Rien de tel que les grèves de la RATP pour faire fleurir les paysans de Paris, comme disait Aragon : les piétons et les gens juchés parfois à 2 sur de vieux biclos (Mme Hidalgo nous ayant retiré la jouissance d’un bon service nommé Vélib et les vélos neufs étant aussitôt achetés aussitôt volés, chacun cherche la bécane la moins tentante possible). Pour ma part, aujourd’hui, j’ai carrément chaussé mes godillots de montagne. Et j’ai cueilli quelques aperçus poétiques en chemin, les voici :
une expo photographique très graphique à l’Institut culturel irlandais : Roseanne Lynch
et dans une vitrine la tête de Mathieu Ricard électroencéphalogrammée, parée comme celle d’une danseuse orientale
Soleil couchant sur le jardin du LuxembourgAujourd’hui à Paris 13e et 5e, photos Alina Reyes
Ces jours-ci au Jardin des Plantes, photo Alina Reyes
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Je lis les infos et je n’ai plus envie de commenter. Je vois tomber des icônes dont j’avais dénoncé la fausseté quand elles étaient idolâtrées. Je vois advenir des iniquités, des restrictions de liberté, des haines sans retenue, dont je prévenais depuis longtemps. Je vois le résultat de mécanismes que j’avais repérés. Cassandre, un job qui ne paie pas mais se paie. Cher. Raison pour laquelle beaucoup ne le pratiquent que masqués. Ainsi prolifèrent les annonces de mauvais augure. D’après un poète mort, là où croît le péril croît aussi ce qui sauve. Pas toujours, pauvre Hölderlin. Les assassins s’imaginent que tes vers justifient leurs crimes. Où croît le péril croît aussi ce qui tue. Je ne suis pas collapsologue, simplement étudiante et voyante, comme tous les poètes – même s’ils n’ont pas toujours complètement « raison ». Au moins assument-ils leur parole : déchirant ainsi l’écran entre l’humanité et elle-même.
Depuis juillet dernier, tous les matins au lever, sans exception, j’ai pratiqué le Yoga. Depuis peu, je le pratique aussi le soir au coucher. J’ai commencé fin 2018 par un cours de Kundalini Yoga suivi en salle, une heure et demie par semaine – mais je n’y allais pas toujours, je n’en faisais pas à la maison, et le Kundalini Yoga est une pratique à part, très liée au Sikhisme, contrairement à toutes les nombreuses autres sortes de Yoga qui peuvent être rangées dans la classe générale du Hatha Yoga.
Au début, en juillet, je pratiquais à la maison vingt à trente minutes chaque jour, puis j’ai augmenté progressivement jusqu’à une heure et plus quotidienne. Une fois bien rassouplie et remusclée par cet entraînement (je compte bien sûr m’assouplir et me muscler encore), je pratique depuis quelques semaines entre quarante-cinq minutes et une heure et demie chaque matin, et une dizaine de minutes la nuit avant de me coucher. Grâce aux nombreux cours qu’on peut trouver en ligne, avec divers professeurs de divers pays ayant chacun une manière différente, je pratique toutes sortes de Yoga : Hatha Yoga et ses nombreuses variantes, Yin Yoga, Vinyasa, Sri Sri Yoga, Nitya Yoga, Sivananda Yoga, Power Yoga, Yoga/Pilates ou Yoga/Danse, Yoga Nidra – la liste n’est pas close, je m’essaie à tout ce que je trouve. Et je continue à pratiquer le Kundalini, un Yoga qui me rapproche de l’Islam en célébrant Waheguru, et du Principe féminin créateur, au moins une fois par semaine. Selon les jours, selon ce dont j’ai besoin, je choisis des séances plus ou moins intenses physiquement, un yoga rapide ou lent, demandant plus ou moins d’efforts ou d’étirements, et des temps de pranayama (exercices de respiration) et de méditation plus ou moins longs. J’ai aussi mes propres rituels, en début et en fin de séance. Parfois aussi, notamment si je ne suis pas à la maison, je construis mes séances moi-même, pour au moins une vingtaine de minutes, sur un tapis de fortune à l’hôtel ou autre.
