Forêts paisibles, « appropriation culturelle » et Krump

Dans la suite de l’appel à la liberté de Forêt profonde (note précédente), deux interprétations du joyeux et merveilleux rondeau des « forêts paisibles » dans les Indes galantes de Jean-Philippe Rameau. Celle-ci, dans une mise en scène d’Andrei Serban, décor et costumes de Marina Draghici, direction des Arts florissants par William Christie, avec Patricia Petibon et Nicolas Rivenq :

 

 

Une interprétation régulièrement accusée d’ « appropriation culturelle », avec des arguments tels que « Atrocious, inexcusable and insulting cultural misappropriation. Seriously, Europe, you gotta do better. C’est affreux ». Ou encore : « mise en scène grotesque qui ne passerait plus aujourd’hui, en tout cas au Canada et Etats-Unis. Les Indiens ne sont pas identifiés, de quelle nation s’agit-il ? En fait ce sont des indiens imaginaires stéréotypés et ridiculisés, tels que vus par des européens qui n’y connaissent rien. Le calumet de certaines tribus (qui prend des formes différentes) est remplacé par une pipe. L’héroïne porte un chapeau de plumes (ces chapeaux ne sont portés que par des hommes de certaines tribus, et pas par des femmes). Les danses sont ridicules, etc, etc. »

Accusations auxquelles j’ai apporté ces réponses, dans les commentaires de la vidéo : Ne confondez pas imaginaire et réalité ! Ou bien vous détruisez toute la littérature et tout l’art, comme les intégristes religieux. Si vous les trouvez ridiculisés, c’est votre regard qu’il faut interroger pour savoir où est le racisme. Moi je les trouve extrêmement gracieux. J’ai déjà été confrontée à cette réaction de Nord-Américains, là-bas le concept d’appropriation culturelle est le nouveau tabou. Mais personne ne trouve rien à redire aux westerns spaghetti, par exemple. Et les Amérindiens portent des jeans ou des chapeaux de cow-boys sans qu’on crie à l’appropriation culturelle. C’est de l’iconoclasme à géométrie variable.

Voici maintenant ce même rondeau, dit « baroque » (ne perdons pas de vue que cette qualification est elle-même une interprétation datant de l’époque moderne) mis en scène par Clément Cogitore avec des danseurs de Krump, style de hip-hop violent inventé dans les ghettos de Los Angeles, sur une chorégraphie de Bintou Dembele, Grichka et Brahim Rachiki. Ici cette dernière entrée de l’opéra-ballet intitulée « Les Sauvages » trouve sa grâce dans une expression plus terrienne, plus chtonienne des habitants de la forêt (n’oublions pas que sauvage signifie, étymologiquement, « de la forêt »). Le Krump est une danse révolutionnaire, qui dit la rage et la joie de vivre de jeunes générations grandies dans un monde hostile, qu’elles parviennent à dépasser comme la nature sort de terre au printemps. Une sorte de Sacre du printemps.

 

 

Vinceremos.

*

Discours à l’oiseau

Le rouge-gorge est un oiseau solitaire, mais il ne répugne pas à approcher les êtres humains. Alors je me suis mise à lui parler, sachant qu’il m’écouterait et qu’ensuite, peut-être, par les voies mystérieuses de la Langue, il leur rapporterait ma parole.

(…)

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« Petit oiseau, lui dis-je, sais-tu ce que je vois ?

(…)

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Défait de ses colonies, ce pays s’est auto-colonisé selon le même esprit de profit par l’exploitation de ses forces vives, empêchées dans le même temps d’accéder aux pouvoirs économique, politique, médiatique. Systématiquement désespérées en même temps qu’exploitées et tour à tour fustigées ou flattées.

Même démasquée, l’imposture perdure, rien ne semble pouvoir l’empêcher de régner. Voilà trente ans que les nouveaux philosophes ont accédé à la parole par une stratégie de maîtrise des médias, au détriment de l’élaboration d’une pensée réelle. Le système, étendu au monde politique, artistique, intellectuel, est désormais général et verrouillé. D’autant qu’il s’est allié aux détestables vices de notre nation, le règne de l’administration et le sens aigu des hiérarchies sociales. Rigidité de ce pays pour moitié peuplé de secrétaires toujours prêts à faire barrage, à tout propos. Cette culture des « privilèges ». Cette terre que de tous bords on n’en finit pas de vouloir s’approprier et cadenasser.

