Aid moubarak ! Prière de rue et croissant de lune

DSC05142

tout à l’heure après la prière de l’Aid, photo Alina Reyes

*

Quand je suis arrivée, le peuple des croyants débordait largement dans la rue. J’ai contourné les rangs des hommes, j’ai sorti de mon sac mon foulard supplémentaire, je l’ai mis par terre – mais ma jeune voisine de prière s’est serrée pour me laisser une place sur son tapis. Tout le monde s’était fait beau, tout le monde était joyeux, le soleil matinal était radieux. Je suis revenue par un autre chemin, comme Dieu aime mieux, je me suis arrêtée dans une boulangerie, j’ai échangé quelques mots avec des musulmans bienheureux, dedans et dehors, j’ai donné quelque chose à un petit mendiant, je suis rentrée à la maison avec des croissants pour tout le monde.

*

De la Pitié à la Mosquée (1) Corps et esprit

DSC02869

Un homme nourrit les oiseaux, cet hiver devant la Grande Mosquée de Paris, à l’emplacement primitif de Notre-Dame de la Pitié. Photo Alina Reyes

*

La Pitié-Salpêtrière est aujourd’hui le plus grand hôpital d’Europe, et l’un des plus en pointe quant à la recherche médicale, notamment en neurologie. Les travaux que Charcot y mena à la fin du XIXème siècle sur l’hystérie demeurent fameux, mais beaucoup d’autres grands noms de la médecine, comme l’aliéniste Pinel qui libéra les malades de leurs chaînes, ou le professeur Christian Cabrol qui réussit pour la première fois en Europe une greffe du cœur, sont associés à cet établissement où fut aussi découvert le virus du sida.

L’histoire de la Pitié-Salpêtrière est tissée des plus grandes douleurs, et souvent même d’horreurs commises contre une humanité souffrante. Au fil des siècles pourtant, le désir de « secourir » par l’enfermement et le châtiment les pauvres et les fous, a évolué vers une prise de conscience : la nécessité d’apporter aux malades des soins.

À l’origine, Notre-Dame de la Pitié était sise à l’emplacement actuel de la Grande Mosquée de Paris. L’établissement fut créé en 1612 par Marie de Médicis, et consacré au « grand renfermement » des mendiants de la ville. Quarante ans plus tard, lui sera associée La Salpêtrière, autre hospice dédié à la claustration des malheureux, et quant à lui édifié sur le lieu d’une poudrière – d’où son nom.

De fait, la souffrance et la pitié traverseront ici les siècles comme une traînée de poudre, un cocktail explosif où seront mis en jeu tous les éléments d’une histoire sociale, politique, scientifique, religieuse et métaphysique des rapports humains.

Ce royaume de la science et de la recherche médicale est étendu sous le ciel autour d’une étrange église octogonale, à la fois impressionnant et humble témoin d’une survivance de Dieu au milieu de la modernité la plus pointue.

On peut aller à la Salpêtrière en malade ou en soignant, mais aussi en promeneur, en amateur d’art ou en croyant. On peut traverser l’ensemble hospitalier comme un pont entre le boulevard de l’Hôpital et le boulevard Vincent-Auriol. On peut aller s’asseoir sur un banc ou s’étendre sur l’herbe de ses jardins. On peut enfin aller en l’église Saint-Louis de la Salpêtrière visiter une exposition d’art contemporain, écouter un concert, participer à la messe quotidienne, ou simplement trouver un moment de paix.

L’histoire continuant discrètement son chemin à travers temps, s’aperçoivent dans le silence de ses chapelles, parfois un malade en robe de chambre venu se recueillir, souvent un sans-abri qui s’y repose – ou simplement la traverse, on ne sait pourquoi.

L’œil et l’oreille sensibles ressentent à la Salpêtrière la douce et violente énigme des relations brisées entre le corps et l’esprit. Et le travail de la médecine de Dieu avec la médecine du monde pour les réparer.

à suivre

*

La nuit du destin

Broadchurch - Specials

Broadchurch

broadchurch-cast

*

Cette nuit j’ai regardé la série Broadchurch, en streaming. Dans les films, tout est remis dans l’ordre, à la fin. Dans la vie, pas toujours. Du moins, cela peut prendre beaucoup plus de temps. Sans révéler la fin de la série, on peut dire que la raison du meurtre, c’est l’humain, le honteux, le dérobé il ne faut pas le dire.

Seulement, comment empêcher la vérité de se faire connaître ? Elle est Dieu. Nul endroit du jardin ne permet d’y échapper, et même la mort ne peut rien contre elle, à la fin.

