporadiques pour forcer les villageois rohingyas à écrire, contre leur volonté, qu’ils sont de race « Bengali » au lieu de « Rohingya ». Certains ont été arrêtés ou torturés pour s’être opposés à cette dictée ; d’autres se sont enfuis.

Depuis juin 2012, environ 13 000 Rohingyas ont fait de périlleux voyages vers la Malaisie, et plus de 500 boat people ont disparu ou se sont noyés après le naufrage de plusieurs bateaux ; d’autres ont fini en prison ou en détention dans les pays de la région. Au cours de ces dernières semaines, les forces de sécurité thaïlandaises ont secouru 773 Rohingyas assiégés dans la province de Songkhla, tandis qu’un autre groupe de 73 rescapés rohingyas se retrouve sous la menace d’un renvoi en Birmanie, où ils sont affrontés à la persécution. Les boat people tombent souvent aux mains de trafiquants d’êtres humains, qui les vendent comme esclaves pour 60 à 70 000 bhats (1975 à 2304 $) par personne, en particulier à l’industrie de la pêche.

Les tragédies des Rohingyas et le désastre des boat people ont échappé à tout contrôle, causant un grave problème régional, et en perspective international. Fondamentalement, le problème rohingya doit être résolu en Birmanie, mais il n’y a aucun changement d’attitude du gouvernement hybride, civil-militaire, envers eux. En l’absence d’une protection nationale, la responsabilité de leur protection revient à la communauté internationale.

Par conséquent, nous demandons aux Nations-Unies et à ses membres du Conseil de sécurité d’envoyer des forces de paix de l’ONU dans l’Arakan pour protéger les Rohingyas sans défense ; et de constituer une commission de l’ONU chargée d’enquêter sur les crimes internationaux commis contre les Rohingyas, et d’amener leurs auteurs devant la justice.

Pour plus d’informations, veuillez contacter :

Nurul Islam: + 44 07947854652 Aman Ullah + 880 1558486910 Email: [email protected] www.rohingya.org

 

Oui à l’harmonie interconfessionnelle, par le Grand mufti d’Égypte Ali Gomaa

 

Le début d’une nouvelle année nous donne l’occasion d’engager une sérieuse introspection, pour tenir compte de nous-mêmes et des communautés dans lesquelles nous vivons. C’est un besoin particulièrement pressant dans le contexte de l’Égypte contemporaine, qui continue de traverser une période sensible de transition. Les événements de l’année passée, et même des deux dernières années, soulignent l’absolue nécessité de maintenir l’unité nationale dans notre pays bien-aimé. D’âpres débats politiques ne doivent pas nous détourner de cet impératif primordial.

Peut-être la question la plus importante qui doit être abordée en Égypte aujourd’hui est-elle la promotion de l’harmonie interreligieuse. Ce n’est pas un secret que nos frères et sœurs chrétiens ont eu parfois à se sentir mal à l’aise, dans une période instable. C’est pourquoi j’ai fait un effort particulier, durant cette période de Noël, pour féliciter publiquement toutes les églises chrétiennes d’Égypte pendant leurs jours de fête. Dans un communiqué, j’ai prié pour que l’esprit des fêtes religieuses prévale, et que tous les citoyens du pays – de fait, tous les citoyens du monde – renforcent leur détermination à œuvrer pour la propagation de l’amour, de la paix sur Terre, de la bonne volonté et de la fraternité de tous.

J’ai aussi profité de l’occasion pour préciser que le fait de présenter des vœux aux chrétiens pour la naissance du Prophète Jésus (la paix soit sur lui) est en vérité une action louable et encouragée dans l’Islam, car c’est l’expression verbale d’un désir de promouvoir des relations pacifiques et harmonieuses entre voisins, concitoyens et frères et sœurs en humanité. En effet, les naissances des prophètes sont des événements historiques marquants. Elles représentent une soudaine floraison d’hommes divinement inspirés, qui viennent sur Terre précher la paix et la sécurité, et répandre un message de bonheur et de guidance à l’humanité dans son ensemble. Ainsi que je l’ai prié à l’occasion de Noël, « j’implore Dieu d’augmenter notre précieuse Égypte en sentiment fraternel, amour, relations solides et bonté, et de garder notre terre bénie comme un symbole de paix et de sécurité à jamais. »

Puis j’ai souligné l’importance pour tous les citoyens de prendre part aux occasions de fête les uns des autres en leur présentant leurs vœux et en les félicitant, car nous sommes aujourd’hui dans un besoin urgent de répandre des sentiments de fraternité et d’unité nationale, et de lutte contre les divisions. Musulmans et chrétiens sont pareillement encouragés à transformer des sentiments de solidarité en une vraie unité dans la recherche du bien-être pour l’Égypte, et non dans des buts d’avancement individuel ou d’intérêt sectaire. Il est crucial que nous puissions laisser aux futures générations une culture pluraliste et humaine, fondée sur la vraie foi, un engagement pour la justice et l’amour entre les peuples de ce grand pays.

