Politique du voilement : ces musulmans qui font du saint Paul

L'autre jour à la Butte aux cailles, photo Alina Reyes

L’autre jour à la Butte aux cailles, photo Alina Reyes

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Entendu ce midi sur France Culture un membre du CFCM (Conseil Français du Culte Musulman) déclarer que le voile est une prescription religieuse qui figure dans le Coran. C’est faux. Pas une seule fois le mot « cheveux » ne se trouve dans le Coran, qui prescrit seulement aux femmes de rabattre leur manteau sur leur poitrine quand elles sont dehors (ce qui permettait de les distinguer des prostituées). La vérité est que le voile est une tradition, non une prescription religieuse, du moins dans l’islam. Le voile est une prescription religieuse dans le christianisme, selon saint Paul qui voulait restreindre drastiquement les droits des femmes et les soumettre étroitement à leurs maris. Pas dans l’islam. Pas dans le Coran, en tout cas. Et je suis en colère que des musulmans fassent mentir le Coran et le déshonorent en lui prêtant de basses intentions, qui ne sont que celles des sociétés patriarcales du pourtour méditerranéen.

Que des femmes se voilent si elles le veulent, mais en connaissance de cause, et non parce qu’on leur aura asséné que le Coran, la parole de Dieu, l’exige. L’islam est moins sexiste que saint Paul. Et voici que les hommes en font, contre son essence même, une des religions les plus discriminatoires à l’encontre des femmes. Les grands textes s’échinent à élever et libérer l’homme, les hommes s’échinent à le rabaisser, le mortifier, le soumettre.

Sans perdre mon esprit d’enquêtrice, tout en adhérant sincèrement au meilleur du catholicisme puis de l’islam j’ai pu approcher les fidèles de l’une et l’autre religion et comprendre comment ils vivaient leur religion. Malheureusement ce que j’ai trop rencontré chez les uns et les autres c’est l’obsession sexuelle malsaine, la fermeture, le déni, le mensonge, le mal-être voire une détresse souvent prête à se changer en violence. La violence politique du christianisme a fait des ravages immenses et énormes depuis des siècles. La violence politique de l’islam, dite islamisme, est aussi une conséquence des violences subies par les fidèles, soit au sein de leur communauté ou de leur famille, soit de la part d’une autre communauté ou d’autres nations, comme ce fut le cas pendant la colonisation et comme cela le reste avec les guerres capitalistes menées au Moyen Orient.

On n’avancera pas dans ce problème en le prenant par le petit bout du voile, mais en distinguant clairement dans ce tissu ce qui est tissé de tradition voire de religiosité et ce qui est tissé de politique, de guerre. On se trompe en faisant porter le débat sur la laïcité. La laïcité doit s’accommoder de toutes les religions et de tous les signes religieux. Sous le générique « voile », il faut distinguer ce qui est quasiment une simple superstition, comme le port d’une croix pour les chrétiens, et ce qui n’est plus un signe religieux mais l’étendard d’une politique : niqabs, burqas et autres abayas sombres à la saoudienne. Ces étendards-là ne sont plus du tout de la religion, que les femmes qui les portent en soient conscientes ou non. Ils adressent un message destructeur à l’intérieur d’une société, d’autant plus que cette dernière subit régulièrement les attentats de cet islamisme. C’est sur ces signes-là, et non sur le simple hijab, foulard ou turban, qu’il faudrait s’interroger d’un point de vue citoyen. Toute activité publique, a fortiori tout accompagnement ou garde d’enfants, ne devraient-ils pas être préservés de ce genre de propagande ambulante, comme l’enseignement, par exemple, doit être gardé indemne de la publicité ? Le meilleur argument contre ce genre d’uniforme reste celui du nécessaire respect réciproque entre les différentes composantes de la société, du moins quand elles se retrouvent dans une activité publique. Aux non-musulmans d’accepter les traditions des musulmans dans la mesure où elles n’ont rien de plus agressif qu’une croix, qu’une kippa, qu’un turban sikh, etc. ; et aux musulmans d’accepter de ne pas s’imposer, du moins dans ces circonstances d’activités publiques, en tenues islamistes, de ne pas se poser en étendard de valeurs contraires à la démocratie, à la république et à son principe d’égalité entre hommes et femmes.

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Exode 15, 1-21 (ma traduction)

Myriam danse,Poursuivi par Pharaon, le peuple guidé par Moïse a franchi la mer Rouge, mer du Roseau – que j’ai appelée aussi mer du Parler, parce que les roseaux parlent. Pharaon et ses armées sont engloutis, un chant de joie s’élève.

1. Alors auront, eurent à chanter Moïse et les fils d’Israël ce chant via le Seigneur. Ils dirent via dire :

« Que je chante via le Seigneur !

il est monté, il est monté,

cheval et cavalier dans la mer il a jetés !

2. Ma force, un chant, Yah ! Via lui il fut, mon salut !

Lui, mon Dieu, je le louange, Dieu de mon père, je l’exalte !

3. Le Seigneur est un guerrier, Seigneur est son nom !

4. Chars de Pharaon et son armée, dans la mer il les a jetés !

L’élite de ses officiers s’est enfoncée dans la mer du Roseau,

5. les abîmes les couvrent,

ils ont coulé aux profondeurs comme une pierre.

6. Ta droite, Seigneur, magnifique en puissance,

ta droite, Seigneur, brise l’ennemi.

7. Dans la profusion de ta majesté, tu détruis ceux qui se dressent contre toi,

tu envoies le feu de ta colère, il les mange comme du chaume !

8. Au souffle de tes narines, s’avisèrent les eaux,

s’enflèrent comme une digue les ondes,

se figèrent les abîmes dans le cœur de la mer !