Cessons de fantasmer sur les dangers de la Machine, la Machine n’est dangereuse qu’en servante du Système et c’est lui qu’il faut combattre, c’est de lui qu’il nous faut nous débarrasser et débarrasser ce vieux pays que nous aimons pourtant, ce vieux pays auquel nous pourrions faire tant de bien s’il renonçait à se préserver en nous fermant sa porte au nez. Si nous renoncions à venir manger à ses pieds les miettes qu’il nous jette comme aux moineaux. S’il renonçait à ne nous faire fantasmer à l’exposition de ses appas que pour mieux se dérober.

Ne vous battez pas entre vous. Jeunes du monde entier, soyez solidaires contre vos vieux ogres, remettez-les à leur place qui devrait être noble et qu’ils ont souillée comme le reste, et ce faisant, prenez aussi la vôtre. Dans votre monde, un monde qui attend que vous lui rendiez l’éternité, c’est-à-dire la possibilité d’être transmis. »

De temps en temps, l’oiseau pépiait pour me répondre, puis il inclinait un peu la tête en fixant sur moi son œil vif, comme pour m’encourager à poursuivre. Je continuais, et peu à peu c’était le chevreuil aussi, la pierre et le hêtre qui parlaient à travers moi, peu à peu ce n’était plus moi mais la voix de toutes les voix qui parlait à travers moi.

jardin 3-min

« Il y a un point, tu le sais mieux que personne toi l’oiseau, où la précarité et la pérennité se rejoignent. Apprendre à vivre précaire, c’est apprendre à vivre. Dieu dans le désert distribue jour après jour la manne, il suffit de le savoir pour qu’il en soit ainsi.

Mais le vivre demande une foi, c’est-à-dire une force, dont l’homo consommator est devenu incapable. Seuls les habitants des pays pauvres, les migrants, les aventuriers peuvent encore porter en eux cette force. C’est en te regardant vivre, oiseau, que je veux dire à l’homme : Sois l’aventurier de ta vie !

Ne crains pas de perdre tes biens du jour au lendemain.

Ne te laisse pas posséder par ce que tu possèdes ou désires posséder.

Je te parle de ce que j’ai connu, de ce que je connais.

Cela suppose non pas que tu renonces à te battre, mais que tu combattes chaque jour contre toi-même.

Cela suppose que tu renonces à trop attendre de la société, qui est alors ton pire ennemi.

Ne demande pas davantage de subventions, d’allocations, de lois pour te protéger. Ce qu’il faut ce n’est pas demander, c’est prendre. Ce qu’il faut prendre ce ne sont pas des garanties, ce sont des libertés.

Comme le bonheur est une somme de moments heureux qu’il ne tient qu’à toi de saisir et de vivre, la liberté est une somme de libertés, y compris de petites libertés prises ici et là avec telle coutume, telle bienséance, telle loi, telle bien-pensance, tel discours, telle vision.

Ne t’imagine pas que pour être libre il te suffit d’être libre dans ta tête. Ne t’imagine pas non plus que pour être libre il te suffit de satisfaire tes désirs. Ta liberté d’esprit est limitée par l’exercice que tu en fais : si tu ne l’appliques pas dans les actes concrets de ta vie, elle devient une machine infernale et mortifère. Ta liberté d’action est limitée par la pensée que tu en as : agir sans connaissance de cause n’est pas le fait d’un homme libre mais d’un enfant encore dépendant.

Choisis toi-même les bornes que tu dois poster ou franchir sur le chemin de ta liberté. La liberté est un chemin à faire à chaque instant, l’homme libre est toujours en marche.

Combats chaque restriction de ta liberté que la société t’impose ou tente de t’imposer (le plus souvent, elle n’y parvient qu’avec ton consentement). Essaie par tous les moyens d’identifier et de contourner les obligations et les mots d’ordre. Toutes les règles auxquelles le monde moderne t’oblige à te soumettre, notamment les horaires et les formalités administratives, compense-les par une prise de libertés supplémentaires, ailleurs. Si tu ne peux franchir une frontière sans passeport, rien ne t’oblige à voyager en suivant les guides.

Sache entendre l’autre parole que porte une parole.

