Madame Terre chez Joséphine Baker au Vésinet et à Paris

Tandis que l’Astre de Beauté
C’est la Vérité qui ne voile
Pas plus la femme que l’étoile,
La véritable Vérité.
Germain Nouveau, La déesse
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mme terre theatre champs elysees

mme terre défense

mme terre chez josephine baker

prise de terre chez josephine baker

mise de terre chez josephine baker

retour de chez josephine baker

mme terre retour de chez jos baker

mme terre au casino de paris

mme terre aux folies bergere

Aujourd’hui, toujours à vélo depuis Paris, O est allé accomplir la huitième action poélitique de Madame Terre chez Joséphine Baker, passant à l’aller puis au retour par la Défense et par des théâtres où elle a joué.

Joséphine Baker, artiste et résistante tout à la fois perle et océan de fraîcheur salvateur dans la France de Mistinguett et de Maurice Chevalier


Joséphine Baker : de l’exhibition à la Résistance par Mediapart
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Sa biographie détaillée : ici
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Un article sur Jeune Afrique

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Nouveau Rimbaud : « c’est fait »

« L’aisance de l’un à se couler dans la parole de l’autre pour la prolonger met en évidence le caractère général des mécanismes mentaux qui entrent en fonctionnement quand la raison s’assoupit », écrit Marguerite Bonnet, commentant l’écriture commune par Breton et Soupault des Champs magnétiques (notice de l’édition en Pléiade). Une voie dans laquelle les avaient précédés Rimbaud et Nouveau, un printemps de 1874 à Londres.

« Nous t’affirmons, méthode ! » s’écrie le poète des Illuminations dans « Matinée d’ivresse ». Si je dis ici « le poète », c’est parce que c’est ce que semble affirmer ce « nous » de « Nous t’affirmons, méthode ! », en écrivant, quelques lignes plus haut dans le même poème « nous si digne », accordant le singulier au pluriel (le manuscrit fait preuve d’un s final barré à l’adjectif) : les deux poètes, le temps du travail en commun, n’en font plus qu’un.

Nous avons vu que les auteurs de « H » ont dévoilé, tout en le voilant, leur jeu : il s’agit d’un jeu, et d’une invitation à jouer pour le lecteur, à déchiffrer l’énigme que sont ces Illuminations. Jeu avec les mots, inversions et barbarismes donnant la clé de l’ensemble du texte, de l’esprit dans lequel il a été écrit. Selon Eddie Breuil (à 24′), Nouveau a eu connaissance en 1906 de la publication du recueil intitulé Illuminations. Dans l’édition de 1898, dont la préface comportait alors une parole « apocryphe » (ou non) de Rimbaud, jugeant ce recueil « absurde, ridicule dégoûtant » – si cette parole n’était en fait pas apocryphe, elle pourrait s’expliquer sans peine par la propension au voilement et à l’inversion que nous avons vue comme faisant partie du jeu. Nouveau aurait alors répondu par un poème publié à titre posthume où il reprenait ces trois adjectifs (« absurde écolier », « ridicule amant », « dégoûtant chanteur »). Il y parlait de « note inexacte » et de « vers cirés par antithèse ». Il y disait aussi : « Vous qui coiffez les gens, vous voilà bien coiffé ». Qui donc désignait ce vous, sinon Rimbaud et lui-même, Nouveau, qui par leur méthode avaient coiffé au sens de séduit et dépassé, les gens – ou encore s’étaient coiffés eux-mêmes d’une tête d’âne, « absurde, ridicule dégoûtant », comme « Bottom » ? À moins qu’il ne se moque de Rimbaud, ou de lui-même, finalement occulté dans la publication – tous ces sens ne s’excluant pas les uns les autres. « Petite veille d’ivresse, sainte ! », est-il écrit dans « Matinée d’ivresse » « quand ce ne serait que par le masque dont tu nous as gratifié. » Et aussitôt : « Nous t’affirmons, méthode ! »

