Mahmoud Darwich. Étrangers et poète. « Pour décrire les fleurs d’amandiers »

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« Nous sommes tous étrangers sur cette terre. Depuis son renvoi, Adam est étranger sur cette terre où il a élu domicile d’une façon passagère, en attendant de pouvoir revenir dans son Éden premier. Le mélange des peuples, leurs migrations ne sont que cheminements d’étrangers. La paix elle-même ne s’accomplit à certains moments de l’Histoire, que dans la mesure où elle est la reconnaissance par des étrangers d’autres étrangers. Si bien qu’il devient impossible aux uns et aux autres de savoir qui est le véritable étranger. Je fais la différence dans ma poésie entre l’étranger et l’ennemi. L’étranger n’est pas uniquement l’Autre. Il est aussi en moi. Je n’en parle pas pour m’en plaindre ou pour refuser l’Autre. Il est en moi. »

« Je me souviens d’une maison à l’orée du village où venait toutes les nuits un chantre qui racontait son histoire. Sa voix était mélodieuse et sa poésie belle. Puis il disparaissait avec le jour, car il était pourchassé par la police israélienne. C’est à ce chantre que je pensais dans mon poème « La terre » : « Le chantre chantait le feu et les étrangers, et le soir était le soir. » Cet homme traqué par l’armée israélienne, nous l’entendions de nuit, et il disparaissait le jour. Il portait le voyage dans sa voix, sa poésie et son chant. Il racontait son histoire de fugitif traqué. Sa quête des siens. Comment il escaladait les montagnes, descendait les vallées. J’ai alors réalisé que les mots pouvaient porter la réalité, ou l’égaler. »

Mahmoud Darwich, La Palestine comme métaphore

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Le 07 octobre 2007, le poète palestinien Mahmoud Darwich (en arabe : محمود درويش) lisait son poème “Pour décrire les fleurs d’amandier” au Théâtre de l’Odéon (Odéon – Théâtre de l’Europe). Traduction de l’arabe vers le français : Elias Sanbar. Lecture de la traduction française : Didier Sandre. Peinture : Vincent Van Gogh, “Amandier en fleurs”, 1890. “Pour décrire les fleurs d’amandier” :

Pour décrire les fleurs d’amandier, l’encyclopédie
des fleurs et le dictionnaire
ne me sont d’aucune aide…
Les mots m’emporteront
vers les ficelles de la rhétorique
et la rhétorique blesse le sens
puis flatte sa blessure,
comme le mâle dictant à la femelle ses sentiments.
Comment les fleurs d’amandier
resplendiraient-elles
dans ma langue, moi l’écho ?
Transparentes comme un rire aquatique,
elles perlent de la pudeur de la rosée
sur les branches…
Légères, telle une phrase blanche mélodieuse…
Fragiles, telle une pensée fugace
ouverte sur nos doigts
et que nous consignons pour rien…
Denses, tel un vers
que les lettres ne peuvent transcrire.
Pour décrire les fleurs d’amandier,
j’ai besoin de visites
à l’inconscient qui me guident aux noms
d’un sentiment suspendu aux arbres.
Comment s’appellent-elles ?
Quel est le nom de cette chose
dans la poétique du rien ?
Pour ressentir la légèreté des mots,
j’ai besoin de traverser la pesanteur et les mots
lorsqu’ils deviennent ombre murmurante,
que je deviens eux et que, transparents blancs,
ils deviennent moi.
Ni patrie ni exil que les mots,
mais la passion du blanc
pour la description des fleurs d’amandier.
Ni neige ni coton. Qui sont-elles donc
dans leur dédain des choses et des noms ?
Si quelqu’un parvenait
à une brève description des fleurs d’amandier,
la brume se rétracterait des collines
et un peuple dirait à l’unisson :
Les voici,
les paroles de notre hymne national !