La société doit enquêter sérieusement afin de pouvoir faire justice et rester ainsi digne et viable. Le meurtrier lui aussi doit chercher à savoir la vérité, savoir qui est la victime et qui est le meurtrier, savoir qu’il est le meurtrier. Car c’est seulement ainsi qu’il peut se libérer de son appartenance à la mort, et c’est seulement ainsi que la cité, souillée par son mal, peut être sauvée. Mais la victime aussi doit faire ce travail, cette recherche de la vérité, elle doit elle aussi résister à la facilité de méconnaître qui est le meurtrier et qui est la victime, du ciel où elle se trouve elle doit toujours de nouveau analyser le réel sur terre pour pouvoir reconnaître le crime, et qu’elle en est la victime. Car c’est seulement cela qui l’arrache à la mort, et c’est seulement ainsi, en débusquant le mal, en donnant lieu à la vérité, en lavant le mal par la vérité, que peut descendre du ciel ce qui sauve tous les hommes.

*

Pour les siècles des siècles

DSC00833

peinture Alina Reyes (4 août 2012)

*

Tant que j’assiste au combat des deux monstres dans la clairière, je ne peux y être moi-même. Ils sont les anges qui gardent l’entrée de l’Eden. Si mon regard ne meut pas mes pieds, c’est que j’ai laissé le serpent me piquer au talon. Pénétrer dans le cercle, c’est écraser sa tête : les combattants s’évanouissent, le combat s’involue en jouissance. Pénétrant dans la clairière, je la féconde : de notre union naîtra un nouvel être. Me voici au cœur du secret, protégée par le cercle des arbres, et sur le lieu de la révélation, ouvert sur le ciel ; grâce à ce dévoilement, l’être jeté nu dans un placard sombre peut revoir le jour, et rené, se laisser envelopper dans la douceur des voiles allégés de son été.

*

Demain dernière journée de Ramadan. La nuit qui vient est encore une nuit d’Al Qadr en puissance, mais elles le sont toutes. Du premier croissant de lune au nouveau premier croissant de lune, veillant beaucoup j’aurai perdu le confort qu’il faut perdre, jeûnant j’aurai perdu un peu de poids physiquement aussi, car ce n’est qu’allégé que l’on peut croître en vérité et force de paix. Ramadan est une retraite, un temps dans la grotte face au ciel, comme pour Mohammed, comme aussi pour les hommes de la préhistoire qui peignaient sur les parois, dans les ténèbres, leurs animales constellations, traversant la pierre, rejoignant l’invisible. Ce qui était devenu mort ayant été détaché du vivant, au bout de cette maturation, vitalité décuplée, dans l’histoire pour les siècles des siècles.

Je reviens bientôt avec une nouvelle série, « De la Pitié à la Mosquée », et peut-être une autre aussi, rappel autobiographique, « Le sang de l’amour ».

*

Jeanne d’Arc, saint Michel

stmichel

fontaine Saint-Michel, à Paris

*

 

Lisant les passionnantes minutes du procès de Jeanne d’Arc, je suis frappée par la ressemblance de structure avec le procès du Christ. L’un et l’autre condamnés par le moyen d’une alliance morbide entre l’occupant et le pouvoir religieux. L’un exposé haut sur une croix, l’autre exposée haut sur un bûcher. Mais Jeanne est surtout angélique. Elle est morte en criant le nom de Jésus, mais très visiblement c’est l’archange saint Michel qui l’habite, lui donne cette force et cette habileté surnaturelles « au fait de la guerre, où elle était supérieurement experte », témoignent des compagnons d’armes. Quant à sa détermination, elle lui vient directement de Dieu, auquel elle est entièrement soumise. « Je n’ai rien fait au monde que par le commandement de Dieu », dit-elle. Et pour ce qui est des détails de l’action : « mes frères du paradis me disent ce que j’ai à faire ». On connaît le début de sa réponse à la question piégée : « Savez-vous être en la grâce de Dieu ? » « Si je n’y suis, Dieu m’y mette ; et si j’y suis, Dieu m’y tienne ! » La fin de sa réplique vaut aussi d’être citée : « Mais si j’étais en état de péché, je crois que la voix ne viendrait pas à moi. Je voudrais que chacun l’entendît aussi bien que je l’entends. » Qui n’y entend rien a sans doute les oreilles très ensablées par le péché.

Tout ce que dit Jeanne, je le sais. J’écrirai sur elle, incha’Allah, et aussi sur Mohammed, entre autres.

La toute première chose qui lui est reprochée par l’évêque Pierre Cauchon et l’inquisiteur Jean Lemaître, qui se félicitent que la céleste Providence ait permis la prise de Jeanne, la voici : « Cette femme, au mépris de la pudeur et de toute vergogne et respect de son sexe, portait, avec une impudence inouïe et monstrueuse, des habits difformes convenant au sexe masculin. » Jeanne est partie de chez elle en robe rouge. Elle a ensuite pris l’habit d’homme tout simplement parce que Dieu le voulait, parce que c’était nécessaire, pour le travail qu’il lui fallait faire. Et ce n’était certes pas de sa faute si Dieu n’avait pas trouvé d’homme pour le faire, ce travail. Plus tard, entre deux batailles, elle portera avec plaisir de belles robes. Mais sur les lieux de sa mission, n’avait-elle pas, dans son habit de combattante, la grâce de l’archange défenseur de la foi ?

*