Ne perds pas ton énergie à chercher à gagner autre chose que ta liberté, car gagner sa liberté c’est gagner tout le reste, y compris de quoi nourrir son corps, son âme et son esprit. Gagner chaque jour sa liberté, c’est aussi gagner l’accès à l’amour vrai et à la connaissance supérieure. Gagner sa liberté, c’est vivre vivant.

Je te parle d’une vie que j’ai menée, que je mène. D’un combat que je pratique. Et qui est la nature de l’être.

L’amour et la connaissance, n’est-ce pas ce que tu peux te souhaiter de mieux ? N’est-ce pas le seul devenir perpétuel que tu puisses t’offrir ? N’est-ce pas ce que tu peux offrir de mieux aux autres, ton meilleur être ? N’est-ce pas le seul mieux-être, et la meilleure arme contre les forces négatives, le mal engendré par la haine et l’ignorance ?

Quels que soient ton origine sociale et culturelle, ta nationalité, ta couleur de peau, ton sexe, ta date de naissance, ne les tiens jamais pour acquis.

N’essaie pas d’entrer dans un moule mais n’essaie pas non plus de dominer ta vie. Considère-la comme une monture, cheval ou moto, serre-la convenablement entre tes cuisses et conduis-la, mais en respectant sa façon de se mouvoir. Ne t’imagine surtout pas que tu peux mépriser son fonctionnement pour n’en faire qu’à ta tête ; ni qu’il suffit d’avoir le cul sur la selle pour qu’elle t’emmène quelque part.

Apprends à lire les livres (lire vraiment), à déchiffrer le monde, à entendre la langue des oiseaux, des arbres, de la mer. Ne perds pas ton temps à essayer de te connaître toi-même si tu n’as pas d’abord appris à parler avec tout ce qui parle, c’est-à-dire tout. L’introspection, la philosophie, la psychanalyse, les religions ne font que t’enfermer davantage entre les murs de ta prison si tu ne t’en es pas d’abord échappé.

Quel que soit le processus dans lequel tu t’engages, ne le fais pas en espérant ta liberté, fais-le en homme déjà libre. Même les périodes de servitude, volontaire ou non, même les moments de grande souffrance ou de grande jouissance, et ni la gloire ni l’humiliation, ne doivent pouvoir entamer ta liberté.

Ta liberté doit savoir et admettre qu’elle ne peut être que relative : elle n’en sera que plus farouche et solide. Personne ne naît libre, mais il est possible de mourir infiniment plus libre qu’à sa naissance. Regarde ce qu’il en est : la plupart n’ont fait au cours de leur vie qu’épaissir les murs de la prison autour d’eux. Et il en sera de même pour toi, si tu ne combats pas chaque jour.

Apprends à voir de tes propres yeux. Kafka dit qu’il faut se laver les mains le matin en se levant avant de se toucher les yeux. Pourquoi ? Pour la même raison qui fait écrire à Nietzsche qu’il faut savoir ressortir propre même d’une situation malpropre. L’homme est appelé à mettre la main à toutes sortes de pâtes au cours de sa vie et souvent il le fait de nuit, c’est-à-dire les yeux fermés, sans avoir conscience de ses actes sur le moment. Il s’agit de ne pas laisser les mains souillées contaminer le regard, de ne pas porter la boue à ses yeux, ni même la pâte à gâteau, il s’agit de préserver la possibilité de voir l’invisible, la vérité qui ne se montrent qu’aux pupilles pures et saines.

La précarité isole, fragilise, déshabille, déshonore aux yeux de la société. Elle est porteuse de grandes angoisses, jusqu’au moment où l’on s’est assez combattu soi-même pour l’accepter pleinement. Alors elle, la condition primitive de l’homme, devient tout simplement le mode idéal d’existence, le seul mode d’existence et de vie possibles, la seule révolution permanente. Alors soudain elle pourvoie à tous tes besoins sans effort, de même que la température du corps se régule elle-même et permet de s’adapter aux aléas des saisons.

Être précaire c’est être nu : un cauchemar, un vice, une honte, une peur, une transgression, un rêve, une joie ? Si c’est une joie, tu verras que bientôt tes yeux se déshabillent aussi : tombée la croûte de peinture, le chef-d’œuvre t’apparaît, et tu entres dedans.

