Invictus


 

Ce poème fameux fut le préféré de Nelson Mandela. Le voici dans ma traduction.

*

Par la nuit qui me couvre,

noir puits de pôle à pôle,

je remercie les dieux quels qu’ils soient

pour mon âme imprenable.

 

Dans la situation cruciale

je ne grimace ni ne crie.

Sous les coups de matraque

ma tête en sang demeure droite.

 

Par-delà ce lieu de colère et de larmes

ne se profile que l’horreur de l’ombre

mais la menace des années

me trouve et me trouvera sans peur.

 

Qu’importent l’étroitesse de la porte,

la charge du rouleau en punitions :

je suis le maître de mon destin,

je suis le capitaine de mon âme.

 

William Ernest Henley, Invictus

 

L’AUTRE TIGRE, par Jorge Luis Borges (traduction Alina Reyes)


*

[Reprise] Avant de traduire les phrases sur la panthère, à la fin du récit de Kafka Un artiste de la faim, j’ai commencé par traduire ce poème de Borges.

*

And the craft that createth a semblance
Morris, Sigurd the Volsung (1876)

 

Je pense à un tigre. La pénombre exalte

La vaste Bibliothèque laborieuse

Et semble éloigner les étagères ;

Fort, innocent, sanglant et nouveau,

Il ira par sa forêt et son matin

Et marquera sa trace dans la limoneuse

Rive d’un fleuve dont il ignore le nom

(Dans son monde il n’y a ni noms ni passé

Ni avenir, seulement un instant certain)

Et franchira les barbares distances

Et humera dans le labyrinthe tressé

Des odeurs l’odeur de l’aube

Et l’odeur délectable du gros gibier.

Entre les raies de bambou je déchiffre

Ses raies et pressens l’ossature,

Sous la peau splendide qui vibre.

En vain s’interposent les convexes

Mers et les déserts de la planète ;

Depuis cette maison d’un lointain port

D’Amérique du Sud, je te suis et te rêve,

Oh tigre des rives du Gange.

Le soir se répand dans mon âme et je réfléchis

Que le tigre vocatif de mon poème

Est un tigre de symboles et d’ombres,

Une série de tropes littéraires

Et de souvenirs de l’encyclopédie

Et non le tigre fatal, le funeste bijou

Qui, sous le soleil ou la lune variante,

Va, accomplissant à Sumatra ou au Bengale

Sa routine d’amour, de loisir et de mort.

Au tigre des symboles j’ai opposé

Le véritable, celui qui a le sang chaud,

Celui qui décime la tribu des buffles

Et aujourd’hui, 3 août 1959,

Allonge dans la prairie une ombre

Calme, mais déjà le fait de le nommer

Et de conjecturer sa condition

Le fait fiction de l’art et non vivante

Créature, de celles qui marchent par la terre.

 

Nous chercherons un troisième tigre. Celui-ci

Sera comme les autres une forme

De mon rêve, un système de mots

Humains et non le tigre vertébré

Qui, au-delà des mythologies,

Foule la terre. Je le sais bien, mais quelque chose

M’impose cette aventure indéfinie

Insensée et ancienne, et je persévère

À chercher tout le temps du soir

L’autre tigre, celui qui n’est pas dans le poème.

*

Istanbul (et alentour)

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istanbul 82photos Alina Reyes (prises entre le 30 octobre et le 4 novembre 2009)

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istanbul 83et un selfie dans l’hôtel où j’étais logée :)

L’histoire fait souffler en ce moment un terrible mauvais vent sur l’islam. Or l’islam est une spiritualité fondamentalement saine, très peu marquée par des éléments morbides contrairement à d’autres religions, et s’il ne meurt pas de ce que les hommes lui font subir ces temps-ci, il se relèvera paisible et souriant, selon sa vraie nature, et retrouvera sa fécondité perdue depuis trop longtemps.

Grecs et Romains vus par Lawrence Durrell

athenesen Grèce en 2007 avec deux de mes fils, photographiés par leur père, Olivier :)

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La frugalité et la modération grecque contrastaient, tout comme dans l’Antiquité, avec le mode de vie romain plein d’imagination dont l’épouse était le centre de gravitation. Les Grecs, quant à eux, évoluaient sur la corde raide, mus par une improvisation à la fois brillante et inventive. Les Romains développaient une discipline élaborée sans hâte, un sens de la dignité et de l’ordre dépourvu de toute panique. (…) La Grèce est par essence une créature marine et Rome un produit de la terre.