J’accompagne ma pratique physique de nombreuses lectures, dont on peut trouver trace ici (mot-clé Yoga), sur la philosophie du yoga mais aussi sur les asana et le pranayama (les postures et la respiration), détaillés dans des ouvrages traditionnels ou modernes ou dans des magazines spécialisés. Et je marche en moyenne une heure par jour, cela fait partie de mon Yoga personnel, ma sadhana, mon ascèse yogique, que toute yogini et tout yogi continue à vivre toute la journée quelles que soient ses activités : le Yoga, c’est tout un corps et tout un esprit ! L’attention à la nourriture en fait partie. Contrairement à ce qu’on croit souvent, le végétarisme n’est pas obligatoire, mais il faut veiller à prendre une nourriture saine, fraîche et agréable au goût, suffisamment grasse, avec céréales, légumes, fruits et laitages. Contrairement à ce qu’on croit souvent aussi, le Yoga n’a rien à voir avec de quelconques mortifications : le principe de non-violence (plus précisément de non-agression, car la violence peut être utilisée si nécessaire pour la défense) s’applique aussi à soi-même. En Yoga l’effort est nécessaire mais il ne faut pas se faire mal ; ce principe dont on comprend tout de suite l’importance dans les exercices physiques yogiques est valable aussi pour l’esprit. Il est même recommandé de réunir de bonnes conditions de vie – ce qui peut se faire même en dormant dans une hutte.
Le soir avant de me coucher je redéroule mon tapis pour neuf asana : Tadâsana (Posture de la Montagne) ; Uttanâsana (Posture des Mains aux Pieds, ou La Cigogne) ; Balâsana (Posture de l’Enfant – en fœtus sur le ventre) ; Sarvangâsana Posture de la Chandelle) ; Halâsana (Posture de la Charrue) ; Matsyâsana (Posture du Poisson) ; Ananda Balâsana (Posture du Bébé Heureux – pieds dans les mains, sur le dos) ; Siddhâsana (Posture Parfaite) pour un petite méditation, avant une Prosternation telle qu’on la pratique en Kundalini. Puis je vais me coucher et je m’endors souriante, le cerveau bien irrigué, paisible, heureux.
Voici, pour exemples, quelques vidéos de différents cours de Yoga.
Un merveilleux cours de Hatha Yoga en Inde, avec pranayama :
Une autre splendide session, en Inde :
Un cours traditionnel indien de Hatha Yoga avec élèves :
Un bref cours de Yoga épuré, venu d’Allemagne :
Un très beau cours d’Ashtanga Yoga :
Un excellent cours de Yin Yoga, aux États-Unis :
Un cours de Yoga Nidra (Yoga du Sommeil), en France, un Yoga pratiqué en Shavasana (Posture du Cadavre, relaxation en position couchée sur le dos) :
Retrouvons Shiva Das pour un somptueux Shavasana, sans paroles mais, à moment donné, avec immersion :
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Il y en a beaucoup, beaucoup d’autres, il suffit d’explorer la Toile, ou de trouver un cours en salle. Pour le Kundalini, j’ai déjà donné des exemples de cours ici.
« La vérité est une, exprimée diversement par les sages » RigVeda 1.164.46, également traduit : « Dieu est Un, beaucoup de chemins mènent à Lui »
Je continue à lire le dictionnaire de sanskrit et je vois que le mot sanskrit traduit ici par « sages », vipra, a donné le français « vibrer » : il signifie à la base « ceux qui vibrent », et désigne les inspirés, les sages, les voyants, les poètes, les prêtres qui ont bu le soma, les brahmanes. Dans l’hindouisme, le son (le son Om) est à l’origine du monde : o est la vibration primordiale, m est sa résonance. Un autre mot sanskrit pour dire vibrer, spand, signifie aussi venir au monde ; et le nom spanda, « vibration », s’emploie aussi en philosophie indienne pour dire « pulsation éternelle de joie de la manifestation », ou encore « nature vibratoire de la conscience, comme pouvoir de changer tout en restant soi-même ». Quand je médite, avec ou sans son extérieur, à la fin, ou avant, ou pendant, je fais vibrer mes tympans.