 

 

La crainte de la division est aussi ce qui doit nous inciter à rejeter les appels à imiter d’autres sociétés et cultures. Récemment, il y a eu des appels à instituer un comité pour la « promotion de la vertu et la prévention du vice ». Certains craignent que cela ne revienne à un peu plus qu’une police morale, qui exerce une autorité illégitime pour forcer les gens à adopter les comportements qu’ils ont estimé les plus appropriés. Mais l’Égypte est une société complexe. Ici rivalisent différentes visions de la religion et de la vie bonne. Alors que bien sûr nous respectons les limites de notre culture et de notre héritage, c’est précisément notre héritage qui reconnaît cela [le comité de promotion de la vertu…] comme une imposition étrangère sur notre culture et notre mode de vie. Cette sorte d’idée idiote est de celles qui cherchent à déstabiliser plus encore ce qui est déjà une situation tendue. Les savants religieux d’Égypte ont longtemps guidé les gens dans les voies conformes à leurs engagements religieux, mais n’ont jamais estimé que cela nécessitait quelque type que ce soit de police invasive.

En outre, ces savants auto-proclamés et amateurs non formés qui prétendent émettre des fatwas, ne doivent pas être considérés comme des savants authentiques. Leurs fatwas sont plutôt des déclarations non fondées sur la science, mais sur leurs caprices et désirs ; et elles n’ont aucun poids dans la science juridique de la fatwa. C’est un abus de langage d’employer le terme fatwa pour ces opinions non savantes, qui vont à l’encontre à la fois des principes de la Sharia et de la science établie de fatwas, qui toutes deux insistent sur les qualifications académiques des mufti impliqués.

La tradition religieuse de l’Égypte est ancrée dans une vision modérée et tolérante de l’Islam. Nous croyons que la loi islamique garantit la liberté de conscience et d’expression, dans les limites de la décence ordinaire et de l’égalité des droits pour les femmes. Et en tant que représentant pour l’Égypte de la jurisprudence islamique, je maintiens que l’établissement religieux est attaché à ces valeurs.

Le paradigme de ces sages érudits est au mieux représenté par l’Université Al-Azhar, dont la tradition humaine d’apprentissage et de service demeure la seule sauvegarde pour une Égypte tolérante et modérée.

La promotion de l’harmonie fut la première leçon des grands prophètes qui nous ont laissé de nobles valeurs et des principes pérennes pour vivre ensemble dans la coopération, en tant qu’êtres humains. C’est maintenant à nous de prendre cet exemple au sérieux et de nous abstenir de l’inutile division, pour le bien de notre pays. Toute tentative de semer la discorde entre les gens de ce pays doit être combattue dans les termes les plus fermes possible. Je n’ai aucun doute que les forces qui  cherchent à diviser les Musulmans égyptiens et les Chrétiens égyptiens – et les Musulmans et Chrétiens égyptiens entre eux – finiront par échouer. L’Égypte a été un symbole de coexistence pendant des siècles, et continuera à l’être, par la grâce de Dieu. L’Islam aura une place dans la démocratie égyptienne. Mais ce sera comme pilier de tolérance et d’harmonie, jamais comme moyen d’oppression.

traduit d’un article paru sur Reuters le 8 janvier 2013

également sur le site de l’auteur

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Rendre aux enfants de Gaza et de tout le pays la source

photo Alaa Badarneh

 

Voici, dans ma traduction, Une prière juive pour les enfants de Gaza, par Bradley Burston. Qui écrivit aussi, dans A special place in hell : « Le fait est qu’Israël, plus peut-être que les Palestiniens, a besoin d’un Gandhi », en dénonçant le fait que de part et d’autre, par machisme, l’action non-violente est trop souvent vue comme indigne d’un homme.

S’il fut jamais un temps pour prier, c’est bien ce temps.

S’il fut jamais un lieu abandonné, Gaza est ce lieu.

Seigneur qui es le créateur de tous les enfants, écoute notre prière en ce jour maudit. Dieu que nous appelons Béni, tourne ta face vers eux, les enfants de Gaza, qu’ils connaissent tes bénédictions, et ta protection, qu’ils connaissent lumière et chaleur, où il n’y a maintenant qu’obscurité et brouillard, et un froid qui coupe et serre la peau.

Tout-Puissant qui fait des exceptions, que nous appelons miracles, fais une exception pour les enfants de Gaza. Fais-leur rempart de nous et des leurs. Épargne-les. Guéris-les. Garde-les sains et saufs. Délivre-les de nous, et des leurs.

Restaure leurs enfances volées, leur droit de naissance, qui est un goût du paradis.

