« Rien n’est sacré, tout peut se dire »

J’ai laissé à la montagne ce petit livre de Raoul Vaneigem, mais j’en retrouve de bons extraits ici. « On ne combat pas et on ne décourage pas la bêtise et l’ignominie en leur interdisant de s’exprimer : la meilleure critique d’un état de fait déplorable consiste à créer la situation qui y remédie », dit-il notamment.

« Si on veut faire diminuer l’influence de Dieudonné sur une partie importante de la jeunesse, il ne faut pas se contenter de condamnations morales unanimes et confortables, destinées plus à mettre en avant l’éthique de ceux qui y participent qu’à modifier réellement les choses. », écrit ici Pascal Boniface.

Et Denis Robert, qui sait la valeur de la liberté d’expression, à propos de Valls, ici : « C’est user de stratagème pour arriver au pouvoir, c’est penser que la fin justifie les moyens. La politique, c’est de la réflexion, du recul, de la dignité. Là, c’est indigne. En montant en épingle à des fins politiques un événement qui ne le méritait pas, Valls –et maintenant le gouvernement- joue avec des allumettes. Dieudonné est devenu une vraie rock star. La rock star des pauvres et des désorientés… »

Je suis pour la plus grande liberté d’expression. Dans les deux sens. C’est-à-dire : que ceux qui veulent dire quelque chose puissent le dire, et que ceux qui veulent protester contre cette chose dite puissent également exprimer leur protestation. Mais pas de censure. Ou bien une censure soigneusement délimitée, qui ne fasse pas deux poids deux mesures : si l’incitation à la haine ou au meurtre est interdite, qu’elle le soit pour tous, de façon réellement effective, et non pas seulement quand elle vise certaines catégories de gens. Même si elle pouvait être équitablement appliquée, une telle censure serait encore un pis-aller, un défaut de maturité des esprits et de la politique. Éduquons nos esprits, apprenons à ne pas nous laisser dominer par les paroles des autres, au point de n’avoir d’autre recours que de les censurer.

Libérer les oppresseurs

Nelson Mandela, dit Jacques Derrida dans le hors-série de l’Humanité, «  a écrit un très beau texte dans lequel il explique qu’il s’agissait pour lui non seulement de libérer son peuple de l’apartheid, mais qu’il s’agissait aussi d’en libérer les Blancs ; qu’il s’agissait, dans un processus de libération interminable, de libérer aussi les oppresseurs, dans la mesure où ceux-ci sont eux-mêmes asservis par leur propre idéologie, leurs propres intérêts. » 

C’est exactement aussi mon enjeu, j’y pense très souvent et le temps qui passe ne fait que le révéler de façon toujours plus aiguë. J’ai pensé les Pèlerins d’Amour, dans Voyage, en grande partie pour travailler à l’entente entre les hommes de différentes religions. Je les ai pensés seule, et il n’a pas été difficile de fédérer sur cette idée, telle que je l’ai développée – même si ma position personnelle, vécue et dite dans Voyage, réellement inter-religieuse, n’est pas facilement acceptable. Cette entente ne sera pas facile à réaliser, mais ce n’est pas le plus difficile, car beaucoup, y compris parmi les chefs spirituels et politiques, la souhaitent. Le plus difficile, ces années qui passent sans que rien ne se passe parce que je ne veux pas travailler dans des conditions inéquitables, ces années de paralysie où l’ « on » compte sur le mensonge et l’oppression, dont l’empêchement de publier, pour me faire céder, ces années prouvent que le plus difficile est de faire prendre conscience aux hommes en question qu’ils doivent d’abord être eux-mêmes libérés, avant de pouvoir songer à participer à la mise en œuvre d’une action de libération réelle. Libérés de leur propre système de domination.