Hier au jardin, photos Alina Reyes

Hier au jardin, photos Alina Reyes

 

Je suis Blanche et je suis Noire, je suis Femme et je suis Homme, je suis Vieille et je suis Enfant, je suis Putain et je suis Vierge, je suis Eau et Feu, Jour et Nuit

vierge noire, femme-enfant, soleil-lune, mâle-femme, œuf-ancêtre,

vieux chamane accroupi je dessine dans le sable du désert australien, jeune prêtresse virevoltante je joue avec les noirs taureaux de Crète, rocker torse nu debout sur une immense scène je chante à la face d’une foule innombrable, femme fatale couchée sous le ciel je manipule les joyaux de mes clients et j’allaite les âmes,

je suis de tous les temps, de tous les sexes, de tous les pays, de toutes les fêtes, de toutes les tragédies, de toutes les couleurs, de toutes les formes, de toutes les langues, de toutes les religions, de toutes les folies,

je suis la sagesse même,

les animaux s’étirent dans mon corps,

je suis libre !

C’est à toi de te lever, te lever du livre

Pars bouge-toi

Aime un homme ou une femme fais-lui des enfants sauvages restez unis tout le temps de votre aventure soyez heureux

Dédaigne les écoles et les frontières, respecte les écoles et les frontières que tu auras toi-même créées et fixées

Sois sans modèle

Aime sans mesure

Souffre sans peur

Jouis sans le vouloir

Trouve un maître spirituel, dépasse-le, dépasse-toi toi-même

Lance-toi dans l’expérience des limites puis bondis dans l’illimité

Sois de partout

Dépasse l’imagination

Dépasse-la en actes et en être

Sois courageux

Refuse ta lâcheté

Aie du cœur à l’ouvrage, à l’honneur et à l’amour

Accepte ton royaume.

Le royaume c’est le réel, parce que le réel c’est le spirituel.

Espérance, vieux fardeau de l’humanité désespérée. N’espère pas. C’est là, tout de suite, qu’il faut vivre et agir.

Rends grâce à l’inutile.

Que ta vie soit poétique, chaque jour, chaque nuit, à chaque instant. Qu’il en soit ainsi, et nulle instance n’aura de pouvoir sur toi.

Cherche en toi le sens du mot « poétique ».

Ne cherche pas le bonheur dans une vie rêvée.

Ne le cherche pas dans l’art ni dans la littérature. Ne le cherche pas dans la religion. Ne cherche pas le bonheur, aime et vis.

Ne crois pas en l’infini. Ne crois en rien. Ce à quoi tu veux croire est en réalité l’implantation du néant en toi.

Retourne-toi, fais face à ce qui te poursuit, combats loyalement.

Fracasse le miroir. Quand tu sauras que le royaume ceint d’un miroir n’est pas encore le royaume.

Être puissant n’est pas régner sur soi ni sur autrui. Qui veut régner est appelé araignée, comme a dit le poète. As-tu envie d’une existence d’araignée ? La puissance est dans la foi.

La foi c’est juste adhérer à la vie, à la ruche de sens de la vie. Être relié aux circuits qu’ils empruntent par et depuis toutes les dimensions. La foi, c’est être au centre des sens l’absolu de la justesse. Souviens-toi : il ne s’agit pas d’avoir la foi, il s’agit de l’être. Sois la foi.

Sois souple, écoute la Langue, réponds, ajuste-toi, navigue.

Sois souple vraiment, car voici l’aube des déchirures et des passages entre les dimensions, voici le nouveau monde et les nouvelles vies à inventer.

Sois doux, sois douce.

Que le chant te porte. »

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Extrait de mon roman Forêt profonde, éd. Le Rocher, 2007

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Le temps de méditer et de créer

balade 2-minOù est le lecteur ?

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balade 3-minOù sont les promeneurs ?

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balade 4-minOù sont les oiseaux ?

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balade 5-minOù est le bateau ivre ? (L’homme aux semelles devant, sculpture de Jean-Robert Ipoustéguy en hommage à Rimbaud, dit par Verlaine « l’homme aux semelles de vent » )

balade 6-min

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balade 7-minOù sont les gens ?

balade 8-min

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balade 9-minPourquoi pêchent-ils la ferraille avec un aimant ?

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balade 11-minOù allons-nous ?

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balade 10-minOù joue la lumière ?

Hier à Paris, photos Alina Reyes

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Jung raconte qu’il a pris conscience de lui à l’âge de onze ans. Moi, je l’ai raconté aussi, ce fut à l’âge de deux ans, dans la lumière, vêtue d’un maillot de bains jaune.

