L’animal s’étire

« La plupart des gens ne réalisent pas le pouvoir que possède le génie de comprendre l’essence d’un sujet sans avoir besoin de l’étudier laborieusement. » Aleister Crowley.

C’est la révolution spirituelle qu’il faut faire. La révolution sociale suivra d’elle-même. Beaucoup la font, même si on les voit mal. Sphère par sphère, hors-champ, continuer.

Ce qui viendra n’est pas un nouveau projet commun, ni un nouveau poème commun, c’est un poète commun, Le poète, revenu.

Déjà les envoyés font cortège et le précèdent, désordonnés encore et les yeux embués.

L’animal s’étire, le sentez-vous ? Ce n’est pas en un seul, ce n’est pas en quelques-uns, c’est en chacun que le poète veut s’étirer.

Paramnésie et changement

J’ai écrit ce texte il y a quelques années, je ne crois pas l’avoir repris dans l’un de mes livres, je le redonne ici.

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« Le trou noir a faim » (Trinh Xuan Thuan), et toutes les phrases du monde, chapelets d’ADN de l’infini, sentant venir la saison de leurs amours dernières, telles les premiers serpents que les premiers soleils appellent, tous les fragments de proses et de poèmes disséminés dans le temps avec les mains qui les signèrent, s’électrisent, se baisent et se laissent, convulsivement belles de jour, transpatiemment ardentes, se laissent aspirer par « les grands anti-soleils noirs, puits de vérité dans la trame essentielle, dans le voile gris du ciel courbe » (René Daumal) qui « vont et et viennent et s’aspirent l’un l’autre » et que les hommes « nomment Absences », croyant creux le texte taillé dans la masse des textes, alors qu’il est vide, autant qu’une statue peut l’être, champ quantique d’interactions dans le regard du physicien qui y détecte, cachés, « une mouvante réalité et une extrême imprécision », et que « sous l’œil du microscope, la statue qui semble remplir l’espace se dissout en vide » (T.X.T.), ce même vide qui étend son silence entre les mots et les serpents de mots, ce vide que l’homme qui vit en poète vient habiter, cette clairière extasiante où l’être trouve à se déployer, ce repos qu’il voluptue et peut-être féconde, dans l’abandon nécessaire au guerrier de la langue.

À mesure lues les phrases s’involuent, invaginées par la machine à lire, à mesure écrites et réécrites, rires longs des violons de l’été, « paramnésie caravane de sanglots » (Roger-Gilbert Lecomte), elles lisent et écrivent l’être qui écrit, qui « s’éprouve comme la demeure, le séjour de quelque chose qui le possède et l’emporte » (Maria Zambrano), l’être dans l’orgie des vagues veut rester ce radeau médusé qui l’emporte et le sauve au prix de tous les risques, « paramnésie caravane de sanglots, dernier signe étrangement solennel, annonciateur de ma mort », naufragé l’être ne peut plus, « une fois consommé ce don de lui-même » (M.Z.), se vivre qu’en naufrageant perpétuel, femme possédée par l’abîme et s’offrant à la face du ciel, double voluptueuse voguant dans le délire de ses propres eaux libérées à flux continu, « jeu des forces et ondes des forces… ce monde dionysien de l’éternelle création de soi-même, de l’éternelle distribution de soi-même, ce monde mystérieux des voluptés doubles… qui donc a l’esprit assez lucide pour le contempler sans désirer être aveugle ? » (Nietzsche), et en effet l’être qui s’est en son être, qu’épousent à chaque instant de leurs mille bouches de méduses translucides et musclées les phases et les phrases de sa passion, cet être dans sa plus grande ouverture ventousé à lui-même est soumis aux marées de l’équivoque lune, tantôt blanche et voyante comme sa voix après une nuit de veille, tantôt noire et aveugle comme le trou vers lequel il reflue, et que « le temps, alors, devient quelque chose comme un gant privé de main » (M.Z.).