J’ai déjà cité Yehudi Menuhin, qui était aussi yogin ; voici encore quelques lignes de la préface qu’il écrivit pour le livre de son maître B.K.S. Iyengar, la Bible du Yoga (dont le titre original est en fait Yoga Dipika, c’est-à-dire Lumière sur le Yoga) :
« La pratique du yoga développe un sens fondamental de la mesure et des proportions. (…) L’harmonie et le sens de l’universel viennent avec la prise de conscience de l’alternance inéluctable de l’activité et de la passivité en rythmes éternels dont chaque inspiration et chaque expiration forment un cycle parmi les innombrables myriades d’ondes ou de vibrations qui constituent l’univers.
(…) Par sa pratique même, il est inextricablement lié aux lois universelles ; car le respect de la vie, la vérité et la patience sont autant d’éléments indispensables pour permettre une respiration calme dans la paix de l’esprit et la fermeté de la volonté.
C’est en cela que résident les vertus morales inhérentes au yoga. Pour ces raisons, il demande un effort total, mettant en jeu et façonnant l’être humain tout entier. Aucune répétition mécanique n’intervient, ni paroles vaines comme dans le cas des bonnes résolutions et des prières formelles. Par sa nature même, il est à chaque instant un acte vivant. »
« L’agitation du mental est toujours perçue par la conscience profonde, toute-puissante, en raison de son immuabilité » Yoga-Sutras de Patanjali (IV, 18)
Quand il est question de méditation (dans le sens qu’on lui donne pour parler de la méditation orientale, très différente de la méditation au sens occidental du terme), il s’avère que le problème des méditants, surtout débutants, est d’arriver à se défaire des pensées qui surgissent inévitablement d’elles-mêmes quand on reste immobile sans aucun divertissement, comme dirait Pascal. On conseille de ne pas se fixer dessus, pas même pour les chasser, mais de les laisser passer et s’évanouir. Ce n’est pas si facile.
En vérité la méditation requiert d’entrer dans un état second, ou état de conscience modifiée. Sans substances, sans drogues, si l’on veut méditer réellement et non juste s’offrir un petit voyage hors du réel. Est-ce accessible à tout le monde ? Sans doute, mais pas sans travail. Personnellement j’ai commencé à travailler sur mes états mentaux, à l’état de veille et pendant le sommeil, à l’adolescence. Je n’avais pas de guide mais j’étais soutenue par ma pratique de la littérature – lecture et écriture -, qui me permettait de ne pas m’égarer dans ces expériences qui peuvent être dangereuses pour la santé mentale (attention si vous pratiquez à ne pas perdre de vue la raison, et aussi à ne pas suivre n’importe quel guide, et même si vous avez un bon guide, à ne pas le suivre aveuglément).
Pour en revenir à la question des pensées importunes, comment faire ? Je conseillerais de visualiser les choses ainsi : les pensées naviguent sur l’eau plus ou moins agitée selon que le temps est calme ou tempétueux. Tandis que le mental, pendant la méditation, peut être imaginé comme le calme du fond de l’océan.
Si nous nous représentons les choses ainsi, si nous désirons, en méditant, descendre en profondeur dans la paix (qui esquisse un sourire sur notre visage – et il est possible, si cela ne se fait pas tout seul, d’esquisser nous-mêmes ce sourire pour ouvrir les portes de cette paix bienheureuse), nous pouvons aussi considérer les pensées de passage comme une agitation de surface, et la vivre comme lointaine et peu affectante, avec la même miséricorde que nous pouvons éprouver pour le monde. Les pensées font partie du monde, mais comme disait le Christ, nous ne sommes pas du monde : nous n’en sommes pas esclaves, si nous savons nous éloigner de la surface des choses.
C’est quand nous demeurons au fond que nous passons au-dessus. Le souffle descend en nous, et si nous le rejoignons là, hors du monde, il remonte et nous soulève avec lui au-dessus de toute chose. Un autre sutra de Patanjali (III, 40) dit :
« Grace à la maîtrise de l’Udâna [souffle d’expiration qui monte vers le haut], on peut s’élever au-dessus de l’eau, de la boue et des épines, et ne pas en être affecté. »