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Van Gogh, Le Fauteuil de Gauguin et celui de La Berceuse


van gogh fauteuil gauguin-minVan Gogh, Le Fauteuil de Gauguin, Arles, décembre 1888

Vincent, lui, n’a qu’une petite chaise. Le fauteuil est pour Gauguin. Et Gauguin y brille par son absence. Pourtant Gauguin prend une place énorme dans la maison jaune de Van Gogh à Arles. Il en est en quelque sorte le chef, c’est ce que Vincent voulait, qu’il soit la figure inaugurale de cette maison qui dans son esprit devait fonctionner comme un monastère pour les artistes qui viendraient l’habiter, la liberté d’aller et venir en plus. Gauguin fait la cuisine, gère les affaires. Mais son cœur n’y est pas, les biographes le disent. Et cette peinture aussi. À la place de Gauguin, un bougeoir avec ses testicules et deux livres : l’autorité patriarcale dans sa brutalité physique et sa domination intellectuelle – désincarnée, symbolisée, tabouïsée. Gauguin, tout à lui-même autant que Vincent est tout à autrui, est absent d’ici par le cœur comme il l’est par le corps de sa femme et de ses enfants qu’il a abandonnés.

 

van gogh la berceuse-minVan Gogh, La Berceuse, Arles, janvier 1889

Dans le même fauteuil, ou un semblable, à partir de ce même mois de décembre 1888 qui se terminera par l’épisode de l’oreille coupée et le départ de Gauguin, à plusieurs reprises Vincent fait poser Augustine Roulin, la femme du facteur, en berceuse. Elle, est bel et bien là. Occupant généreusement la place, et reliée à la vie dont elle prend soin par cette cordelette tressée (pour Vincent, peindre et écrire relevaient d’un même geste) qui lui sert à animer le berceau, donner la paix au petit être qui s’y trouve. Dans quatre des cinq versions de ce tableau il lui fait une jupe verte, et dans toutes des feuillages et des fleurs dansent verticalement comme un ciel étoilé coloré autour d’elle. Sur trois d’entre elles, Vincent a mis son prénom sur l’accoudoir, pour ainsi dire dans son giron – ou pour dire que c’est son âme à lui qui est assise là. Il a sa place dans ce cosmos. S’il devient suicidé, c’est bien de la société, comme dit Artaud – de la société patriarcale qui martyrise le vivant, alors que « la Mère des secrets », « cette reine persécutée », comme dit René Char en référence à la Reine rimbaldienne, est « celle qui empêche les sables mortels de s’épandre sur notre cœur. »

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La révolution anarchiste espagnole de 1936, puissante source d’inspiration

Liberté.

« L’unique solution qu’a l’humanité pour pouvoir bien vivre. »

Sans riches ni prêtres, sans gouvernement, meilleur vivre, meilleure production, meilleure intelligence, meilleure solidarité.

Ils l’ont prouvé. Par leur bonheur et par leurs performances.

« L’avenir appartient à ceux qui osent. »

 

Autre dimension

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Cette nuit en rêve, entrée dans ma thèse en couleurs, qui se transformait en maison, belle maison lumineuse entourée d’un jardin très vert, tout en étant textes dans lesquels il était loisible d’aller et venir.

Le rêve n’est ni imaginaire ni rêverie mais expérience et réel.

Avant-hier j’ai eu la fève (une petite chouette en céramique) juste après avoir lu cette phrase de René Char sur Rimbaud, dans Recherche de la base et du sommet : « Il sait la vanité des renaissances, mais plus et mieux que tout, il sait que la Mère des secrets, celle qui empêche les sables mortels de s’épandre sur notre cœur, cette reine persécutée, il faut tenir désespérément son parti. »

Et hier à la bibliothèque j’ai lu ces autres phrases de Char, dans Le Nu perdu, « Dans la pluie giboyeuse » : « Quelques êtres ne sont ni dans la société ni dans une rêverie. Ils appartiennent à un destin isolé, à une espérance inconnue. Leurs actes apparents semblent antérieurs à la première inculpation du temps et à l’insouciance des cieux. Nul ne s’offre à les appointer. L’avenir fond devant leur regard. Ce sont les plus nobles et les plus inquiétants. » Et j’ai songé, ni à quelque grand poète ni à quelque autre « grand homme », mais à la plus humble personne que j’aie jamais rencontrée, une personne qui, de son élocution difficile, me parlait d’étoiles et de pierres, et qui, un jour, dans la montagne, me raconta l’un de ses rêves.

C’est pourquoi, a dit aussi René Char, « Le poète est la partie de l’homme réfractaire aux projets calculés (…) [il] ne meurt pas forcément sur la barricade qu’on lui a choisie. » Et pourquoi aussi il a défini son recueil Fureur et mystère comme « un dire de notre affection ténue pour le nuage et pour l’oiseau. »

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