Vrai conte de Noël

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Ce matin à neuf heures je me trouvais à l’Espace insertion du 13e, où les assistants sociaux reçoivent les « bénéficiaires du RSA », autrement dit les plus déshérités. Dans la salle d’attente, des femmes et des hommes de tous âges. Blancs, tous.

Au bout d’un moment, entre un Noir, qui dit bonjour avec un léger accent d’Afrique. Mais lui ne venait pas chercher de l’aide. Il venait en donner. C’était l’un des avocats qui viennent apporter bénévolement, en plus de leur travail, une assistance aux plus pauvres, à ceux qui ne peuvent pas payer un avocat et sont donc bien plus susceptibles d’être escroqués par tous ceux qui se nourrissent sur le dos des gens en difficulté.

Dans un film ou un téléfilm français, on aurait la situation inverse : une salle d’attente pleine de pauvres noirs et basanés, et un avocat blanc. Car les producteurs n’ont jamais l’occasion d’aller chercher de l’aide dans un espace d’insertion et de voir ce que j’y vois chaque fois que j’y vais – notamment beaucoup d’assistants sociaux et d’autres employés d’origine immigrée, et beaucoup de Blancs sans travail ni revenus. L’élite ne voit que ses fantasmes et ses hantises, qui travaillent à étouffer la vie.

C’est avec lui que j’avais rendez-vous. Et en plus d’être gentil, de bonne volonté et de bon conseil, il était souriant et beau comme un dieu.

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Soyons papillons

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Excellents rêves cette nuit. Lumière du jour, eaux, grand air, nature, verdure, gens, proches, fête, amitié, amour, joie, paix.

Lorsque Kafka dit (dans son Journal, si je me souviens bien) : « Dans ton combat contre le monde, seconde le monde », voici ce que j’entends : continue à donner au monde matière à réagir contre toi, continue à lui faire révéler par réaction son mensonge, son tort, continue à avoir raison et à la lui signifier, seconde-le en lui faisant cracher son mal, en le lui faisant voir, en le dessillant, en lui faisant découvrir la bonne voie pour la vie.

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Luisa Coomaraswami, « Le Pont Périlleux du bonheur »

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Al-Khidr, Le Verdoyant, sorte d’ange ou d’être totalement accompli, commun à plusieurs traditions, serait présent notamment au centre du Coran comme guide de Moïse

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Je donne quelques passages du texte que Luisa Runstein Coomaraswami publia dans le numéro 8 du Harvard Journal of Asiatic Studies en 1944 (texte repris dans La Porte du Ciel, d’Ananda Coomaraswami, traduction de l’anglais par Jean Annestay). Il s’agit d’une étude comparative sur le thème du Pont Périlleux, qui s’exprime à travers toutes les traditions, soit dans les livres sacrés, soit dans le folklore. À méditer en ce temps de passage d’une année à l’autre.

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« Quand le Pèlerin aura atteint le « Bout du Monde », il n’y aura « plus de mer » (Apocalypse, XXI. I). Le « fleuve » ou la « mer » que le « pont » enjambe sépare le commencement de la fin.
Il est à la fois le temps et l’espace car « l’Année, en vérité, est l’Espace » (Shatapatha Brâhmana VIII. 4. I. II (…)

… et les « eaux » du cum transierit anima nostra aquas, quae sunt sine substantia [quand notre âme aura traversé les eaux qui sont dénuées de substance »] des Confessions (XIII. 7) de Saint Augustin et sur lesquelles seuls ceux qui sont « en esprit » peuvent avancer en toute impunité comme s’ils marchaient sur la terre ferme alors que les autres ont besoin d’un pont ou d’un bateau.