S’il est aujourd’hui impossible de savoir quel est, dans les Illuminations, l’ensemble qui a été œuvré par Nouveau et Rimbaud à Londres et quelles sont les pièces qui n’en font peut-être pas partie, l’étude des textes permet cependant de réunir des indices sur la raison pour laquelle est écrit dans « Vies II », poème précédant de peu « Matinée d’ivresse » : « Je suis un inventeur bien autrement méritant que tous ceux qui m’ont précédé, un musicien même, qui ai trouvé quelque chose comme la clef de l’amour ». « À une raison », précédant immédiatement « Matinée d’ivresse », commence par cette phrase : « Un coup de ton doigt sur le tambour décharge tous les sons et commence la nouvelle harmonie ». Mon intuition est que Rimbaud a inventé de pratiquer une écriture commune avec Nouveau, d’où « l’harmonie », qui est aussi « clef de l’amour ». « Tous les sons » : les phrases sortant de la bouche des poètes, et s’harmonisant dans l’écriture. Dans « Jeunesse IV » il écrit : « Mais tu te mettras à ce travail : toutes les possibilités harmoniques et architecturales s’émouvront autour de ton siège. Des êtres parfaits, imprévus, s’offriront à tes expériences. » Nouveau ne fut-il pas cet être parfait et imprévu avec lequel il partit soudain à Londres, ce poète comme lui fantasque, errant et détaché du monde, l’être décrit dans « Veillées » comme « l’ami ni ardent ni faible. L’ami. » et peut-être « l’aimée ni tourmentante ni tourmentée. L’aimée » – le partenaire de vie et de travail qu’il lui fallait après la Saison en enfer avec Verlaine ? Nous avons commencé à le voir et nous pourrions le montrer encore longuement (une prochaine fois peut-être), les Illuminations sont une sorte de réécriture plurielle et « barbare » (y compris avec ses barbarismes ou étrangetés langagières dont il ne faut plus s’étonner ni chercher à les corriger puisqu’elles sont volontaires) de l’Apocalypse, avec leurs tableaux et leur aspiration non plus à une cité céleste comme dans le texte biblique mais aux terrestres « splendides villes » promises à la fin d’ Une saison en enfer. Orphée et Eurydice l’un de l’autre, Rimbaud et Nouveau ont entrepris par l’écriture, en poètes, de se sortir l’un l’autre de la mort : débouchant logiquement sur un temps d’  « après le déluge », un temps de nouvelle apocalypse où le « pavillon », tout en évoquant le Christ n’est plus vraiment lui mais ce « Génie » qui est « l’amour, mesure parfaite et réinventée, raison merveilleuse et imprévue, et l’éternité : machine aimée des qualités fatales » – la machine étant celle de leur méthode d’écriture impactant le destin. Ce pourquoi, grâce au génie des deux poètes, ce qui sauve se démarque du premier Christ : « Il ne s’en ira pas, il ne redescendra pas d’un ciel, il n’accomplira pas la rédemption (…) de tout ce péché : car c’est fait ».

Nous tâcherons une autre fois de montrer en entrant plus avant dans les textes les différentes voies de la « méthode » qui ont pu être utilisées, et ce qui peut la démontrer.

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« H », par Nouveau Rimbaud

Toutes les monstruosités violent les gestes atroces d’Hortense. Sa solitude est la mécanique érotique, sa lassitude, la dynamique amoureuse. Sous la surveillance d’une enfance elle a été, à des époques nombreuses, l’ardente hygiène des races. Sa porte est ouverte à la misère. Là, la moralité des êtres actuels se décorpore en sa passion ou en son action. — Ô terrible frisson des amours novices, sur le sol sanglant et par l’hydrogène clarteux ! trouvez Hortense.

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J’avais l’intention de parler de la façon dont Rimbaud et Nouveau ont pu écrire les Illuminations, car j’ai à dire sur cette question, mais cela sera remis à plus tard car en chemin j’ai trouvé Hortense, dans le fameux poème H. Et puisque les poètes nous intiment, à la fin de ce texte en forme d’énigme : « trouvez Hortense », alors je le dis. Un indice ? Il y en a un dans la première phrase, précisément dans ses deux derniers mots : « atroces d’Hortense ». Comment cela sonne-t-il à votre oreille – à votre pavillon ? Bon, ce n’est pas évident. Un autre indice ? Il y en a un dans la dernière phrase, dans ces deux mots : « sol sanglant ».