Sucé de lui-même, l’être-est-le-temps alors se replie, réenroulant, fine peau de laquelle il se décalotte entier, fine peau fraîche qui s’accordéonnant sans merci se réduit à une cristalline, intouchable membrane, horizon du trou noir, sa frontière, « formée par les trajectoires dans l’espace-temps des rayons de lumière qui n’arriveront plus à en sortir, hésitant à tout jamais au bord » (Stephen Hawking). Et « c’est un peu comme s’ils tentaient d’échapper à la police, décidaient de faire un pas en avant mais sans être vraiment capables de s’en aller ! »

Or il s’agit de déjouer l’éternelle police, puisqu’à ce jeu du gant à retourner nous relevons le gant, et les cortèges, et les armées, et les peuples de phrases avalés, prisonniers derrière l’horizon de l’obsédant oubli, viennent, dans l’ici et maintenant de l’écriture, de la lecture, dans ce vide en marche libérer leur lumière par le suintement rythmé d’une longue, irrépressible jouissance de l’entre-dit.

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Et je complète par ces phrases d’Alain Badiou :

« Ce qu’on appelle « changement » d’une situation n’est que le déploiement constructif de ses parties. La pensée de la situation évolue, de ce que l’exploration des effets de l’état amène au jour de nouvelles connexions linguistiquement contrôlables, antérieurement inaperçues. Ce qui soutient le changement est en réalité l’infini de la langue. (…)

Que signifie dès lors qu’il y ait des situations différentes ? Cela signifie purement et simplement qu’il y a des langues différentes. Non pas seulement au sens empirique des langues « étrangères », mais au sens, promu par Wittgenstein, des « jeux de langage ». 

Manger le ciel

En fait ce sont huit pages par jour que j’ai écrites, les trois premiers jours (plus de 36000 signes, j’aime bien ce chiffre). Je continue, en beauté. La poésie ne veut pas me lâcher, ma foi je la laisse faire. Qui a jamais lu une chose pareille ? Je ne crie pas, dans mon euphorie, à mon génie, mais à la merveille qui fait que nous soyons chacun unique, et par là même universels. Comme la lumière est belle ! Vive le printemps ! La nuit quand je dors, le matin quand je sommeille encore un peu, je me vois en train de peindre, c’est-à-dire je vois la peinture en train de se faire, sur du bois, non des tableaux finis mais des peintures en cours, dans leurs détails vivement colorés où je marche comme sur un chemin. Ah il faudrait mille vies. Mais après tout nous les avons, et bien davantage encore.

National, municipales… mon étoile : la gratuité

Des anarchistes taguent le Sacré-Cœur. Un responsable de la basilique, interrogé sur ces faits, déclare qu’ils se produisent régulièrement au fil des ans, « environ un mois avant Pâques ». Falsifiant ainsi le sens de ces actes (que je ne cautionne pas pour autant), destinés en fait, lors de l’anniversaire de la Commune, à rappeler que le Sacré-Cœur a été construit en partie pour « expier » la révolution plutôt douce du peuple, qui fut écrasée dans le sang.

Il semble que nous pourrions être débarrassés de Sarkozy pour 2017. Mais toujours personne de valable en vue pour la mission. Reste à naviguer à l’étoile.

Municipales à Paris. Tous ces candidats qui veulent, à grands frais, réaliser toutes sortes d’aménagements dans la ville, se comportent comme des chargés de famille qui ne songeraient qu’à refaire les peintures de l’appartement ou changer les meubles, sans se soucier de l’éducation, du bien-être et des études des enfants. Au lieu de s’occuper des choses, ils feraient mieux de penser aux gens, aux gens du peuple. La priorité n’est pas d’apporter plus de choses, mais de rendre plus de choses gratuites ou moins chères. Dans l’éducation, les services, les transports, la culture, la solidarité. Moins de dépenses, plus d’investissement de l’argent public dans la gratuité, telle est la philosophie qui aura ma voix.