Après cette belle balade en amoureux, j’ai fait cette nuit des rêves excellents, auxquels je veux obéir.

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Donner lieu à l’utopie

 

Partout où nous vivons,
partout où nous allons,
réalisons
l’utopie.

Un maître de yoga a dit :
La méditation c’est le combat
de l’esprit contre l’âme
et la victoire de l’âme.

Je médite et je dis :
l’âme est l’esprit réalisé.
Dans le corps vivant.

L’âme est la partition jouée
Le jeu qui donne lieu
à ce qui n’a pas d’autre lieu
que le corps vivant,
le monde vivant.

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Estas Tonne, né en Union Soviétique (Ukraine), a vécu en Israël puis aux États-Unis. « Troubadour des temps modernes » selon sa propre définition, il circule avec sa musique dans le monde entier.

 

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À toutes et tous les mutilés de la macronie

Autoportrait dans mon bureau, ce 14 février 2019

Autoportrait dans mon bureau, ce 14 février 2019

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J’ai perdu un sein au combat, ce qui n’est rien, par rapport à perdre un œil ou une main, comme il est arrivé à tant de nos concitoyens sous les coups de la police macronienne. « Les dictatures ne sont pas seulement dangereuses, elles sont aussi vulnérables, car le déploiement brutal de la violence suscite un peu partout l’hostilité », écrit Ernst Jünger dans son Traité du rebelle ou Le recours aux forêts, notant « l’hypertrophie de la police » dans de tels régimes, auxquels « il faut désormais mettre tout citoyen sous surveillance ».

« Le recours aux forêts – ce n’est pas une idylle qui se cache sous ce mot. Le lecteur doit bien plutôt se préparer à une marche hasardeuse, qui ne mène pas seulement hors des sentiers battus, mais au-delà des frontières de la méditation. » Et cette petite note, écrite après avoir écouté en boucle « Bella ciao » par Manu Chao et commencé à lire ce livre, avance comme l’indiquent ces premières phrases de Jünger. La perte de mon sein m’a un peu attristée mais ne m’a pas traumatisée. En passant devant la glace, j’ai saisi mon appareil et j’ai photographié la dissymétrie entre mon sein naturel et mon sein en reconstruction – avec un « expandeur » qui sera remplacé au printemps par une prothèse en silicone à l’effet plus naturel, sans ce bombé un peu aplati d’aujourd’hui qui lui donne l’air de déborder d’un corset, alors que son rond camarade pèse gracieusement.

Non, la perte de mon sein ne me pèse pas. My burden is light, comme je le chantais avec Handel et le chœur. Rien ne me pèse, sinon d’avoir pris un peu de poids à cause du traitement. Je suis passée de la taille 36 au 38, ce n’est pas énorme, mais tout de même j’aimerais retrouver mon ancienne sveltesse. Il m’importe d’être légère. Cela reviendra, je pense, au cours du chemin. Après des années et des décennies de lutte littéraire pour la vérité, mon corps a pris sur lui le cancer du monde extérieur qui m’était opposé comme celui des manifestants blessés a pris la violence du monde extérieur. Et c’est par cette violence que, comme le dit Ernest Jünger, le monde des violents finit par tomber. La macronie tombera. Ainsi que ce qui l’a faite et ce dont elle est porteuse.

 

la liberté,

 

Nous n’avons pas désiré être mutilés. Mais c’est librement que nous sommes allés au combat. C’est pourquoi nous pouvons estimer être désormais augmentés d’une « mutilation qualifiante », selon les mots de Claude Sterckx dans son livre sur La mythologie du monde celte. Voici ce qu’il écrit :

« Un thème important des mythologies indo-européennes – et celtes – est celui qui lie les pouvoirs majeurs surnaturels et spécifiques d’un dieu à la perte consentie de ce qui en permet naturellement l’exercice.

Ce peut être un organe physique : Fortune (la Fortune), autrement dit le destin tracé d’avance pour chacun, est aveugle ; le Scandinave Odin obtient la voyance omnisciente en s’arrachant un œil ; son collègue Tyr obtient le patronage de la bonne foi en sacrifiant sa main droite – celle qui prête serment – dans un parjure ; le dieu impulseur (celui qui met le monde en mouvement) de l’Inde, Savitr, n’a plus de mains ; dans toutes les mythologies, la déesse-mère paie sa fécondité de cette « mutilation » paradoxale qu’est sa virginité perpétuelle…

Ici, l’amputation du bras de Nuadha le qualifie à la fois comme guerrier – la main qui tient le glaive – et comme roi, car la mission essentielle du souverain est de redistribuer justement entre ses sujets tout ce que sa dignité met sous son contrôle. »

Nous sommes les reines, les souverains : nous avons pour mission de « redistribuer justement ».

