Aurore aux doigts de rose

ce dimanche au Jardin des Plantes, photo Alina Reyes

 

À l’aube, le ciel est entièrement lavé. Entre la mer bleue immobile et le ciel bleu immobile, une ligne blanche scintillante court au long de l’horizon, comme s’il avait été redessiné. Trois îles sont toutes proches.

Les marins viennent de lever les ancres, le bateau repart. Des planchers encore mouillés monte une forte odeur de sel. La révélation vient, grand voilier aux ailes de lumière crevant l’encre noire du monde. Le soleil levant peint le ciel d’un doux et puissant turquoise, strié de nuées rose doré, très lumineuses.

Enveloppée dans son voile et frissonnant dans la fraîcheur, Marie passe au milieu des corps encore endormis ou couchés, et rejoint la proue.

(extrait de Voyage, mille et une pages bientôt réécrites avec et pour l’islam, où je suis passée)

 

Je suis musulmane

à Sainte-Sophie, photo Alina Reyes

 

Sainte-Sophie est le lieu où, lors de mon tout premier voyage, à l’âge de dix-sept ans, loin de mon pays et de ma famille, j’ai connu, seule, de façon tout à fait inattendue, immensément puissante, ma première révélation de Dieu. Je l’ai raconté dans Lumière dans le temps, j’ai suffoqué, je me suis cachée derrière un pilier pour pleurer. Sainte-Sophie est une église devenue mosquée. Il est un point où le Voyage doit retourner à sa source, pour pouvoir se dépasser. Le Christ n’est plus là où il fut, il va où il est attendu. Mon Voyage n’était pas terminé, il va se réécrire, aller où nous sommes appelés.

*

Sourate 18, Al-Kahf, La Caverne (1)

hier soir de ma fenêtre, photo Alina Reyes

 

Cette sourate est au centre phonologique du Coran. Même nombre de lettres de part et d’autre. Centrale aussi dans sa signification.

Elle a été presque entièrement révélée à La Mecque et comporte 110 versets. Selon plusieurs hadiths, quiconque en lit le vendredi les dix premiers ou les dix derniers versets (lesquels protègent de l’antichrist), bénéficie d’une lumière jusqu’au vendredi suivant. Et quiconque la lit reçoit une grande lumière au Jour de la Résurrection.

Le Coran est semblable au ciel étoilé. Son ordre est absolument parfait, même s’il nous échappe. Quant à sa contemplation, elle demeure libre. Nous avons déjà contemplé la première sourate, Al-Fatiha, L’Ouvrante ; la sourate 96, Al-Alaq, que nous avons interprété « La Foi » ; et la sourate 114, An-Nas, Les Hommes. Enfin, dans la note précédente nous avons donné à lire, entendre et voir en peinture cette sourate Al-Khaf, telle l’étoile Polaire, que nous allons maintenant commenter un peu. Bien entendu rien ne nous empêchera d’y revenir (notamment lorsque je serai en mesure de le faire à partir du texte arabe), comme rien ne nous empêche de contempler inlassablement telle ou telle étoile, telle ou telle constellation, et le ciel tout entier, visible et invisible.

Dans Relire le Coran, Jacques Berque évoque « la théologie musulmane, selon laquelle l’époque du Coran est justement celle où des miracles matériels, on est passé aux miracles intellectuels, aux miracles rationnels, aux miracles d’induction. »

Le centre du Coran est plus précisément, dit-il ailleurs, le verset 74 de cette sourate. Il s’agit du verset au cours duquel le mystérieux guide de Moïse tue sans raison apparente un jeune homme rencontré en chemin. Voyant cela, j’ai vu le Livre comme un univers de lumière et de vie, jailli du trou noir qu’est le mystère de la mort ; et de par ce mystère tout entier avertissement et promesse pour le Jour de la Résurrection.

La Bible aussi se développe à partir de ce mystère, avec l’expulsion d’Adam et d’Ève hors d’Éden et leur entrée dans le monde mortel, et le premier meurtre humain, celui d’Abel par son frère Caïn. Et le Nouveau Testament, le christianisme tournent entièrement autour de la Croix, à savoir la mort du Christ et sa Résurrection, promise à tous.