Quel sol est sanglant ? Celui d’un champ de bataille. Mais encore ? Celui d’une boucherie. Et quelle langue parle-t-on dans une boucherie ? Le loucherbem. Un argot que Marcel Schwob a étudié, une sorte de verlan. Ici nos poètes ne pratiquent pas vraiment le loucherbem, mais ils jouent avec la langue : « atroce/Hortense » est en quelque manière une inversion des sonorités d’un mot à l’autre. Il faut comprendre que comme dans Barbare, les poètes jouent dans ces textes écrits ensemble avec la langue (les barbarismes peuvent faire partie de ces jeux). H se présente clairement comme un jeu, une devinette. La réalité est voilée par les poètes en même temps qu’elle est révélée : aux lecteurs de procéder à leur tour au dévoilement, comme il le leur est demandé : « trouvez Hortense ».

Verlaine a dit que Rimbaud lui avait donné comme titre de l’ensemble de ces textes à envoyer à Germain Nouveau Illuminations. Que cela désignait des assiettes peintes, enluminées, et que c’était d’ailleurs le sous-titre : « colored plates » (sic). De qui se moque-t-on ? Il faudrait ajouter : « trouvez Illuminations ». Nous avons vu que Barbare est une évocation – plus barbare qu’orthodoxe – de l’Apocalypse. Dans le poème Soir historique (qui se trouve deux pages avant H dans les éditions actuelles), les évocations d’événements historiques s’achèvent par une vision apocalyptique emportant la « chimie sans valeur » qu’est devenu le monde, auquel « le plus élémentaire physicien sent qu’il n’est plus possible de se soumettre ». H parle d’ « hydrogène clarteux » (barbarisme) et on se souvient que H est la lettre qui en chimie et en physique désigne l’hydrogène, élément atomique le plus simple, aussi simple que notre physicien élémentaire. Bien, mais ce n’est pas encore le fin mot de l’affaire.

Illuminations voile un autre mot comme Hortense voile un autre mot. Hortense vient de hortus qui signifie jardin, nos latinistes le savaient parfaitement. Qui signifie plus particulièrement jardin clos. Comme l’Éden ? Ou tout simplement comme la Terre, monde des hommes, « planète emportée » comme il est dit à la fin de Soir historique. Décidément il nous faut revenir à cette affaire d’espèce de transformation des mots. N’est-ce pas ce à quoi nous invite le poème Bottom, poème précédant juste H – et ce n’est pas là arbitraire d’éditeur puisque les deux textes sont copiés manuscritement sur une même page, le premier au-dessus du second. Bottom est bien sûr une référence au personnage de Shakespeare changé en âne dans le Songe d’une nuit d’été – aucun doute là-dessus puisque le mot âne figure bien dans la dernière phrase du poème. Poème qui s’intitulait d’abord Métamorphoses ­- le titre a été barré et remplacé à la main. Qui fait l’âne emporte la belle, telle pourrait être la morale de la scène. Alors, si H le faisait aussi ? Cette Hortense, n’est-elle pas une métamorphose d’un autre mot ? Bottom n’est pas seulement le nom d’un âne, cela signifie aussi fond, derrière. Pour trouver Hortense, cherchons derrière.

