Sourate 19, Maryam, Marie (3)

 

Les versets de cette sourate qui racontent l’annonce à Zacharie de la naissance de Jean, puis la naissance de Jésus, ont sauvé la vie aux premiers musulmans exilés en Abyssinie, fuyant les persécutions de leurs compatriotes. Quand deux émissaires de La Mecque vinrent les réclamer au Négus, le roi chrétien, ce dernier leur demanda d’abord de s’expliquer sur leur nouvelle religion. Ils affirmèrent leur foi en un Dieu unique, et récitèrent la première partie de la sourate Marie. En l’écoutant le roi mouilla sa barbe de ses pleurs et refusa de livrer les musulmans à leurs compatriotes, leur accordant sa protection.

Marie pour enfanter Jésus, « Parole de Vérité » (v.34), s’éloigne de sa famille, de tout, et se met sous un palmier. J’ai pensé à cette image de Rimbaud en Abyssinie, vêtu de blanc et si seul sous le palmier. Le palmier bien sûr relie la terre au ciel, sa verdure en éventail est comme le déploiement de l’espace et son tronc fait chemin, depuis la racine enterrée qu’est aussi Marie.

Pendant l’enfantement, ce qui est sous elle, sans que l’on sache s’il s’agit de l’ange Gabriel ou de Jésus, lui indique de secouer le tronc du palmier, d’où lui pleuvent pour son réconfort, manne dorée, des dattes ; tandis qu’un ruisseau, ou une gloire, s’écoule de sous elle : « Mange et bois, et que ton œil se réjouisse ! » Avant qu’elle ne fasse vœu de jeûner de parole, de passer le restant de la journée sans parler. (v.24-26)

L’Esprit de Dieu lui a parlé. Vierge, elle a conçu, est devenue enceinte, et voici qu’elle enfante. Les douleurs viennent, elle s’exclame :  « Qu’avant cela ne suis-je morte, et totalement oubliée ! » Je ne connais pas encore la grammaire, je ne peux préciser la traduction, mais je vois que le verbe oublier est répété sous deux formes différentes successives, et je songe à la tournure en hébreu qui répète aussi les substantifs pour exprimer un superlatif, comme dans « Cantique des cantiques » – et peut-être dirait-on familièrement en français : « que je sois oubliée de chez oublié ! » Car ne faut-il pas vouloir l’être, soumis à l’oubli, pour pouvoir endurer le fait d’enfanter un Verbe de Dieu, comme Jésus est aussi nommé dans le Coran (4,171) ?

Cet oubli est mort de l’ego, oubli de soi. D’autres éléments renforcent ce sens en cette première partie de la sourate. Le mutisme de Zacharie après l’annonce (v.10) ; l’isolement de Marie (v.16) et son voilement (v.17) avant l’annonce, son mutisme (v.26) après la naissance de Jésus. C’est lui-même, nouveau-né, qui prendra la parole, pour se justifier et la justifier ; lui-même parole, suffisant à justifier ce qui paraît scandaleux, l’enfantement par une fille-mère. Comme dans les rituels soufis, l’ego a été déposé, ce n’est plus lui qui parle, c’est la parole de vérité elle-même, la parole venue de Dieu.

Marie de retour dans sa famille avec l’Enfant est appelée sœur d’Aaron. Les exégètes cherchent à expliquer que cet Aaron ne peut être le frère de Moïse, que le Coran sait très bien que la confusion avec Marie, sœur de Moïse et d’Aaron, n’est pas possible. Mais justement, n’y a-t-il pas là un signe ? Revient ensuite le rappel de l’unicité absolue de Dieu, et de l’erreur que commettent ceux qui croient qu’il ait pu se donner une progéniture. (Cette question de divergence avec les chrétiens est bien sûr capitale, et il faut se placer à des niveaux de signification différents pour voir en chacune de ces visions sa propre logique, étroitement liée à la question de la mort du Christ, vue très différemment aussi dans le Coran – nous y reviendrons une autre fois).

Puis c’est Abraham qui est évoqué : son éloignement des siens (comme Marie) pour aller à la rencontre du Dieu unique, grâce à quoi lui seront donnés ses descendants Isaac et Jacob, à qui Dieu accorde « une sublime langue de vérité » (v.50). Là aussi nous voyons la concordance avec ce qui advient à Marie. Puis est rappelé Moïse, à qui Dieu parla sur la montagne : toujours l’appel à l’isolement suivi de la Parole de Dieu.

La sourate se termine par la mention d’autres prophètes, Ismaël, Idris (Énoch), Adam, Noé, de nouveau Abraham et Israël… Marie ne serait-elle pas leur sœur, comme celle d’Aaron et de Moïse ? J’ai trouvé dans le dictionnaire cette indication : avant d’être un prénom, maryam désigne une « femme qui aime et recherche la société des hommes, mais qui est chaste et vertueuse ». Et celle qui enfante le Verbe de Dieu, n’est-elle pas un prophète parmi les prophètes ? La sourate se conclut par de longs et vigoureux avertissements aux mécréants, « tandis que ceux qui croient, effectuent l’œuvre salutaire, le Tout miséricorde les comblera d’amour » (v. 96, trad. Jacques Berque). « Et tout cela sera le commencement des douleurs de l’enfantement », a dit un jour Jésus (Matthieu 24, 8), parlant de ces derniers temps qu’évoque aussi l’Apocalypse, avec ses grands combats au milieu desquels une femme enfante dans le ciel.

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Nous avions déjà parlé de cette sourate ici et ici.

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« Je suis venu jeter un feu sur la terre »

Jésus-Christ j’ai soufflé sur tes braises, ton feu a déjà pris je le sens, et crois-moi je l’entretiendrai, bien et jusqu’au bout. Rien d’autre n’importe que ce que nous avons à faire, chassés de partout mais recueillis sous la tente humble et splendide de Mohammed le Prophète, notre frère bien-aimé. Ensemble et avec tous les saints de toute l’humanité, directement sous le regard de Dieu.