Jérôme aimait à dire que tout cela venait du paysage environnant qui détermine le caractère inhérent : les Grecs, nés sur une terre aride, étaient aguerris aux privations. Les connaissances grecque et romaine s’orientaient différemment. Le Romain, bien qu’homme de la terre, venait d’une région fertile et pleine de contrastes. Rien à voir avec le roc à nu des îles égéennes à la violente lumière améthyste à moitié aveuglante ; les plaines verdoyantes ondulaient, porteuses de toutes les récoltes imaginables : forêts et moissons, rivières et collines. Une curiosité débordante alimentait l’esprit grec, plus affamé de vérité que de profit, et superstitieux dans l’âme. De plus tout cela se retranchait derrière la syntaxe compliquée, à la fois allusive et abstraite, mais difficile à apprendre, d’une langue complexe et féconde en idées scientifiquement exploitables. L’impétuosité des Grecs se faisait jour dès qu’il s’agissait d’exploration ou d’aventure. Sans craindre les erreurs de jugement ils se laissaient entraîner par la curiosité. Leur courage allait jusqu’à la témérité : les navigateurs et les explorateurs donnaient libre cours à une soif de nouveauté. Bien sûr, ils plantèrent quelques arbres, des arbres fruitiers de toute sorte et – comme une note sur la portée – les premiers oliviers ! Ils furent les premiers à planifier le déboisement et l’agriculture, mais ils n’étaient pas fondamentalement des continentaux. Les pays où ils séjournèrent ne furent ni colonisés ni pacifiés pas plus que civilisés ; les Grecs voyageaient, simplement satisfaits d’assurer la sécurité des chemins maritimes, de faire la reconnaissance des ports et des estuaires, et d’établir solidement des comptoirs sur les réseaux de communication navale (…)

[Quant aux Romains] Leur caractère était paresseux, leur langue sérieuse et lapidaire, et leur tempérament moins celui de poètes que de grammairiens, juristes, législateurs ou moralistes. Ils montraient des dispositions pour les inventaires et le culte des ancêtres. Au fond, ils étaient des codificateurs et des géomètres, ils vénéraient les relevés cadastraux et étaient le produit de bornes milliaires ! L’infanterie de ligne se nourrissait du dévouement à l’idéal romain profondément enraciné dans sa conscience. Idéal dont la forme artistique s’exprimait dans une poésie de l’utile (le Pont du Gard). (…)

Les combats de gladiateurs sont une chose, mais que des prisonniers sans aucun secours ou des esclaves soient donnés en pâture aux fauves dans le but de se complaire de leur souffrance, c’est autre chose. Il est plus que probable que le côté philistin du caractère romain devait provoquer chez les Grecs un tiraillement de tristesse et de dégoût, de même que la grossièreté et la brutalité qui entouraient ces spectacles proposés à une assistance de citoyens moyens. Tout cela mettait manifestement en évidence la différence de mode de vie entre Romains et Grecs, illustrée au départ par les syntaxes incontestablement dissemblables des deux langues. Le tempérament romain était par essence juridique et moraliste, profondément porté sur la jurisprudence et l’instruction civique. Le tempérament grec, moins pointilleux, présentait plus de profondeur. (…)

On a pu, sans doute, discerner les mêmes variations au travers des différentes conceptions des deux théâtres. La production grecque s’inquiétait de l’identité de l’être humain dans son face-à-face avec Dieu ou de son comportement lors de confrontations avec ses penchants naturels. Une communauté tout entière s’efforçait de prendre conscience de sa personnalité mystique dans le but de purger toutes ses frayeurs en même temps, l’absolution reposant dans la purification. Le thème de préoccupation des Romains résidait dans un comportement opportun et dans la destinée du genre humain. Cela s’ancrait solidement dans la notion du temps et du moment ; le souffle de l’idéalisme d’une parfaite conduite civique. On sondait le bien et le mal avec constance et avec une rectitude immanente. Le registre d’intérêt romain, plus superficiel, plus bourgeois au sens moderne du terme, trouve son expression la meilleure dans l’attention accordée à l’attitude individuelle. (…)

Le contraste se reflète dans la composition même de leurs théâtres : le grec, abstrait à en couper le souffle, sophistiqué dans sa subtilité intellectuelle et sa quête sans fin d’une vérité métaphysique, alors que du côté de Rome on semble se satisfaire des aspirations poussant à un arrangement entre la vertu du bon citoyen et sa valeur morale selon la conjoncture humaine.

Lawrence Durrell, L’ombre infinie de César, traduit de l’anglais par Françoise Kestsman

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L’entourloupe édifiante de Joann Sfar

Bruno Hadjadj : Merci pour ce témoignage et cette belle leçon de comment retourner un cerveau mou comme une crêpe fade.

Anne Destremau : Ce qui ressort surtout de ce récit , c’est que l’auteur endosse le rôle de l’homme intelligent , artiste, et le chauffeur de taxi ( gros con ) est bien sur musulman. Ah ah ! Cherchez l’erreur.