Revenons à Soir historique. À la fin, au moment apocalyptique, le poème évoque la Bible et les Nornes, Parques de la mythologie scandinave dont Leconte de Lisle avait fait un poème, relatant l’origine et la fin du monde à venir. Un moment « qu’il sera donné à l’être sérieux de surveiller », est-il écrit dans Soir Historique. Or H nous dit que Hortense a été « sous la surveillance d’une enfance ». Quelle enfance ? Ne serait-ce pas celle de l’humanité ? Tandis que ceux qui approchent de la fin de l’histoire, s’ils sont sérieux, doivent aussi la surveiller. Cette Hortense aux « gestes atroces » violé(e)s par « toutes les monstruosités », qui est-elle sinon l’Histoire, surveillée par les grands textes de l’enfance de l’humanité, Bible et autres livres mythologiques, l’Histoire dont la mécanique est une érotique, et le repos l’amour ? « Ardente hygiène des races », elle les fait se mêler et se renouveler. Avec sa porte « ouverte à la misère », n’est-elle pas la révélatrice de « la moralité des êtres », qu’ils la subissent ou qu’ils la fassent, « en sa passion ou en son action » ? Et ce qui révèle, « terrible frisson des amours novices », n’est-ce pas l’Apocalypse, c’est-à-dire la Révélation ?

L’anglais illumination a d’autres sens que « assiette peinte ». Il peut signifier aussi inspiration, et révélation.

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Madame Terre sur un lieu de « Manon Lescaut » et chez l’abbé Prévost

Il me suffit de vivre de tout mon corps et de témoigner de tout mon cœur.
Albert Camus, Noces
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mme terre à la force

prise de terre à la force mise de terre à la force

trous des chaînes à la force

mme terre à l'église salpêtrière

Cette septième action poélitique de Madame Terre a été réalisée en deux temps, par moi puis par O. Je suis d’abord allée à la Pitié-Salpêtrière, à l’Hôpital où dans le roman Manon Lescaut est enfermée un temps, à l’époque où on y enfermait les pauvres, les fous et les délinquants. J’ai photographié Madame Terre devant la cour du bâtiment de La Force, où étaient internées les femmes, soumises à un régime souvent atroce – on a enlevé des murs aujourd’hui les anneaux de fer où étaient accrochées les enchaînées. Lieu sinistre s’il en est. Ensuite je l’ai posée au centre de cette église si particulière, panoptique, construite de façon à pouvoir surveiller depuis le centre les chapelles où étaient répartis par catégories les prisonnières et prisonniers de l’hôpital, pour les messes obligatoires.

en approchant de chez prévost

foret chantilly en approchant chez prevost

près de chez prévost

où est mort l'abbe prevost

mme terre où est mort prevost

prieuré abbé prévost

prieuré prévost

puits prévost
maison prévost

maison abbe prevost

mme terre devant le portail prevost

prise de terre chez l'abbe prevost

mise de terre abbe prevost

mme terre sur le mur maison prevost

mme terre sur le mur maison abbe prevost

lavoir prevost

chez prevost
Puis O s’est rendu, faisant près de 100 km à vélo en ce dimanche d’arrivée du Tour de France à Paris, passant par champs et par forêts, parfois en dehors des sentiers, sur trois lieux successifs : celui où est mort (à Courteuil),  puis où est enterré (au prieuré de Saint-Nicolas d’Acy), et enfin où a vécu (montant sur le mur de la maison, à Vineuil-Saint-Firmin ! ) l’abbé Prévost, auteur du roman dont voici un passage, situé au moment où le chevalier des Grieux s’apprête à faire évader Manon :

« Nous retournâmes le matin à l’Hôpital. J’avais avec moi, pour Manon, du linge, des bas, etc., et par-dessus mon juste-au-corps, un surtout qui ne laissait voir rien de trop enflé dans mes poches. Nous ne fûmes qu’un moment dans sa chambre. M. de T… lui laissa une de ses deux vestes ; je lui donnai mon juste-au-corps, le surtout me suffisant pour sortir. Il ne se trouva rien de manque à son ajustement, excepté la culotte que j’avais malheureusement oubliée. L’oubli de cette pièce nécessaire nous eût, sans doute, apprêtés à rire si l’embarras où il nous mettait eût été moins sérieux. J’étais au désespoir qu’une bagatelle de cette nature fût capable de nous arrêter. Cependant, je pris mon parti, qui fut de sortir moi-même sans culotte. Je laissai la mienne à Manon. Mon surtout était long, et je me mis, à l’aide de quelques épingles, en état de passer décemment la porte. »