photo Alina Reyes
En attendant de reprendre notre lecture du livre de Michel Chodkiewicz Le Sceau des saints – Prophétie et sainteté dans la doctrine d’Ibn Arabî, relisons ces phrases comme toujours fortes et justes du P. de Lubac, dans son livre Sur les chemins de Dieu :
« Dans la rencontre d’un saint, ce n’est pas un idéal en nous déjà formé que nous trouvons enfin réalisé, vécu. Ce n’est pas la perfection du type humain – ou surhumain – enfin incarnée dans un homme. La merveille est d’un autre ordre. C’est une vie nouvelle, c’est une sphère d’existence nouvelle, avec des profondeurs non seulement insoupçonnées, mais aux résonances étranges, qui soudain nous est révélée. C’est comme une « patrie » nouvelle, d’abord ignorée de nous (…)
Nous sommes à la fois attirés et heurtés, – d’autant plus heurtés, peut-être, que plus attirés. Nous éprouvons à la fois le double sentiment de quelque chose de très lointain et de très proche ; d’inquiétant, de troublant, et en même temps d’obscurément désiré. Nous avons l’impression mêlée d’un dépaysement et d’un accomplissement suprême, au-delà de notre désir. Nous sommes à la fois déconcertés et ravis, et ce ravissement même n’est pas sans éveiller en nous la crainte. L’esprit du monde, en nous, réagit à une menace. Notre secrète connivence avec le mal s’irrite. Nous esquissons une mise en garde. Si nous avions pu nous croire parfaits en quelque chose, nous sommes alors doublement tentés de repousser le spectacle provocateur qui va nous forcer à nous voir misérables ; bien plus, à voir la misère de cela même que nous appelions perfection.
Mais tout cela, en outre, ne nous laisse point à nous-mêmes, comme un pur spectacle. C’est bien, en effet, une provocation. C’est une sommation pour notre cœur d’avoir à prendre parti, en dévoilant peut-être sa pente la plus cachée… Brusquement, cet univers nous apparaît autre : c’est le lieu d’un vaste drame, au cœur duquel voici qu’il nous faut entrer à notre tour.
S’il y avait plus de saints dans le monde, la lutte spirituelle y serait plus intense. Le Règne de Dieu, s’y manifestant avec plus de force, susciterait de plus ferventes adhésions, – mais aussi, corrélativement, des oppositions plus violentes. Son urgence accrue provoquerait une tension, source de conflits éclatants.
Et si nous vivons relativement en paix au milieu des hommes, c’est sans doute que nous sommes tièdes. »
Ne soyons ni tièdes ni paresseux, ouvrons les yeux, ne nous laissons pas séduire, menons le combat spirituel, il est urgent. Quand je montre que tel ou tel est soumis à tel système de pensée qui contredit ce qu’il prétend annoncer, ce n’est pas pour dénoncer tel ou tel, mais pour montrer combien nous pouvons être illusionnés, même quand nous nous pensons savants et réfléchis, par la confusion du sens qui règne dans un monde relativiste. Combien, aussi, nous pouvons être trompés, à notre insu et en quelque sorte aussi « à l’insu de leur plein gré », comme pour des cyclistes dopés, par les champions de la parole qui font figure d’autorités intellectuelles, spirituelles ou morales. Le monde ne sera pas en paix tant que les hommes continueront à errer dans les ténèbres ou le brouillard, voire le flou « artistique ». La paix vient par la vérité, et la vérité vient par la sainteté, réelle. Appelons la Lumière, elle nous appelle.