Veiller à la source unique, proclamer sa souveraineté et son inviolabilité, montrer à partir d’elle le chemin de la Résurrection, tel me semble être le thème premier de cette dix-huitième sourate. Au terme de la première histoire qu’elle raconte, celle de la caverne où se sont réfugiés des jeunes gens persécutés pour leur foi, est affirmé le fait que Dieu seul sait quel était leur nombre, et quel fut le nombre d’années ou de siècles qu’ils y passèrent. Au terme de la deuxième histoire, celle du jardin terrestre, est affirmé le fait que l’homme, contrairement à ce qu’il peut s’imaginer, en définitive n’est pas maître de son destin ; mais que vient assurément pour chacun le moment de se retrouver devant Dieu. La troisième histoire nous conduit à la toute spirituelle « jonction des deux mers » : c’est là que « le poisson » retourne à sa source, comme Moïse va être conduit à le faire en voyant que le sens caché de l’existence et de la mort est en Dieu et lui appartient.

La quatrième histoire est celle d’un peuple primitif, presque sans langue, vivant directement sous l’ardeur du soleil, et menacé par Gog et Magog, qui se voit mis à l’abri par l’édification d’un mur jusqu’au Jour du Jugement. Plus nous avançons dans la sourate, plus le mystère devient profond, insondable et pourtant offert à notre pénétration. Laissons aujourd’hui sa splendeur et son immensité nous renverser, puis nous reviendrons marcher en son domaine, tels les Dormants de la Caverne ou Moïse, son compagnon et leur Guide.

Kahf signifie : grotte, caverne (surtout spacieuse) ; refuge, asile ; chef d’une troupe et chargé de ses affaires ; rapidité de la marche, de la course.

Les jeunes gens se sont réfugiés tout à la fois dans la caverne et dans la rapidité de la marche. Des siècles ont passé quand ils se réveillent comme s’ils n’avaient dormi que quelques heures. Ils ont trouvé refuge aussi dans « le chef de la troupe, chargé de leurs affaires », Dieu. Là où la course du temps est libérée de sa mesure humaine, là où se trouve le salut.

Hûta signifie : poisson (surtout très grand, notamment le poisson de Jonas) ; et c’est aussi la constellation des Poissons. Le grand poisson est donc aussi la spacieuse caverne, et réciproquement. Mais l’histoire ne se passe pas sur terre, comme pour Jonas qui doit aller prêcher Ninive, elle se passe au « ciel » (la constellation), au lieu des miracles intellectuels, des miracles rationnels, des miracles d’induction.

*

à suivre : ici

Al-Kahf

 

Aujourd’hui, vendredi, est le bon jour pour lire la sourate 18, Al-Kahf, La Caverne. J’ai essayé hier d’en traduire quelques versets, mais le dictionnaire n’y suffit pas, il faut que j’étudie la grammaire, ce sera donc pour plus tard. Maintenant je vais écrire un commentaire de ce texte extraordinaire, qu’on peut en attendant lire ICI et écouter .

Les trois images m’ont été inspirées par cette sourate, on peut les voir en grand en cliquant dessus. À tout à l’heure, que la matinée vous soit douce !

*

Arabe, hébreu, langues

Jardin des Plantes, photo Alina Reyes

 

Je commence juste à le déchiffrer mais déjà, autant que l’hébreu, j’adore l’arabe. Je vois que les langues sémitiques donnent un bonheur intense, unique, qu’elles déploient à l’infini, parce que vraiment, Dieu y est, toute sa création y est à nu et Il y parle directement. Dans nos langues latines ou anglo-saxonnes il est beaucoup moins proche, elles sont beaucoup plus fermées, beaucoup moins vivantes – je ne parle pas de leur capacité d’évolution, je veux dire vivantes de leur vie intrinsèque. Elles sont par rapport aux langues sémitiques comme une ville par rapport à un jardin, un paysage naturel : la ville s’affaire, mais c’est dans le paysage que la lumière bouge le mieux, descend le mieux du ciel, que les senteurs montent le mieux de la terre, que la verdeur jaillit le mieux, que l’eau et la neige trouvent le meilleur accueil, que la vie universelle et éternelle se clame le mieux. Même le grec, beau comme un éphèbe et que je chéris depuis longtemps, n’a pas cette liberté splendide. Mais j’aime d’amour sans mesure toutes les langues, et elles ont besoin les unes des autres pour se raconter les unes les autres, comme nous avons besoin d’elles pour nous raconter, nous dire les uns les autres.

*

… Je reviens bientôt avec la prodigieuse sourate Al-Khaf, La Caverne.

*