Rappelle-nous, ô Seigneur, l’enfant Ismaël, qui est le père de tous les enfants de Gaza. Comment l’enfant Ismël fut sans eau et laissé pour mort dans le désert de Beer-Sheba, si privé de tout espoir que sa propre mère ne put supporter de voir sa vie s’enfuir.

Sois ce Seigneur, le Dieu de notre parent Ismaël, qui entendit ses pleurs et envoya Son ange réconforter sa mère Hagar.

Sois ce Seigneur, qui fut avec Ismaël en ce jour, et tous les jours d’après. Sois ce Seigneur, le Tout-Miséricordieux, qui ouvrit les yeux d’Hagar en ce jour, et lui montra la source d’eau, qu’elle puisse donner à boire à l’enfant Ismaël, et sauver sa vie.

Allah, que nous appelons Élohim, qui donnes la vie, qui connais la valeur et la fragilité de toute vie, envoie à ces enfants tes anges. Sauve-les, les enfants de ce lieu, Gaza la plus belle, et Gaza la damnée.

En ce jour où la trépidation, la rage et le deuil qu’on appelle guerre, saisissent nos cœurs et les rapiècent de cicatrices, nous te prions, Seigneur dont le nom est Paix :

Bénis ces enfants, et garde-les de tout mal.

Tourne ta face vers eux, ô Seigneur. Montre-leur, comme si c’était la première fois, lumière et bonté, et submergeante grâce.

Cherche-les du regard, ô Seigneur. Laisse-les voir ta face.

Et, comme si c’était la première fois, donne-leur la paix.

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Le sang vivant vaut mieux que le sang mort. Le sang vivant est notre cœur et notre intelligence. Il est plus difficile de les rendre assez inventifs pour mener et gagner le combat, mais il ne faut pas voir peur du plus difficile. Il faut chercher des voies qui préservent la vie, autant que possible. D’autres l’ont fait, n’en serions-nous plus capables, hommes du XXIème siècle ?

Je ne crois pas que la Palestine s’en sortira par la guerilla, sinon elle en serait déjà sortie, depuis le temps. Et je ne crois pas non plus que la Palestine ni les autres pays de la région ou du monde aient intérêt à se mettre entre les mains  de n’importe quels combattants armés qui leur promettent la libération et ensuite les asservissent pendant des décennies, comme on l’a vu dans un passé récent et comme on risque de le voir de nouveau sous d’autres formes et étiquettes. S’il n’y a pas de recette miracle pour s’en sortir, le mieux n’est-il pas de renforcer les liens entre toutes les bonnes volontés de tous bords, sur le terrain des différents côtés et dans le reste du monde, afin de faire évoluer les mentalités et donc la situation ? C’est un long travail, mais certains y sont, et il faut le renforcer jusqu’à ce qu’il aboutisse, voilà ce que je crois.

Israël réclame le droit de vivre en paix. Mais nul oppresseur ne peut réclamer ce droit. Tant qu’Israël continuera à coloniser, piller les terres, piller l’eau, emprisonner les Palestiniens derrière des murs, des frontières infranchissables, des check-point interminables, il ne peut pas demander à ce qu’on le laisse vivre en paix. C’est tout simplement impossible. Rien ne s’arrangera tant qu’il n’aura pas changé complètement de politique. Deux États dans un premier temps, puis leur réunion en un seul, un État pour tous les Palestiniens quelle que soit leur origine et leur confession. Un État digne de ce nom. Pour les enfants de tout le pays, notre pays commun, notre patrimoine mondial, notre patrie universelle, nous devons tous œuvrer pour un État unifié, pacifié.

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La longue route de Patti Smith


Photo Patti Smith (et d’autres ici)

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Toute la presse parle de son dernier album, « lumineux« . Je suis formée aussi par la mystique de cette mouvance… La très belle et multiforme oeuvre de Patti Smith, entre autres, n’est-elle pas la preuve de la profondeur de cette spiritualité de son époque, qui peu à peu se décante ? Et voici aussi de la même artiste un poème, traduit par Jacques Darras et paru aux éditions Bourgois (d’autres aussi ici)

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Nous marchions dans nos manteaux noirs,
balayant le temps, balayant le temps,
dormant dans des âtres abandonnés,
les quittant pour affronter la pluie.
Trempés, crottés, un peu fous,
pataugeant aux ornières, mâchonnant des bulbes,
tellement nous avions faim, tulipes
flamboyantes dans leurs corolles déchiquetées.

Nous nous décorions d’ombellifères,
œuvrant jusqu’à l’épuisement de nos fronts d’élus,
dans le murmure de la piste mystérieusement reconnue,
une pluie qui n’était pas la pluie, des larmes qui n’en étaient pas.

Et le Graal, ô le Graal si proche de nous,
parures d’aluminium habillées de soleil.