Le plus difficile est de libérer les dominants de leur domination, plus forte qu’eux. Domination sociale des « dirigeants » sur ceux qu’ils estiment devoir « diriger », et, particulièrement sensible aussi dans notre cas, domination sociale des hommes sur les femmes, en particulier dans l’ancienne génération et chez les religieux – « Nous nous attaquerons au sexisme et au racisme », a dit Mandela dans son premier discours de président – et il a insisté un peu plus loin en s’engageant à libérer le peuple de « la discrimination liée au sexe ou à toute autre discrimination » puis à conduire le pays « hors de la vallée des ténèbres » « en tant que premier président d’un gouvernement uni, démocratique, non racial et non sexiste ». Hors de cette domination à laquelle ils tiennent de façon panique, comme l’enfant accroché aux jambes de ses parents. Mais moi je veux des hommes libres, et je ne traiterai et ne vivrai que comme je vis, en homme libre. Pour beaucoup il est trop tard, mais d’autres sont là et d’autres arrivent.

Âme

« On ne comprendra rien à la politique de Gandhi si l’on ignore que le but de sa politique n’est pas une victoire politique mais spirituelle.

Tel qui sauve son âme ne sert pas seulement lui-même : la division qui subsiste entre les corps ne sépare point les âmes : tel qui sauve son âme sauve en vérité l’Âme, amasse un bien qui appartient à tous : suffit que les autres s’en aperçoivent pour en profiter. Tel part de l’autre bout et s’appliquant à servir les autres sauve son âme. Les Hindous appellent ce genre d’hommes un Karma-yoguî, un ascète de l’Action. Ils le figurent comme un sage siégeant dans la pose de la méditation et tenant une épée au poing. Gouverner peut être une manière de servir autrui et de sauver son âme. Chasser de l’Inde les Anglais constituerait une ambition bien mesquine et banale pour un si grand sage que Gandhi. Son but est de délivrer le peuple de ses maux (dont les Anglais sont le moindre, et le plus apparent). Son but est de délivrer son âme de l’ignorance : de vivre, c’est-à-dire d’essayer la vérité. (…)

La résistance non-violente que dirige Gandhi se montre plus active que la résistance violente. Elle demande plus d’intrépidité, plus d’esprit de sacrifice, plus de discipline, plus d’espérance. Elle agit sur le plan des réalités tangibles et agit sur le plan de la conscience. Elle opère une transformation profonde en ceux qui la pratiquent et parfois une conversion surprenante de ceux contre lesquels on l’exerce. »

Lanza del Vasto

Qu’est-ce que l’extase

À force de peinture et d’eau sur les doigts, ils ont la peau sèche et abîmée comme lorsque j’étais à la grange, à transporter du bois, faire du feu et casser la glace. Ce sont des doigts, des mains qui traversent les apparences, comme ceux et celles des hommes préhistoriques dans les grottes. Et pour cela touchent la matière et travaillent avec elle, corps à corps. Ce sont des doigts, des mains, un corps de noces. Un corps de pensée et d’action, fussent-elles souterraines comme un homme en prison, un corps, fût-il occulté, puissant, agissant sur et dans le monde par la grâce de Cela qui œuvre en lui. La plus belle phrase que j’ai trouvée ce matin sur Nelson Mandela est une phrase de Bono : « Il incarnait le compromis sans jamais se compromettre ». C’est pourquoi il avait un si beau sourire.

Mes articles

… du temps où je n’étais pas encore boycottée par la presse et l’édition. Dans Libé ici. En fait, il manque celui sur Marcel Schwob, c’était avant l’internet mais il est . J’ai écrit aussi dans Le Monde mais pour lire les articles il faut être abonné (ici à partir de « La tentation de la lumière bleue », au bas de la page et suivantes) ; certains de ces articles ont été repris dans Bellaciao où ils peuvent être lus librement. J’ai écrit dans beaucoup de magazines mais ce n’est pas sur internet et il y a quelques mois j’ai jeté tous les magazines papier avec mes articles, ça prenait trop de place. Beaucoup de ces articles parus dans des magazines sont repris dans mes livres Corps de femme, Politique de l’amour  ou Lumière dans le temps, que j’espère mettre bientôt sous forme numérique sur ce site – mais pour les deux premiers je n’ai plus le traitement de texte, il faudrait donc que je les retape, ce sera long.