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Couleurs des rues

Quelques photos de tags nouveaux et autres dans mon quartier. Je suis allée voir les portraits de Simone Veil restaurés par leur auteur, C215, place d’Italie (cf note précédente). Depuis qu’ils sont là, il n’était pas rare d’y voir, avant les croix gammées qu’il a effacées, des signes de passage des chrétiens opposés à l’avortement, notamment des ours en peluche et autres doudous posés sur les boîtes à lettres où elles sont peintes, et des inscriptions au sol dans les parages.

J’ai trouvé en chemin un petit cadeau d’amour pour la Saint-Valentin, demain.

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paris 13 1-min

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paris 13 3 nouvel an chinois-minAujourd’hui à Paris 13e, photos Alina Reyes

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Antisémitisme : signe d’une maladie sociale prospérant sur l’élitisme

Recrudescence des actes antisémites. Le démon européen millénaire se nourrit des crises, vampirise les temps troublés, les mouvements sociaux, les changements sociétaux, les instabilités politiques, les pics d’injustice structurelle de masse. L’antisémitisme est le très vieux ver dans la pomme du catholicisme et, de par les connivences historiques de ce dernier avec les régimes d’extrême-droite et autres fascismes, le nerf de la guerre des partis et groupuscules des idéologies combinant nationalisme, xénophobie et haine de la démocratie. Deux portraits de Simone Veil ont été récemment souillés d’une croix gammée place d’Italie à Paris ; place du Panthéon, en septembre dernier, quatorze de ses portraits ont été souillés d’une croix chrétienne.

L’antisémitisme est aisément identifiable, parce que revendiqué, à l’extrême-droite et chez beaucoup de musulmans gagnés par le besoin de boucs émissaires ou simplement imprégnés du racisme ordinaire qui a cours entre peuples qui cohabitent ou voisinent depuis longtemps, et se ressemblent tout en voulant se distinguer (racisme qui fonctionne pareillement chez beaucoup de juifs envers les musulmans, sans la même violence en Occident mais avec une violence au moins équivalente en Israël). Mais il est aussi répandu dans toute une société apte à cacher ses passions mauvaises derrière des masques de respectabilité, voire de progressisme et d’antiracisme. On le voit notamment ces jours-ci avec la révélation des méfaits de la ligue du LOL, persécutions sexistes, homophobes, racistes et antisémites de la part de journalistes d’une presse prétendument féministe et antiraciste.

Cette funeste ligue n’est en fait qu’une reproduction de la société dans laquelle nous vivons, et singulièrement du macronisme. L’ex-community manager de Macron en faisait d’ailleurs partie, et s’est empressé d’effacer des centaines de tweets de son compte ce week-end. Les trentenaires de la ligue sont les mêmes que ceux du boys’ club de Macron, ces petits mecs sans expérience chargés de le conseiller et de lui proposer des éléments de langage. Dans la ligue du LOL comme à l’Élysée, il s’agit de manipuler le langage afin de manipuler l’opinion, manipuler les gens jusqu’au harcèlement – faut-il encore rappeler la litanie des insultes et autres mesures de rétorsion de Macron envers les classes populaires qu’il faut empêcher d’accéder au pouvoir, comme il fallait à la ligue des ordures du journalisme empêcher des femmes, entre autres, d’accéder aux postes qu’ils se réservaient. La prétention à l’antiracisme n’est bien souvent que la façade ravalée d’un immeuble pourri – en témoignent notamment les dérapages de Macron sur le kwassa-kwassa ou le Gitan qui ne saurait parler normalement.

L’antisémitisme est un racisme, et tout racisme comprend tous les racismes. On ne peut pas être à la fois raciste et antiraciste, antisémite et antiraciste, islamophobe et antiraciste, etc. Le racisme repose sur la croyance aux races. Les racistes pensent qu’ils ne sont pas racistes si leur racisme vise les juifs, ou les musulmans, ou d’autres groupes de telle ou telle confession, telle ou telle culture qu’ils disent ne pas distinguer par leur couleur de peau mais par leur confession ou leur culture. Ce raisonnement primaire ne fait que prouver leur racisme, leur croyance au partage de l’humanité en races selon les apparences physiques. Tout racisme se justifie par de bonnes raisons, en réalité faussées ou entièrement fausses.