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De golf en Golfe et bien plus loin, l’été indien

mon frère bien-aimé, le sioux Black Elk, dont je vous reparlerai dans quelques jours

 

C’était l’été indien 1989. Fuyant le système médiatico-littéraire français, je venais de poser mes valises à Montréal, où j’allais demeurer jusqu’à l’été suivant. Le quotidien Le Devoir m’ouvrit ses pages pour y tenir une chronique hebdomadaire. Je commençai la toute première en parlant des Amérindiens qui étaient en train de manifester pour protester contre le projet de construction d’un terrain de golf sur leur territoire. D’emblée, je me fis très mal voir – comme si une Québécoise venait ici soutenir les musulmans français dans Le Monde (mais ici en France je doute fort qu’on la laisserait faire, alors que Le Devoir, tout en publiant le courrier des lecteurs mécontents, me garda jusqu’au bout).

Après cette petite bataille du golf, vint la Guerre du Golfe. Toujours chroniqueuse, je me déclarai contre, bien que l’immense majorité des Occidentaux fut alors pour. Aujourd’hui je lis dans La voix de la Russie un bref article intitulé « La guerre est finie, la Russie retourne en Irak ». Il se conclut ainsi : « Avant la visite de Nouri al-Maliki à Moscou, des sources à Bagdad notaient déjà que les pourparlers sont un signe que les autorités irakiennes ont l’intention de diversifier les liens économiques et politiques du pays en les soustrayant au contrôle des Etats-Unis. » Bravo les coalisés, c’est celui qui n’y était pas qui remporte la mise ! Dans tout ce qui n’est pas votre monde mais que vous voudriez contrôler, la Russie et la Chine sont en train de vous faire la nique, Amérique et consorts. Sans compter le moment où les peuples du Moyen-Orient ou d’Afrique, en train de se débattre pour renaître ou faisant leurs premiers pas, sauront marcher tout seuls, voire vous faire marcher.

Hier soir une journaliste de l’autre grand quotidien québécois, La Presse, m’a demandé par mail si je voudrais bien répondre à une interview téléphonique sur ma conversion à l’islam. Je lui ai dit que je préfèrerais le faire par écrit, à moins qu’elle ne s’engage à me montrer avant publication la retranscription qu’elle aurait faite de mes paroles, afin d’éviter malentendus et ambiguïtés. La dernière fois c’est le magazine Famille chrétienne qui m’avait fait dire que j’étais une pécheresse, mot que je me suis toujours bien gardé de prononcer, afin de ne pas conforter leur idéologie sournoise. Ils furent plus sournois encore en me le faisant dire malgré moi. C’est du viol et les journalistes le pratiquent volontiers pour faire dire à autrui ce qu’ils veulent dire eux-mêmes. La journaliste de La Presse ne m’a pas recontactée, et ce n’est pas plus mal.

Certains Amérindiens du Canada ont négocié avec les colons français ou blancs à leur arrivée ; ils ont ainsi évité d’être pourchassés, contrairement à d’autres tribus, comme les Lakotas (Sioux). Mais alors qu’eux ont accepté d’être confinés aux territoires qui leur étaient consentis, les Lakotas aujourd’hui ont rompu les traités qu’ils avaient signés avec les Etats-Unis, et que ces derniers avaient bien sûr violés à maintes reprises, pour déclarer leur propre République.

Il ne s’agit pas de remporter telle ou telle victoire ici-bas – elles sont si passagères, comme nous le voyons avec la Guerre du Golfe. Il s’agit avant tout de remporter la seule vraie victoire, la victoire dans l’au-delà de l’ici-bas, un au-delà bien au-delà de l’ici-bas et bien plus présent en nous que l’ici-bas : le domaine de la liberté. La liberté d’esprit, qui seule donne la vraie liberté effective, et l’assurance de traverser le temps – ce que nous appelons la vie éternelle, ici-bas comme ailleurs.

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Du passé, du présent, de l’avenir

rue Cuvier à Paris, un bâtiment du Jardin des Plantes, photo Alina Reyes

 

Ceux qui comme Charlie Hebdo vivent dans l’ordure morale méprisent les Roms parce qu’à travers leur saleté matérielle ils ont peur de se voir eux-mêmes au dépotoir. Ils sont nombreux, les propres sur eux, à être au-dedans un capharnaüm ou même un cloaque. On sait où finit l’ordure. Qui ne veut pas l’y suivre, qu’il s’en défasse.

Ce sont toujours ceux qui ont grandi et vécu à l’abri qui veulent apprendre à vivre aux pauvres. Un peu comme si les politiciens écologistes voulaient apprendre la nature aux Sioux. Ou comme si les abstinents sexuels voulaient apprendre la sexualité aux pratiquants. Comme si je voulais apprendre à un peintre à peindre, parce que j’ai contemplé des tableaux et acheté quelques tubes de gouache. Ce dont l’homme n’a pas l’expérience, ce qu’il n’a jamais enduré ni connu, il s’imagine volontiers que nul n’en est capable sinon selon la science abstraite que lui-même peut en avoir, et qu’il veut infliger à qui elle ne servira strictement à rien.

Il me reste à apprendre la troisième prière, At-Tachaoude. Al-Fatiha, je la dis en m’endormant et en me réveillant, dans la journée aussi, je laisse la parole se mettre en place dans mon corps, jusqu’au moment où elle exigera que j’y joigne les gestes. Le Christ est avec moi dans la paix et la lumière de l’islam, nous aimons le Prophète et ses amis, nous avons foi en ce qui vient.

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