9. L’ennemi disait :

Je poursuivrai, j’atteindrai,

je partagerai le butin,

je m’en remplirai l’âme,

je viderai mon épée,

ma main les ruinera !

10. Tu fis souffler dans ton esprit,

la mer les couvrit,

ils sombrèrent comme du plomb

dans les eaux formidables.

11. Qui est comme toi parmi les dieux, Seigneur ?

Qui est comme toi magnifique en sainteté,

terrifiant de gloire,

faisant merveille ?

12. Tu as étendu ta main,

le pays va les engloutir.

13. Tu as dirigé dans ton amour

ce peuple que tu as racheté,

tu l’as conduit par ta puissance

vers ta demeure sainte.

14. Ils ont entendu, les peuples,

ils frémissent !

Une douleur saisit

les habitants de Philistie.

15. Alors sont troublés

les maîtres d’Édom,

les puissants de Moab,

un tremblement les saisit,

ils fondent tous, les habitants de Canaan.

16. Tombent sur eux

épouvante et terreur,

dans la grandeur de ton bras

ils sont muets comme la pierre,

tant que passe ton peuple, Seigneur,

tant que passe ce peuple que tu as acquis.

17. Tu les emmèneras, les planteras

dans la montagne, ta possession,

lieu que tu as créé, Seigneur,

via ta demeure,

sanctuaire, mon Seigneur,

fondé de tes mains !

18. Le Seigneur règne via l’éternité, à jamais. »

19. Car est entré le cheval de Pharaon, son char et son armée, dans la mer, et il a fait retourner sur eux, le Seigneur, les eaux de la mer, et les fils d’Israël ont marché à pied sec au milieu de la mer.

20. Alors Marie, la prophétesse, sœur d’Aaron, prit en sa main un tambourin, et sortirent toutes les femmes à sa suite, dans les tambourins et les danses du pardon.

21. Et Marie leur entonna :

« Chantez via le Seigneur, il est monté, il est monté,

cheval et cavalier à la mer il a jetés ! »

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Sortie de la caverne

al kahf,Ceux qui veulent manipuler les hommes et canaliser l’histoire feraient mieux de savoir que même aliénés, les hommes sont libres, et même violentée, l’histoire va souveraine. Les hommes feraient mieux de se rappeler que nul de leur calcul, nulle de leur action, ne peut les rendre maîtres ni de leurs prochains ni du cours de l’histoire, qui restent imprévisibles. Et que plus ils s’illusionnent sur leur pouvoir, plus leur but peut finalement se retourner contre eux.

Pour en finir avec le jugement dernier

jugement dernier,Suite des méditations pascales de ces jours derniers avec Parménide, Marc, Ovide, Kantor, Artaud, Van Gogh…

« Laisse-les aller, car ils ne voient pas ce qu’ils font » (Luc 23, 34). Ils ne voient (premier sens du verbe grec qui signifie aussi savoir) pas ce qu’ils font parce que, vivant au jour mais aveugles, ils se sont laissé prendre au mensonge, à la propagande. Contrairement à ceux qui font la propagande et le mal délibérément, par calcul caché. Ceux qui ont des yeux qui voient et ont choisi d’occulter le jour de toutes sortes de façons, ceux qui se sont destinés eux-mêmes au lieu où ils ont choisi de vivre : dans les ombres, les limbes, le froid.

Ouvrir la cage, le piège où se sont laissé prendre ceux qui ne savent pas ce qu’ils font, les « laisser aller » (vrai sens du mot grec habituellement traduit par « pardonner »). Car peut-être finiront-ils par voir ce qu’ils ne voyaient pas, comme l’annonce l’Apocalypse (1, 7).

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Évangile selon Marc 16, 8 (commentaire)

ouvrir les cages,

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Des versets ont été ajoutés par la suite, mais à l’origine ce sont les derniers mots de l’évangile de Marc, déroutants puisque contrairement aux autres évangiles ils annoncent que les femmes n’ont pas rapporté l’annonce, que venait de leur faire l’ange, de la résurrection du Christ. En voici ma traduction et mon commentaire.

« Alors elles sortirent et s’enfuirent de la tombe, ayant tremblement et extase ; et ne dirent rien à personne ; car elles étaient effarouchées. »

À lire ce verset, je vois les trois femmes jaillir de la tombe comme trois jeunes oiseaux prenant pour la première fois leur envol du nid, en un instant tout à la fois de frayeur et d’extase. Une traduction rapide dit : « car elles avaient peur ». Mais le sens précis du verbe grec phobeomai c’est « être chassé par la crainte, être mis en fuite », comme le mot phobos signifie « action de faire fuir en effarouchant ». Quelque chose dans le tombeau les a effarouchées pour qu’elles ne restent pas accrochées à ce lieu, qu’elles ne restent pas dans le souvenir (c’est aussi le sens du mot mnéméion, « tombeau »). Trois oiseaux doivent quitter leur nid, se jeter dans la nouvelle vie. C’est une préfiguration de la résurrection, et juste revenues à la vie, comme les nouveau-nés, les enfants (infans, « sans-parler »), elles ne disent rien. Elles parleront une fois arrivées auprès des apôtres, nous disent les autres évangiles. Mais il est aussi possible d’imaginer que leur attitude parle d’elle-même, que le fait d’avoir un temps perdu l’usage de la parole, comme il arriva à Zacharie après avoir lui aussi reçu une annonce d’un ange (l’annonce de la naissance de Jean le Baptiste), que le fait d’être à la fois tremblant et en extase, soit en soi une première façon de parler, de dire que Dieu vient de se manifester, rendant dérisoire la parole humaine. Le corps de Jésus s’est comme « envolé » de la tombe, celui des témoins aussi. Après la résurrection, la vie physique est une vie libérée de la pesanteur.

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