(…)

Cette « ancienne voie qui s’étend au loin (Brihadâranyaka Upanishad, IV. 4. 8) fut découverte et suivie par le Bouddha (Samyutta Nikâya, II. 100) comme elle le fut par les anciens brahmanes qui savaient que « Celui qui fait de l’Esprit (âtman) son Trouveur de Voie (cf. Brihadâranyaka Upanishad, I. 4. 7) n’est plus du tout souillé par la mauvaise action (Taittirîya Brâhmana, III. 12. 9. 8)

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Tout ceci trouve un parallèle dans le Mabinogion (L’Histoire de Branwen) où se trouve la sentence suivante : « Celui qui veut être le Chef, qu’il soit le Pont » et où ce Bendigeid Vran, en fait, « s’étend à travers le fleuve et des claies furent placées sur lui en sorte que l’armée, par suite, passa au-dessus ».
On retrouvera la base naturelle de la symbolique du Pont, bien entendu, dans la traversée réelle d’un pont d’une rive à l’autre ou d’un abîme sur la terre. Triompher d’une difficulté revient, en réalité, à la traverser ; ainsi, si nous faisons une erreur, quiconque nous corrige devient notre pontife (Aitareya Brâhmana III. 35) ; et de plus, l’édification de ponts terrestres en tant qu’acte de charité symbolise la construction du pont de l’immortalité et « les constructeurs de ponts sont destinés au ciel » (setukârakâ […] sagga-gâmino, Samyutta Nikâya, I. 33)

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C’est parce que le Fil de l’Esprit est à la fois si ténu et d’une métallique solidité que le Pont est si souvent décrit, dans la littérature traditionnelle, aussi bien comme un rayon de lumière qu’ayant la consistance d’un fil ou d’un cheveu, ou encore aussi tranchant qu’un rasoir ou le fil d’une épée, ou, s’il est en bois, comme constitué d’une poutre unique, extrêmement glissante et susceptible de s’enrouler ou de se dresser.

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Darmetester cite ces lignes d’un anonyme français sur le Pont menant de la Terre au Paradis :

Ceux qu’sauront la raison de Dieu
Par dessus passent ;
Ceux qu’la sauront pas
Au bout mourront

(…)

Nous n’avons pas besoin d’envisager maintenant le cas de ceux qui, ayant atteint la plus lointaine rive, peuvent aller à volonté d’un côté à l’autre (en tant que kâmâcârin) ; étant dans l’esprit, ceux-ci peuvent marcher sur les eaux ou voler dans les airs, devenir ponts, échelles ou vaisseaux pour les autres, ne plus avoir besoin d’autre moyen de locomotion. Ils possèdent le pouvoir de « se mouvoir à volonté dans tous les mondes » (Chândogya Upanishad, VIII. 4. 1. 3). Ceux-là peuvent aller et venir en toute impunité, sans être affectés par le fait que quelque forme qu’ils puissent prendre sous le soleil sera périssable. Mais pour ceux qui n’ont pas encore déjà atteint la rive lointaine, retourner est fatal ; il n’y a qu’une seule direction où poursuivre notre chemin : « de l’obscurité à la lumière, du non-être à l’être, de la mort à l’immortalité (Brihadâranyaka Upanishad I. 3. 28).

Qu’un symbole doive avoir des sens opposés selon les contextes est, bien entendu, parfaitement normal ; la polarité relève de la relativité de toutes les valeurs.

Le Pont étant notre Voie vers un but désiré, ceux qui le brisent sont manifestement des imbéciles.

(…)

Ainsi s’attarder sur le pont ou se cramponner au passé se fait-il au péril de chacun. Ce pont, tout bien considéré, n’est pas celui qui doit être atteint à la fin de notre vie mais celui que nous commençons à traverser à notre naissance dès notre premier souffle. Bien que notre pèlerinage soit temporel, le pont lui-même ne se situe pas dans le temps tel que nous l’entendons ; il est aussi étroit qu’un instant et comparable à un « tranchant de rasoir » car cet instant est un point sans dimension, divisant le passé du futur, les seuls temps que notre expérience nous permet de connaître ici. Cet instant, par conséquent, est l’heure fixée, et tout pas sur la Voie revient à marcher sur une corde raide. »

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« Quelle chimère est-ce donc que l’homme ? » Yuksel Arslan et Blaise Pascal

pascal-et-arslan-minJ’ai photographié cette oeuvre de Yuksel Arslan, artiste turc vivant à Paris, au musée d’art moderne Santralistanbul en novembre 2009

Je change le mot-clé « Peintures et dessins d’écrivains » en « Dessinateur et Écrivain », qui permet d’accueillir des œuvres où l’écriture est associée au dessin, que ce soit par le même auteur-artiste ou par deux personnes différentes, un artiste et un écrivain –  mon travail de recherche,  » poétique du trait », porte notamment sur le rapport entre écriture et dessin.

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