Akram Belkaïd : En attendant, les Palestiniens n’ont ni terre ni Etat… Mais on peut faire semblant de s’aimer les uns les autres…

Clé Ment : Je n’avais encore jamais lu une défense de la politique israélienne aussi sournoise ! Chapeau, c’est trop mignon.


Ce sont quelques-uns des centaines de commentaires agrémentés de moult cœurs et autres émotikons qui saluent un texte édifiant publié par Joann Sfar sur ses pages facebook, et repris dans le Huffington Post. Où l’on voit un adorable dessinateur juif, le narrateur, Joann Sfar, «  retourner un cerveau mou comme une crêpe fade » -selon le résumé du lecteur Hadjadj… le cerveau d’un chauffeur de taxi arabe musulman, complotiste et propalestinien. Et voici mes propres commentaires.

:
Joann Sfar, vous êtes bien intentionné sans doute mais vous êtes un peu comme votre chauffeur de taxi, vous ne vous penchez pas assez sur les faits réels. Il est bon de s’intéresser aux faits, de chercher la vérité des faits, avant d’en discourir. Car jamais la paix ne pourra être établie sans la justice.

Vous nous exposez un personnage caricatural d’Arabe. Certes il en existe malheureusement, j’ai moi-même rencontré il y a peu un autre personnage caricatural, un commerçant juif qui ne s’arrêtait de parler d’argent que pour déverser son mépris et sa haine racistes des Arabes et des Noirs. Je pourrais comme vous, avec les meilleures intentions, écrire un dialogue dans lequel je l’amènerais à prendre conscience de ses errements -mais là ce serait de la pure fiction, car le gars n’était pas du genre à s’amender. Mais nous ne serions pas plus avancés, car ce qu’il faut, c’est étudier la réalité politique et comprendre pourquoi nous en sommes là. On ne pouvait pas dire pendant l’Occupation en France, allons les gars, allemands et français, faites un pas l’un vers l’autre pour vous entendre et tout ira bien. Cela ne suffit pas. Il ne faut pas œuvrer pour un consensus sur un monde inique, il faut œuvrer à réduire les situations iniques.

Oui, il a fait sa part : nous présenter un Arabe caricatural, écrire un dialogue où bien sûr le juif a l’avantage tandis que le défenseur de la Palestine a « le cerveau mou comme une crêpe fade », ainsi qu’aiment à se les représenter trop de défenseurs d’Israël convaincus de leur supériorité. L’autre caricature que j’ai rencontrée l’autre jour, le commerçant juif, ne se lassait pas, quand il ne tapait pas sur les Arabes et les Noirs qu’il considérait comme des sous-humains, ne se lassait pas de raconter, donc, comment il entourloupait les gens en affaires, en leur faisant croire par d’habiles manœuvres (il appelait ça « leur mettre la vaseline ») qu’ils allaient faire de bonnes affaires avec lui alors qu’il finissait par les plumer. Je ne dirai pas que Joann Sfar fait ici la même chose, mais il y a, consciemment ou non, de l’entourloupe quand même.

Oui, en attendant les Palestiniens n’ont ni terre ni État… et cette belle histoire habilement mise en scène fait passer leurs défenseurs pour des abrutis et leurs bourreaux pour d’inoffensifs frères. Une belle histoire pour enterrer la vérité – très applaudie, comme toutes les belles histoires pour enterrer la vérité.


Bien sûr il n’a pas manqué de se trouver quelqu’un pour m’accuser d’antisémitisme. Avant cela j’avais précisé que j’avais affronté de semblables entourloupeurs parmi les catholiques. Les mêmes défenseurs du mensonge habile, de la fourberie dont certains jésuites en particulier, mais pas seulement évidemment, certains jésuites comme le pape, pratiquent à l’échelle mondiale.

Il me semble que nous sommes à un sommet dans l’histoire du mensonge dans l’humanité. Le mensonge est partout réhabilité, voire glorifié. J’ai vu hier une vidéo effarante où la gorille Koko, à qui on a appris la langue des signes, envoie un message à l’humanité pour lui dire de sauver la terre. La vidéo, présentée comme un appel authentique de l’animal, a été vue 26 millions de fois à cette heure. En fait c’est bien sûr un montage, on a dit à Koko ce qu’elle devait dire et on a monté les séquences pour arriver à en faire un discours. C’est une ONG qui a fait cela, et pour la COP 21. Au nom de la nature donc, au nom du salut de la planète et de ses habitants, on a instrumentalisé un animal auquel on a fait dire « je suis la nature », on a violé la nature non plus seulement physiquement mais pire encore dans l’esprit, on a violé aussi les consciences humaines en leur faisant avaler un énorme bobard. On a, encore une fois, travaillé pour la mort.

Car le mensonge, c’est la mort.

*