Contrairement à ce que croient les racistes et les sexistes, même quand on le veut on ne réduit jamais des humains à leur physique ou à leur sexe. Comme le disait le juif Jésus, les pires fautes que nous commettons sont les fautes contre l’esprit (et il avait entrepris de démolir l’élitisme présent dans sa culture, cette faute contre l’esprit). Le racisme et le sexisme sont des fautes contre l’esprit. Croire que des apparences physiques différentes seraient la marque de races ou d’humanités différentes, c’est nier que l’humanité est une, animée dans ses variations par un même esprit, et que l’humain est le semblable de l’humain. Le racisme, qu’il soit dirigé contre des traits physiques ou contre des traits culturels, crée l’élitisme, qui à son tour démultiplie les formes de racismes, dont les racismes de classe tellement à l’œuvre dans notre société, et exaltés par le macronisme.

De même qu’il existe un alcoolisme mondain, il existe un racisme mondain, dont l’antisémitisme n’est qu’une des formes de la peur de soi et de l’autre, si fréquente en particulier chez ceux et celles qu’animent des pulsions de domination, que ce soit dans les sphères privées (famille…) ou dans les sphères publiques du pouvoir. Comme en témoigne le blogueur Korben, l’une des victimes de la ligue du LOL : « La plupart de ces harceleurs sont calculateurs, manipulateurs, sans aucune empathie pour leurs victimes. Et pourtant leur visage social est joyeux, souriant, humoristique, cultivé, sympathique. Ils occupent quasiment tous de bons postes où ils peuvent dominer et il est impossible de les démasquer tant que l’on n’a pas été une de leur cible. »

L’interdit qu’ont heureusement réussi à imposer les juifs sur l’antisémitisme, dans une civilisation qui les a persécutés pendant des siècles jusqu’à tenter de les exterminer totalement, a rendu cet antisémitisme plus difficilement avouable, souvent même à soi-même ; et beaucoup l’ont remplacé par l’islamophobie, un racisme sur lequel ne pèse pas le même tabou. L’islamophobie est devenu un élément ouvertement rassembleur des Français dits de souche comme l’antisémitisme le fut ouvertement en d’autres temps. Dans La fin de l’intellectuel français ? De Zola à Houellebecq, Shlomo Sand écrit : « Feuilleter les numéros de Charlie, de 2006 à 2015, provoque la stupéfaction. (…) L’islam est bien plus qu’un « détail » dans l’existence hebdomadaire du journal. (…) Dès qu’il s’agit de l’islam, tous les freins sont levés : les musulmans sont toujours répugnants, repoussants et même, la plupart du temps, menaçants et dangereux. Les dessinateurs de Charlie raffolaient particulièrement du postérieur de Mahomet, de ses testicules (…) Il y avait plus que de la laideur dans cette représentation méprisante et irrespectueuse de la croyance d’une minorité religieuse (…) Il est surprenant de voir combien les juifs « sémites » d’hier ressemblent au musulmans « sémites » d’aujourd’hui : même laideur du visage et même nez, long et gros. (…) Cette caricature répugnante… Ce type de dessin n’est pas dirigé contre les intégristes, ni contre les princes saoudiens, et n’a pas non plus pour objet la défense des femmes (…) Il est interdit de prôner la stigmatisation d’un groupe d’humains du fait de son origine, de son genre, de ses orientations sexuelles ou de sa religion. (…) Pourquoi plus de quatre millions de Français ont-ils défilé sous un slogan qui les identifiait à un journal islamophobe et totalement irresponsable ? » Shlomo Sand développe dans le même livre un chapitre sur la promotion médiatique inouïe faite à Houellebecq et à son islamophobie, notamment lors de la publication de son roman Soumission. Constatons que ce sont les mêmes organes de propagande qui ont porté au pouvoir Emmanuel Macron et son racisme social, entre autres. Et comprenons que la recrudescence des actes antisémites est un indicateur, telle une éruption de fièvre, de la maladie bien plus généralisée de tout un corps social.

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