Les glaïeuls étaient en fleur, explosaient
par toutes les fentes. Le monde entier
attendait anxieusement que la sainte mère inspecte
nos mentons de cette chanson familière —

Aimez-vous le beurre?
Bon vous aimez le beurre…

puis nous nous arrêtâmes sur une colline jaune absolu.

Montâmes des chevaux, écumâmes des forêts
où d’espiègles fées dansaient sous nos pas.
Des branches se cassèrent contre nos visages.

Notre royaume au-delà d’une clôture maillée…

Luttâmes dans des carrières, marbres lisses,
nous agenouillâmes pour viser des proies en des cercles fervents.

Plantâmes furieusement nos camps,
tentes déchirées par nos piquets,
balafrées par la lame de nos couteaux de poche —
petits renards jaugeant la dureté du sol,
maudissant les basses terres de nous avoir fait si mous.

Moissonnâmes du seigle, en emplîmes des sacs, fîmes des oreillers
pour nos hommes. Essorâmes le sang de nos couches trempées,
couvrîmes les têtes décapitées des martyrs, épaulâmes
les seaux pleins à ras bord,
ne vîmes rien vîmes tout.

Chevauchâmes l’échine de la grande ourse, plongeant nos louches
dans la liqueur laiteuse étendue tel un lac blanc devant nous.

Nos vaisseaux arboraient des obscénités griffonnées
sur les voiles en parchemin, flottant au fil de rivières illettrées
retournées en mares de sang d’eau de pluie croupissante.

Soufflâmes nos chants d’éloge dans la corne d’animaux sacrés —
lazzi, confessions, prières adolescentes
tissées en tapisseries de jardins cloîtrés.

Finies les mères pour nous désormais, inventant liens infinitésimaux,
vœux éruptant dans un surcroît de violence sans rien maudire
que le fait d’être nés — notre allégeance au mouvement,
aux révolutions des étoiles.

Une lumière bleue émanait du sommet d’un être
que nous ne pouvions plus nommer. Gravîmes les degrés
menant à un ciel plus bleu balafré de fanions,
vent saignant. Goûtâmes le spectacle.
Puis tout disparut, mais nous n’étions plus là.

Avions un rayonnement nouveau. La rosée
gouttait à nos nez. Arborions peau brillante,
la quittant sans un soupir. Certains levaient leurs lanternes.
D’autres paraissaient aller dans leur lumière propre.

Montagnes enflammées qui n’en étaient pas,à l’horizon…

Approchant toujours plus, tombâmes sur des masses de grands manteaux
abandonnés par l’amirauté, pourpre royale déposée,
médailles d’honneur, bottes réglementaires en cuir de langue de chien,
bons de papier, peaux de bêtes, hermine et mouton portés par gens
de haut rang, princes et pilotes, mages et mystiques.

Nul rang n’ayant, choisîmes chiffons vifs cousus par des aveugles.
Étant d’un pays d’orbites. Vides.
Quoiqu’on eût trouvé tous les espoirs d’enfant à l’intérieur —
nos propres chères histoires, nos propres chères vies,
taillées dans l’étoffe de la lutte extatique.

Le jour où nous sûmes que nous allions partir, bondîmes
dans nos manteaux consacrés. Eussions pu marcher à l’infini
si telle ou telle autre chose ne nous avait tirés par nos manches amidonnées.

Brisant le cœur de nos mères nous devînmes nous-mêmes.
Nous mîmes à respirer et fûmes sur le départ,
Ivres, étonnés, chacun de nous un dieu.

À présent tu éteins la lumière.
Presses la mèche avec ton pouce.
Si ça colle, tu vas te brûler.
Si elle pète sec, tu te changeras
en rayon qui s’éteindra
avec la nuit en un rêve
parsemé de pacotille.

Vîmes les yeux de Ravel, cernés de bleu, clignant
deux fois. Entonnâmes des arias de notre cru, nullités psalmodiant
de vieux blues parlant de sol divin et de chaussures mortelles,
d’infanteries oubliées, de distances jamais vues en rêve —
pas plus loin que colline humaine, fîmes demi-tour à cause de soldats de plomb
stationnés dans les plis d’une couverture, à distance de main fraternelle,
d’ordre paternel, de sommeil —

…la longue route mes amis

Éclosâmes de nos chrysalides en pleine nuit,
ciel charbonneux alors d’étoiles qu’on ne voit plus.
Croyance d’enfant brodée sur des mouchoirs —

Dieu ne nous abandonne pas
nous sommes son seul savoir.
Nous ne devons pas l’abandonner
il est nous-même
l’éther de nos actes.

Le routard appelle, à la porte du temps, à la porte du temps.
Nous dormons. Faisons projet, doigts sur la vibrante corde.
Joyeusement lucides, nous recommençons.